Le samedi 30 juillet 1988


Condos
Pierre Foglia, La Presse

Je me promène beaucoup cet été, un peu partout, dans mon coin, ailleurs, l'autre jour à Saint-Sauveur, le lendemain à Bromont dans les Cantons, et cela m'a frappé tout d'un coup, j'ai dit à ma blonde : " Cout'donc Chose, le Québec serait-il en train de virer condo mur à mur ! "

Dans les villes, je comprends. Mais en campagne ? C'est quoi l'idée d'aller à la campagne pour s'enfermer dans une cage à lapin ? Dans campagne il n'y a pas l'idée de terre, de terrain ?

- Réveille m'a dit ma blonde, c'est pas d'hier la mode du condo. Ou plutôt si. C'est d'hier justement. Renseigne-toi, paraîtrait que c'est fini la rage des condos...

Je me suis donc renseigné puisque c'est mon métier ou presque. Foutu métier d'ailleurs quand il fait chaud comme aujourd'hui. Bref, j'ai rapporté deux nouvelles à propos des condos. Une bonne et une mauvaise.

La mauvaise nouvelle c'est que les développeurs construisent de plus en plus de condos à la campagne.

La bonne nouvelle c'est que ces condos se vendent de moins en moins.

D'abord ils se vendent moins pour raison de saturation. Il n'y a pas tant de yuppies capables d'investir $200 000 dans une résidence secondaire et la majorité de ceux qui pouvaient le faire l'ont déjà fait. Bref, le boum est passé.

Quant à ceux qui ne l'ont pas encore fait et qui auraient les revenus pour y penser, ils considèrent aujourd'hui qu'à ce prix-là, le condo comme résidence secondaire, n'est pas un bon investissement, et n'ajoute rien à la qualité de la vie. Il suffit en effet de se promener un peu par les chemins détournés pour réaliser qu'à $200 000 on peut trouver des bouts de campagne plus belle et surtout plus authentique que ces bungalows champêtres regroupés en lotissements " exclusifs " comme il est dit dans la publicité. Lotissements qui sont en fait des camps de yuppies, avec les inconvénients des camps, comme la promiscuité et l'absence totale de dépaysement. Le yuppie s'il est le plus snob des consommateurs n'est pas, quoi qu'on en dise, le plus mouton. Pas bête et plutôt bien informé il est souvent le premier à admettre qu'il s'est fait fourrer. Et les yuppies sont justement en train de réaliser que les lotissements de condos c'est de la campagne servie en fast-food, de la campagne tous services inclus, entrée déneigée et gazon fait, mais l'âme de la terre à jamais perdues...

Bref, la mode est passée.

Mais, direz-vous, comment se fait-il, si le boum et la mode sont passés qu'il se trouve des développeurs pour construire plus de condos qu'avant ? Deux explications. La première c'est qu'ils y sont souvent encouragés par des études de marché complaisantes ( il est plus beaucoup plus facile de deviner ce que veut entendre le client et de le lui dire pour lui faire plaisir, que de deviner comment évoluera le marché et de le faire payer pour une mauvaise nouvelle ).

La seconde explication, c'est que de plus en plus de développeurs comptent sur l'originalité de leur projet pour échapper à la tendance du marché. La formule en vogue passe maintenant par une " très très grande exclusivité ". Aux lotissements plutôt ouverts d'hier, on ajoute la notion de club super sélect. Les yuppies sont tous servis ? Qu'à cela ne tienne, on se tourne maintenant vers une nouvelle clientèle : le nouveau-riche. On ne vend plus une résidence secondaire, on vend le concept d'un village d'élus. Au cœur du concept, l'idée de super exclusivité si importante à l'égo des gogos : " Moi j'ai les moyens, mais pas toi lalalèreu... "

Il s'en prépare un, de ces villages très privés, pas si loin de chez moi, ( mais grâce à Dieu bien assez loin pour que cela ne me dérange pas ). Cela se fera du côté de Frelighsburg, sur ce mont Pinacle dont on a beaucoup parlé ces derniers mois.

Tandis que s'agite encore une opposition de fermiers surtout anglophones et d'écolos sans pouvoir ni moyens ( hors la sympathie de la presse ), et tandis que l'indigène moyen rêve de la manne que lui laissera " le progrès ", le développeur avec les appuis politiques qu'il faut à tous les niveaux, s'apprête à soustraire la montagne à la zone verte pour y construire une piste de ski, un golf et 350 condos qui se détailleront jusqu'à $300 000 l'unité. La grande innovation c'est que cette piste de ski et ce golf de 18 trous seront privés, réservés aux résidents qui voudront bien payer $ 20 000O pour une carte de membre à vie du club de ski et $ 10 000 pour le club de golf...

On devine le genre de village que cela va donner. Au restaurant l'autre jour, j'entendais quelqu'un parler " d'une belle classe de monde " !... Belle je ne sais pas. Mais riche assurément. Et fier de montrer combien riche. C'est d'ailleurs la première fonction de ce genre de club soi-disant high classe : offrir aux nouveaux riches un promontoire qui leur permet de péter plus haut que le cul du commun. J'ai dit soi-disant high classe parce qu'il m'étonnerait qu'on voit jamais dans ce village-resort de ces vrais grands bourgeois qui sont généralement raisonnablement cultivés et trop attachés à certaines traditions d'élégance et de discrétion pour aller se mêler à ces m'as-tu-vu.

Quand je pense que les écolos du coin arguent que la montagne devrait rester comme elle est parce qu'elle abrite une flore et une faune unique... Qu'ils attendent seulement de voir les drôles d'oiseaux qui vont se percher sur leur Pinacle. Dans le genre faisan à queue rousse et bécassine à houpette, vous allez être servis, mes amis.

Remarquez, c'est pas pire, on avait déjà le parc Safari pas loin, voilà maintenant qu'on va avoir, en plus, le parc Safarire. En tout cas vous pouvez compter sur moi, quand le village sera là, pour de souriants et fréquents relevés fauniques. Promis.

BADABOUM -

Une petite nouvelle locale pour finir... Un confrère de la Voix de l'Est sortait en scoop l'autre jour qu'une firme d'armement belge avait fait une demande pour établir un champ de tir à Mansonville, petit village frontière au sud-est de Sutton.

Il s'agirait de tester des obus. Un ou deux coups de canon par semaine affirme le maire du village, André Marcoux. 100 coups de canon par jour le contredit un spécialiste, ingénieur armurier.

Le projet qui créerait une cinquantaine d'emplois est vaillamment défendu, on s'en doute, par le maire. Il a d'ailleurs fait, cette sublime observation à mon confère de la Voix de l'Est : " S'ils ne font pas leurs expériences ici, ils les feront ailleurs. La guerre c'est comme ça ! "

Le mot est charmant, mais attention, les droits d'auteur sont réservés pour tous pays, y compris l'Iran, l'Irak, le Cambodge, l'Afghanistan, l'Irlande du Nord et le Liban.