Le lundi 24 janvier 1994
Ce qui m'étonne le plus dans les sondages sur les habitudes sexuelles des gens, c'est moins les résultats obtenus que l'idée elle-même du sondage, sa démarche, sa méthodologie, comme ils disent...
Ainsi, il y a vraiment des gens qui téléphonent, à l'heure du souper, à de parfaits inconnus, pour leur poser des questions aussi saugrenues que :
- Excusez-moi monsieur, avez-vous une maîtresse ?
- Combien de fois vous masturbez-vous par semaine, mademoiselle ?
- Bonjour madame, préférez-vous les petites, ou les grosses queues ?
Et ici encore, ce qui m'étonne le plus, ce n'est pas que les gens répondent, c'est que les sondeurs tiennent ces réponses pour vraies. Que dis-je, pour vraies, pour scientifiques, à la restriction de la marge d'erreur habituelle de 3,2%.
Vous êtes drôles, Léger et Léger, avec vos 16 p. cent de Québécois qui ont un amant ou une maîtresse. Nonos ! Naifs ! Pour ne parler que des hommes, mon sondage personnel, étalé sur 50 ans de vie, me dit que sept hommes sur dix couraillent, ont couraillé, ou courailleront quand l'occasion se présentera. Et de ceux-là, dix sur dix mentent quand on leur demande s'ils couraillent, ont couraillé ou courailleront.
L'énorme mensonge que l'Homme et sa Fiancée cultivent et entretiennent dans leurs relations amoureuses en général, et sur le cul en particulier, est mon plus grand sujet d'étonnement dans la vie. Je viens de vous dire que sept bonhommes sur dix couraillent, eh bien ! combien vous pariez que sur dix femmes qui sont en train de me lire maintenant, neuf et demie croient que leur chum est dans les trois corrects ?
L'homme ment effrontément, et je suis toujours abasourdi par l'aveuglement que met sa fiancée à le croire malgré tout. J'en sais souvent plus sur un homme, que je viens de rencontrer il y a dix minutes, que sa blonde qui vit avec depuis cinq ans...
Mais l'homme n'est pas seulement menteur, il est aussi puritain. Sur la masturbation par exemple. S'il y a une question qu'un gars ne peut pas poser à son meilleur ami, c'est bien : " Te crosses-tu de temps en temps ? "... Alors imaginez la même question posée par un inconnu, au téléphone, à l'heure du souper. C'est sûr que ce ne sera pas la vérité.
Il est aussi très mal élevé de demander à ses amis s'ils ont une maîtresse. Il peut arriver qu'on le sache, mais on ne le demande pas... L'été dernier je ne sais pas ce qui m'a pris, je pédalais côte à côte avec un ami de longue date, et sans avertissement, alors qu'on était tout à notre effort, je lui dis : " Cout'donc, Chose, tu courailles-tu ? " Il a fini par bafouiller : " C'est pas de tes affaires ! " mais il avait cet air douloureusement éberlué du gars à qui on vient de rentrer un tournevis dans l'oreille, et toute son attitude me reprochai t: les vrais amis ne posent pas ce genre de question ! OK.
Tout cela pour vous dire que les sondages sur les habitudes sexuelles des Québécois, des Bulgares ou des Moldaves, c'est toujours de la foutaise. Je ne vois pas pourquoi ce que les hommes ne disent pas à leur blonde et ne se disent même pas entre eux, ni à eux-mêmes, je ne vois pas pourquoi ils iraient le dire à des inconnus, au téléphone, à l'heure du souper :
- Vous masturbez-vous ? Êtes-vous fidèle ? Êtes-vous en amour ?
Celle-là, c'est le bouquet ! Léger et Léger nous apprend que " près des trois quarts des Québécois sont en amour " !
L'amour ! Tout de suite les grands mots. Ils auraient pu dire la tendresse, l'affection, la gentillesse, le respect. Non, l'amour. Êtes-vous en amour ?... Mais à cette question-là non plus, l'Homme et sa fiancée ne répondent jamais pour vrai. Un certain nombre s'en tirent en vous retournant la question : " Qu'entendez-vous au juste, par être en amour ? "... Et beaucoup d'autres se méprennent : au lieu de " Êtes-vous en amour ", ils croient entendre que vous leur demandez : " Aimez-vous l'amour ? ".
Bien sûr. Tout le monde aime l'amour. Tout le monde aime le bonheur. Les gens veulent si désespérément être heureux, que lorsqu'on leur demande s'ils le sont, ils vous disent oui, certainement, absolument. Les trois quarts des gens, selon Léger et Léger.
Bien sûr. Personne ne veut être dans le quart de crottés qui trompent leur blonde, personne ne veut être du quart infâmant d'éjaculateurs précoces, un peu sourds à force de se crosser plus souvent que le macaque du zoo de Granby...
- Êtes-vous en amour, monsieur ?
- Bien sûr !
Bien sûr. C'est l'avantage des sondages sur le bonheur : ils font des heureux.
TIBET, SUITE ET FIN -
C'est entendu : le Club Aventure remboursera au complet les sept partants payants de l'expédition manquée Tibet à Vélo.
Cette randonnée, à laquelle je participais en novembre dernier, devait nous mener à Katmandou à travers la chaîne himalayenne. je ne reviendrai pas sur les raisons techniques de notre abandon, cinq jours seulement après notre départ de Lhassa, mais puisque j'ai allégrement planté le Club Aventure dans cette histoire, le moins que je puisse faire maintenant, c'est de souligner l'empressement qu'a montré le Club Aventure à réparer ses torts, en offrant un remboursement complet aux voyageurs déçus.
Au cours de retrouvailles fort sympathiques, l'autre samedi, le PDG du Club, Lionel Allard, nous a d'abord offert de reprendre la même expédition en septembre prochain, déclenchant, involontairement, l'hilarité de toute la gang...
Ce n'était pas vraiment une blague puisque le voyage se refera effectivement à l'automne, même que trois audacieux à pédales se sont déjà inscrits comme partants. D'autres suivront, j'en suis sûr, qUi voudront réussir là où nous avons échoué. Je ne suis pas du tout inquiet pour eux : le Club Aventure, veillera, cette fois, à ce que l'intendance suive.
Loin d'être une mission impossible, cette traversée himalayenne a été réussie cet été par Pierre Balthazard et Cheryl Joseph, de Montréal, et Lynette Hill, de Vancouver, qui ont rejoint Katmandou sans aucun support technique, en traînant toute leur bouffe dans les sacoches de leurs vélos de fortune, achetés à la dernière minute à Lhassa !
Ça c'est du tourisme de révélation ! Une de ces aventures où l'on a rien à prouver, sinon que le bonheur pur existe.