Le mardi 19 juin 1990
Soudain sans une goutte d'avertissement, l'orage, le déluge. Je me suis précipité dans une entrée menant à un cottage et à son garage ouvert...
- Excusez-moi, puis-je m'abriter un instant?
Je pédalais dans la région de Brome, je rentrais à Sutton où j'avais laissé l'auto... Dans le garage, un homme, une guenille à la main, astiquait un de ces mini-tracteurs qui servent à tondre le gazon. L'éngin, un Ford bleu, visiblement neuf, étincelait déjà de tous ses chromes mais ce n'était pas assez: l'homme continuait de le lustrer, reculant parfois d'un pas, comme le peintre décolle de son chevalet pour juger de l'ensemble, il penchait la tête pour déjouer; les reflets et revenait frotter une tache invisible...
- Belle machine, dis-je poliment. Elle est neuve?...
- Deux semaines. Elle était à 5000 $, mais je l'ai eue pour 4200$...
- Vous avez grand de terrain ?
- Assez, oui. Tout ça, tout ce qui est coupé, voyez? Je viens juste de finir. (Il me montrait un espace tondu ras, grand comme deux terrains de football )...
- Ciel mais ça doit prendre un temps fou?
- Deux jours! Et deux tanks à gaz! Avec le plus petit tracteur que j'avais avant ça me prenait trois jours, c'est pour ça que j'ai changé...
- Pourquoi en couper si grand ?
- C'est plus beau... Regardez le petit coin que j'ai oublié près de la grange? Les fleurs et les autres cochonneries là bas? Eh bien c'était comme ça à la grandeur, avant que je coupe...
La pluie continuait de tomber. Il reprit la toilette de son tracteur. Je l'observais à la dérobée: un homme de mon âge, ordinaire, moyen. Rien de spécial. Un nord-américain de 50 ans...
- Comment faisait-on avant? Je veux dire avant la tondeuse à gazon?
- On coupait à la faux. Mais on coupait beaucoup moins grand. C'était moins propre...
Quand cet homme-là était un enfant, dans les années 50, on commençait à annoncer la civilisation des loisirs. Il y avait ceux qui disaient que le progrès libérerait l'homme du travail. Et il y avait ceux, pas du tout d'accord, qui prédisaient que le progrès asservirait l'homme à la machine...
Mais personne, semble-t-il, n'avait prévu que le progrès porterait l'homme à tondre de plus en plus de gazon autour de chez lui.
Personne n'avait prévu que le progrès enchainerait l'homme à son propre ennui.
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LES BONNES IDÉES - Qu'est-ce qui fait qu'une bonne idee ne lève pas? L'heure G, par exemple?
Tout est là pourtant, les musiciens, le décor. Le flash de la co-animatrice hebdomadaire, et même la qualité des invités, ce qui est rare dans ce genre de truc: depuis deux semaines tout Montréal vient s'effoirer sur le sofa de Gaston L'Heureux qu'on devine très aimé dans le «monde» de la colonie artistique. Pourtant le show ne décolle pas. Il s'effoire justement. Ce n'est pas mauvais, c'est dull. Pourquoi? Qu'est-ce qui fait qu'une bonne idée et même plusieurs ensemble ne lèvent pas?
Peut-étre le travail? J'ai comme le feeling que ces gens-là ne travaillent pas fort. Ils causent. lls truquent. Ils misent sur leur expérience, leur talent, leur bonne étoile, leur personnage... mais ils ne travaillent pas, ce que j'appelle travailler. Quand ils suent c'est parce qu'ils angoissent, rarement parce qu'ils se sont fendus le cul pour plancher, pour bûcher une idée...
Il y a aussi qu'ils souffrent d'une espèce d'infirmité: ils sont incapables de «prendre» une critique. Si bien que, pour ne pas les blesser, on ne leur en fait jamais. Ou alors des toutes petites. Ce qui les conforte dans la certitude que leur talent suffit.
99.9 p.cent des créateurs, même les plus intelligents, sont incapables de prendre une critique. Je peux comprendre. Il y va de leur show, de leur fric et ultimement de leur carrière... N'empêche que le résultat c'est souvent un gros mensonge. Pas un ami, pas un parent, pas un collègue pour leur donner l'heure juste. Pour leur dire honnêtement: Gaston, c'est pas très bon ton truc... La critique viendra finalement d'un critique patenté. Mais ça ne compte pas. Tout le monde sait que les critiques patentés sont des parasites, des jaloux, des ratés, des tatas, Ferland l'a chanté, Charlebois aussi. Marc Favreau le réaffirmait encore hier soir et l'autre jour, le brutal
Jean-Louis Roux se cantait même d'en avoir planté un dans un bar...
Je parle de Jean-Louis Roux et de Marc Favreau parce que je les ai vus dans ces auto-portraits du dimanche soir à Radio-Canada. Une autre émission ratée.
Une autre bonne idée pourtant. Mais casse-gueule. Inviter un artiste à s'interviewer lui-même c'est l'inviter à s'exhiber doublement. Il fallait drôlement travailler en subtilité et dans la nuance pour éviter la lourdeur, la complaisance... Au contraire, ces auto-portraits pompeux sentent le premier jet, le travail bâclé. Et allez hop mon vieux, cascade !
Si quelqu'un a jamais été porté aux nues par la critique, c'est bien Sol-Favreau. Alors quand il y va de sa tirade sur la critique parasite on se demande bien en souvenir de quelle égratignure? Et même... qui sait si une critique moins à plat-ventriste eût gardé Favreau de devenir, petit à petit, le beauf de Sol qu'on a vu dimanche soir...
Plus j'y pense, plus cette infirmité des créateurs face à la critique est la véritable source de la médiocrité ambiante... J'ai en tête un extrait du dernier Bon Dimanche qui illustre exactement ce que je veux dire... L'animatrice recevait Jean Beaudry, cinéaste co-auteur de Jacques et Novembre et des Matins infidèles qui vient de terminer un Conte pour tous, je ne me souviens plus du titre.
L'entrevue bien menée, plaisante, tourne autour du casting du film, comment on a choisi les deux adolescentes des rôles principaux. Elles sont dans le studio d'ailleurs, mignonnes, sympathiques. Le réalisateur dit combien en les voyant il a su immédiatement qu'elles feraient l'affaire. L'animatrice ajoute que oui oui, c'est vrai, elles jouent très juste. Là-dessus on nous montre un extrait du film, un court échange entre les deux jeunes filles, une ou deux répliques qui, hélas, sonnent très très faux !
Et là je me dis fuck c'est le syndrome Grimaldi qui gagne du terrain. Je veux bien qu'on oublie de dire que c'est mauvais pour ne pas faire de peine, sauf que la norme est maintenant de dire que c'est bon pour faire plaisir...
Bref, je me demande si je ne vais pas revendre ma télévision pour m'acheter une plus grosse tondeuse à gazon.