Le lundi 3 avril 1989
Arrêtée le vendredi midi, Louise passera quatre jours en prison. Quatre jours de noire détresse.
Rappelez-vous bien, c'est la même femme à qui un juge de la Cour supérieure s'apprêtait à confier la garde de son enfant trois mois plus tôt parce qu'il la considérait meilleure " parente " que le père. C'est la même femme que le juge du Tribunal de la jeunesse venait de traiter avec bienveillance, pour ne pas dire avec sympathie. Cette femme, la voilà dans une cellule à Bon Secours.
Le samedi matin un juge de la Cour du Québec pose comme condition à sa remise en liberté que Louise n'ait plus aucun contact avec Marie jusqu'à l'enquête préliminaire.
Condition que Louise refuse. Elle est reconduite en cellule. Cette fois : à la prison Tanguay où elle écoulera jusqu'au mardi des heures lentes et douloureuses. Sur une page de garde d'un roman Arlequin que lui a prêté une détenue, Louise écrit un mot à sa fille : J'ai peur ma puce. Je craque. Pour la première fois de ma vie je me sens impuissante. J'ai un cri en moi qui ne peut pas sortir, comme si on m'avait cousu les lèvres avec du fil de fer...
Le mardi, le juge maintient les conditions, fixe l'enquête préliminaire à la fin novembre, Louise est libérée, mais d'ici là ( quatre mois ) elle ne pourra ni voir, ni téléphoner, ni écrire à Marie. Pas parce qu'on craint qu'elle abuse de Marie, mais pour " protéger la preuve " réclame la Couronne. Comprenez que si Louise rencontrait Marie, elle pourrait lui faire " la leçon ". Le juge accepte la demande de la Couronne.
( Des fois on se demande comment font certains juges pour trancher d'une main aussi impassible dans les émotions, dans l'humain... eh bien on a ici un élément de réponse. Leur truc c'est de considérer les humains, justement, comme des objets de justice. C'est bien moins dérangeant pour trancher. Par exemple ici, la petite fille n'est plus une petite fille mais une preuve. Et est-ce qu'une preuve a besoin d'une mère ? Je vous le demande... )
Quand elle sort le mardi Louise ajoute quelques lignes au mot quelle a écrit en prison : Voilà c'est fait ma puce. Le juge a dit " jusqu'en novembre ". Sans te voir. Ni te parler. Ni t'écrire. Comme si je n'avais jamais été là, comme si je ne serai plus jamais là. Je suis morte. Je t'aime et je suis morte.
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Au criminel, Louise est accusée d'agression sexuelle et d'attouchements sexuels.
En preuve, le témoignage d'une gynécologue qui, après avoir examiné Marie, affirme que son clitoris est un clitoris hypertrophié de petite fille abusée.
Affirmation qu'elle réitérera pour le Tribunal de la jeunesse ( les deux procès marchant désormais de front, s'échangeant les preuves et les témoignages ).
Sauf que cette gynéco se fera planter comme c'est pas permis par un prestigieux collègue ( une sommité en gynécologie pédiatrique ) qui démontrera, photos à l'appui, que le clitoris de Marie est tout ce qu'il y a de plus normal. J'ai assisté à la démonstration de ce spécialiste en gynécologie des petites filles, et ce qu'il disait ( sans le dire évidemment mais en le démontrant ce qui est pire ) ce qu'il démontrait disais-je c'est que la première gynéco s'était grossièrement trompée bien sûr, mais plus que cela, que c'était une conne dangereusement incompétente... D'ailleurs, dans son jugement, le juge du Tribunal de la jeunesse qualifiera pudiquement la preuve de la première gynéco, de " non-pertinente "...
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Au criminel, Louise est accusée d'agression sexuelle et d'attouchements sexuels.
En preuve, un vidéo d'une heure sur Marie qui répond aux questions d'un policier de la SQ...
Il est allé chercher la petite à la garderie, a fixé un micro à sa robe, et c'est parti...
- J'aimerais ça que tu me parles de toi Marie...
Le policier qui mène l'entrevue est imposant et pataud. Disons qu'il a des gros sabots...
- Je m'appelle William, mais tu peux m'appeler Bill parce que c'est plus court...
Marie l'a vu venir de loin. Elle n'en est plus à son premier étranger. Sa vie est un véritable hall de gare. Il y a ceux qui la déshabillent pour prendre des photos de son -clitoris. Ceux qui la font jouer avec des poupées sexuées. Et ceux qui veulenT seulement la faire parler, comme celui-là. Ils s'y prennent tous de la même manière. Ils commencent par faire ami-ami. Puis ils posent des questions sur maman Louise. Combien vous pariez que celui-là aussi ?
- J'aimerais ça que tu me dises des secrets. Puisqu'on est des amis. Les amis ça se dit des secrets. C'est quoi ton secret ?
- J'ai une boite à bijoux...
- C'est pas un secret ça...
Dans les échanges qui suivront cette réplique, le policier introduira 17 fois le mot " secret ". Alors Marie, finalement :
- Une fois maman elle m'a chatouillée...
- À quelle place elle t'a chatouillée ?
Avec sa main Marie indique le bas de son ventre.
- Comment ça s'appelle ?
- Le clitoris. Et puis des fois, ajoute-t-elle, maman était dans l'eau, je me couchais sur elle, je tétais ses seins et puis c'était le fun...
Les seins intéressent moins le policier. Il revient au clitoris. Où et comment ?
- Des fois j'y disais donne-moi des becs sur le clitoris, pis elle m'en donnait...
- Beaucoup ?
- Je m'en rappelle plus.
Marie s'ennuie. Se tortille une mèche de cheveux, croise et décroise ses jambes sans arrêt. Veux manger. Mange. Joue avec sa boîte à lunch. L'entrevue se dilue... Le policier, ratoureux, la plogue sur son père. Est-ce que Papa en donne des becs ? Souvent ? À quelle place ? Et aussitôt, le piège :
- Et ta maman à quelle place ?
Comme la première fois. Marie montre avec sa main, le bas de son ventre. Elle pourrait bien répondre dans le cou. Mais elle commence à le savoir, c'est le même truc, à chaque entrevue, si elle dit " dans le cou ", ou sur les fesses ou n'importe où, la question d'après ce sera : " Pis où encore ? ". Comme ça jusqu'à ce qu'on arrive au clitoris. Alors aussi bien aller directement au clitoris puisque c'est là qu'on en viendra de toute façon.
- Où c'est qu'elle donne des becs maman ?
- Sur le clitoris...
William, Bill parce que c'est plus court, est rentré à Montréal bien content. Il avait eu ce qu'il voulait et il s'était fait une nouvelle petite amie à Matane qui lui avait dit des beaux secrets.
Quelques semaines après il mettait lui-même la maman de son amie Marie en prison. Un vendredi. Exprès. Parce que le vendredi ça fait plus mal et ça dure plus longtemps. À cause du week-end...