Le mardi 4 août 1998
PARIS
Yvon Sanquer tombe bien mal. D'abord il fait un métier inavouable et presque honteux ces jours-ci : directeur sportif d'une équipe cycliste professionnelle. Et en plus il arrive en fin de contrat. La Mutuelle de la Seine-et-Marne se retire du cyclisme à la fin de la saison.
Au fait, c'est avec l'équipe de la Mutuelle que court actuellement le Montréalais Steve Rover. C'est aussi avec la Mutuelle que Gordon Fraser avait fait le Tour de France l'année dernière. La Mutuelle avait prévenu qu'elle ferait trois ans dans le vélo et qu'elle passerait la main. Elle en a fait quatre, elle se retire satisfaite. N'empêche que Sanquer est devant rien. C'est comme ça que ça se passe dans le vélo. Quand un sponsor se désengage, l'équipe se retrouve à la rue. Littéralement. Plus de local. Plus de véhicules ni de soutien technique. Ta valise et ton vélo sur le trottoir. Et tu vas où ?
Yvon Sanquer cherche un nouveau sponsor.
Nous sommes dans son bureau, un petit pavillon sur le terrain du siège social de la Mutuelle, dans la banlieue est de Paris.
- Pas besoin de vous dire que les scandales du tour me compliquent la tâche. Les sponsors potentiels attendent que la crise soit passée pour se manifester. Ils veulent s'associer à une fête, pas à un scandale...
Une prolongation avec la Mutuelle ?
Sanquer hausse les épaules. Cela se passe de commentaires. La Mutuelle vend de l'assurance santé. SAN-TÉ ! Après ce qui s'est passé dans le Tour vous choisiriez des coureurs cyclistes professionnels pour passer un message de santé ?
- Vous dirigez la plus modeste des équipes professionnelles françaises. Modeste par le budget : six millions et demi de francs ( à peu près ce que dépensent les Festina en pharmacie ), et modeste par les résultats : vous n'avez pas été retenu pour le Tour de cette année, ce qui est peut-être, après coup, une bonne affaire. Ma question si tout le monde marchait à l'eau, seriez-vous aussi modestes ?
- Vous ne me piégerez pas sur ce terrain-là. Je sais que tout le monde accuse tout le monde en ce moment, mais justement, ne comptez pas sur moi pour vous dire que mes coureurs sont modestes parce qu'ils sont honnêtes, eux ! Je ne crois pas au dopage généralisé.
- Êtes-vous convaincu que vos coureurs sont clean ?
- Je suis un éducateur sportif. Mon travail, et dieu sait que je l'aime, c'est de développer le potentiel des jeunes coureurs sous ma responsabilité. Nicolas Jalabert est passé chez nous, et Christophe Rinero qui vient de terminer quatrième du Tour. Le soir je me couche très tard parce que j'étudie, sur ordinateur, les enregistrements des moniteurs cardiaques de tous mes coureurs. Mais je n'analyse pas leur pipi : Dans le contrat type de l'UCI qui lie un coureur a son équipe il y a trois lignes qui disent que le contrat devient nul en cas de dopage du coureur. Cela me suffit.
Sanquer est bien ce qu'il dit : un éducateur. Il jouit d'une grande réputation dans le cyclisme français. On lui prête de l'altruisme et des convictions saines sur le métier. Mais c'est aussi un homme du milieu, fidèle au milieu. " Il est sans doute prêt à entendre les vérités qui sont sorties du Tour, et prêt à prendre des décisions intelligentes, mais il n'est pas prêt à les partager avec un journaliste ", m'avait prévenu un confrère du Monde. Bien vu confrère.
Ils sont d'ailleurs très nombreux ceux, comme Sanquer, convaincus que la solution ne peut venir que du milieu, et que la première chose à faire c'est de fermer sa gueule, surtout en présence des journalistes, et que la seconde chose à faire est de fermer la porte et de discuter entre initiés.
- Au fait, comment va Steve Rover ?
- Il est en Allemagne, il prendra le départ jeudi du Reggio Tour, une course à étapes qui part de Fribourg. Après un début de saison malchanceux, il va beaucoup mieux notre petit Canadien.
Steve Rover aussi se cherche une équipe. Il n'a jamais confirmé son extraordinaire Tour de l'Avenir 96. Deux débuts de saison gâchés par la maladie ou les blessures, à tout juste 26 ans, il a encore droit à un essai. Mais trouvera-t-il une équipe ?
C'est l'autre dramatique retombée du Tour 98. Moins de sponsors, moins d'équipes, moins de coureurs moins de cyclisme, à telle enseigne qu'il n'y a plus un grand club amateur dans la région parisienne depuis que l'ASPTT a fermé ses portes.
Quand le Tour va bien, il va trop bien.. Il draine tout le fric, tout l'intérêt, tous les efforts. Résultat moins de clubs, moins de courses, bref, moins de cyclisme en dehors du Tour. Quand le tour va bien il écrase le cyclisme, et quand il va mal il lui donne la vérole, fait que bon, si vous avez des enfants qui font les coureurs, dites-leur bien qu'ils pratiquent un sport qui est en train de crever.
J'ai peut-être une solution. Je suivais récemment une course au Québec dans une auto de presse en compagnie du président de la fédération canadienne de cyclisme, un monsieur charmant, au docte savoir vélocipédique, mais comment dire, un peu éteint, un peu mollasson et il m'est soudain apparu que c'était aussi le cas des dirigeants du cyclisme en général, ceux de l'UCI comme ceux du cyclisme français, tous petits valets du Tour. Et c'est là que l'idée m'est venue : toute cette dope que prennent les coureurs, il faudrait la donner à leurs dirigeants. Ils péteraient le feu, mon vieux.