Le jeudi 22 juillet 1993


C'est l'avenir monsieur!
Pierre Foglia, La Presse

Foix,

La France emprunte à l'Amérique ce qu'elle a de pire: les nouilles vertes, le vélo de montagne, le pain "entier", les grotesques villages "d'antan", le boeuf bourguignon sous vide, le fromage au kirsh, les élevages de sangliers. Et le golf.

C'est le golf qui lui va le moins. Je trouve que les Français tiennent leurs bâtons de golf comme les Anglais tiennent des pinces à escargots. Je trouve que les Français sont au golf ce que Johnny Halliday est au rock'n'roll: des bouffons convulsifs.

Voulez-vous me dire quelle mouche a piqué la France il y a quinze ans, pour qu'elle se mette soudain au golf? Ce n'était pas bien la pétanque? Et la belote? Et la java?

Le Tour de France étant au repos, j'étais allé rouler en facteur dans une lande pastorale, plantée de genêts et de fougères, au pied des monts de l'Andorre, côté français. Pour ne point me gâter l'humeur, j'avais superbement ignoré, un peu plus tôt, un premier golf, quand je tombai sur un second! À moins de trente kilomètres du premier! Les Français sont-ils en train de devenir fous?

Je remontai l'allée jusqu'au clubhouse, désert, comme le parking d'ailleurs. Je tombai sur le propriétaire. Un vieux monsieur, riche opticien parisien qui acheta cette ancienne ferme de 46 hectares pour, d'abord, y élever des moutons...
- Oui monsieur, il y a seulement six ans broutaient encore 260 mères moutons dans ces vallons... Pourquoi le golf ? Parce que c'est l'avenir, monsieur. Nous avons tout fait, sur ce terrain, mes fils et moi. Tout. Nous l'avons dessiné. Irrigué. Déboisé. Nous avons abattu 650 chênes, monsieur...
- Félicitations joyeux tôton! S'cusez, c'est une savoureuse expression de chez nous: joyeux tôton. C'est le pied, quoi! Ou comme on dirait chez vous: 650 chênes coupés, ça me branche!

Une Chrysler Voyager venait de se garer dans le parking. En descendit un couple dans la jeune trentaine...
- Un cadre supérieur de chez Champion, me souffla le maître des lieux, Champion les foies gras. Il est avec son amie. Ils viennent tous les mardis après-midi...

Le cadre supérieur foie gras portait un polo Lacoste et des bermudas à carreaux. Son amie était coiffée d'une casquette à visière et ceinturée d'un sac "banane" à la taille. Il sortaient tous les deux directement d'un supplément sur le golf de la revue "Piscines et Jardins"...
- Louis-Charles, s'égosilla le cadre, Louis-Charles, vous serez gentil d'accompagner madame au green de practice. Je vais aller faire quelques slices sur le huit...

Puis, le cadre supérieur foie gras embrassa sa dame sous la visière: "See you chérie"...

Je m'éloignai discrètement, sur la pointe des pédales. S'cusez, je veux dire, I leave that fucking place en pensant que si j'étais resté en France au lieu d'immigrer au Canada, je serais peut-être parfaitement bilingue aujourd'hui.

Deux kilomètres plus loin, la petite route coupait en deux la cour d'une ferme où s'ébrouaient des canards...
- Bonjour monsieur, c'est beau chez vous! Et puis, vous avez le golf pas loin pour vous amuser. Jouez-vous au golf?
- Pensez-vous! C'est pour les riches et les Anglais. Et puis ce n'est pas un jeu qui me plaît. Les prairies, c'est pour mettre des vaches, pas des Anglais...