Le mercredi 22 juin 1994
Kearny, New Jersey,
Les rues pavoisées aux couleurs de la coupe, des banderoles, dans toutes les vitrines la grosse face de Tony Meola, le gardien de l'équipe américaine, pas un restaurant qui n'invite à suivre les matches sur son écran géant, enfin une ambiance de soccer....
Kearny, 40 000 habitants, se proclame la capitale du soccer en Amérique du Nord.
Coincée entre Jersey City et l'aéroport de Newark, Kearny est une petite ville de pizzerias et de tavernes où les employés des deux grandes aciéries vont jouer au pool en montrant leurs tatous. Une petite ville rock'n'roll comme on en trouvait dans les premiers disques de Bruce Springsteen.
Mais pour les journalistes, Kearny est surtout, ces jours-ci, le hometown de quatre joueurs de l'équipe U.S.: Tony Meola, les milieux de terrain John Harkes et Tab Ramos; quant à Claudio Reyna, qui a compté le but contre la Suisse, il vient de Springfield, juste à côté, mais il a joué tout son soccer à Kearny. C'est ainsi que, sans se vanter le moins du Monde, Kearny peut se proclamer la capitale du soccer en Amérique du Nord.
Pourquoi Kearny et pas les dizaines de petites villes voisines toutes semblables ? Parce que le prélart mon vieux ! Une usine de prélart écossaise est venue s'installer à Kearny il y a un demi-siècle, des ouvriers écossais sont venus avec, ils ont tout de suite fondé le Scots American club, des douches en bas pour les joueurs de l'équipe de soccer, un bar en haut pour les pères. Le Scots American est toujours là. Coin Highland et Paterson. On y retransmet toujours les matches de la première division anglaise, le dimanche.
Plus tard sont arrivés les Polonais, les Italiens, les Irlandais. Réplique exacte du Scots, le Irish American Club sur la main annonce son écran géant et sa Guinness à 2$ les 22 onces « pour les membres seulement ».
À l'intérieur, la majorité des clients tournaient le dos à l'écran et au match ( Allemagne-Espagne )...
- Guinness s'il-vous-plaît. Mais je ne suis pas membre...
- Mais si, mais si t'es membre!
Je me suis tout de suite fait des amis comme je m'en serais fait dans n'importe quel pub de Cork ou de Galleway. Ils étaient tous plus ou moins gelés, mais bon, les Irlandais sont les seuls ivrognes que je tolère. Ils ne vomissent jamais sur vous sauf si vous êtes Anglais. Celui-là, en bleus de travail a commencé par m'appeler Sonny, puis «Sonny baby», puis quand on a été vraiment intimes, il m'a confié un grand secret. Il venait de remonter ses culottes, de replacer sa casquette, puis il a roté profondément comme quelqu'un qui s'apprête à passer à autre chose :
- Vous partez, me suis-je étonné ? Au milieu du match ?
Il m'a fait signe d'approcher pour me parler dans l'oreille:
- Je m'en vais voir jouer les Yankees.
- Com'on ! Du baseball ? En pleine Coupe du Monde de soccer ?
- Chut...
Il faisait semblant d'être épouvanté. Toujours dans mon oreille, il a ajouté : « On sera tous là demain pour voir jouer nos gamins contre la Colombie. Et, of course, on ne manquera pas un match de l'Irlande. Mais à part ça, je te le dis juste toi, ici à Kearny, dans la capitale du soccer en Amérique du Nord, tout le monde préfère le baseball.
Chut...
Vinnie Meola, le père de Tony, le gardien de l'équipe américaine, tient son très modeste salon de barbier à East Rutherford, juste à côté du Piccolo Fiore, le resto italien où j'ai pris mes habitudes.
Le patron du resto connaît Vinnie comme ça en voisin : « Non, il ne mange pas ici. Il mange chez lui à Kearny. Un vrai Italien. Travaille beaucoup, économise chaque sou. Ce n'est pas un homme riche. Il est parti pour Detroit à la dernière minute... voir jouer son fils à la dernière minute. »
Sur la porte du salon il est écrit que le barbier Vinnie est parti pour la Coupe du Monde et qu'il ne sait pas quand il reviendra.
Ça dépendra beaucoup de son fils.
Chinois pas content- Vingt journalistes chinois couvrent la Coupe du Monde de soccer qui est, de très loin, le sport le plus populaire en Chine. Loin devant l'athlétisme, le volleyball et le basketball...
- Et au Canada ? m'a demandé Chou qui travaille pour la télé de Canton ou de Shanghaï je ne sais plus. J'ai perdu sa carte. Anyway. Les journalistes chinois sont les plus « mémères » de la terre. Veulent tout savoir. Es-tu marié ? Des enfants ? Combien tu gagnes ? T'envoies par modem ou par fax ? Comment c'est le Canada ? Pathétique ? Qu'est-ce que c'est « pathétique » ? Malade ?
- Well, un peu malade, beaucoup ridicule.
À mon tour de poser des questions. As-tu une soeur ? À suces-tu ?
Il ne m'a pas trouvé drôle du tout.
Vous non plus, je suppose.
La faute des Japonais - Si les Argentins gagnent la Coupe du Monde (c'est possible), ce sera un peu la faute des Japonais.
Rien n'allait plus dans cette équipe humiliée 5-0 par la Colombie, qualifiée de justesse devant les modestes Australiens, et troublée par la saga de Maradona qui rejouait, qui rejouait plus, déprimé, trop gras, suspendu...
Là-dessus les Japonais, en vertu de leurs lois sur les drogues, refusent à Maradona son visa d'entrée au Japon où les Argentins devaient disputer un tournoi amical.
L'union sacrée autour de Maradona a relancé l'équipe qui a annulé son voyage au Japon, le pays a pris feu, une grenade a explosé à l'ambassade du Japon à Buenos Aires, Maradona a retrouvé sa taille de jeune homme, c'était reparti comme en 86...
On a vu le résultat hier contre les infortunés Grecs. Des Argentins éblouissants. Trois buts de Batistuta, mais bien sûr on retiendra surtout celui de Maradona, et ça m'énarve.
Maradona a joué un match honnête hier. Et compté un beau but. C'est vrai. Et cela en dépit du marquage rugueux des défenseurs grecs. C'est vrai aussi. Mais ça ne change rien, ce type me tombe sur le coeur. Ses grimaces, son show de vieux cabot, cette façon de putasser avec le public, pas capable.
Ce type pue, mon vieux.
Baggio et la pression - Le match le plus spectaculaire du premier tour ? Colombie-Roumanie.
La plus grosse impression: l'Allemagne hier en deuxième demie. Puis le Brésil et l'Argentine, mais devant une moindre opposition.
La déception ? L'Italie bien sûr.
L'Italie qui va perdre demain contre la Norvège.
Essentiellement parce que Sacchi n'aura pas le guts de remplacer Roberto Baggio.
J'entends les Italiens hurler d'ici. Qu'est-ce qui connaît là-dedans lui ?
Bof, pas besoin d'être un grand expert pour reconnaître un choker. Et Roberto Baggio est peut-être le meilleur joueur du monde mais c'est aussi un choker. Il disparaît sous la pression.
Capite tutti ?