Le jeudi 30 octobre 2003
Je vous préoccupés par la forme que prendra le bulletin scolaire de vos enfants. Lui mettra-t-on un A ou un14 ? Et cette cote ou cette note sera-t-elle établie d'après la moyenne de la classe ? D'après la progression de l'enfant ? Selon des critères plus objectifs ?
Allez, vous ne devriez pas trop vous inquiéter. Ils -- les hauts fonctionnaires du ministère de l'Éducation et leurs conseillers dans les universités, les décideurs, les théoriciens de la réforme - vont trouver un oyen de rendre parfaitement compréhensible ce bulletin tout en le formatant dans l'esprit de la réforme évidemment, et tout en laissant aux commissions scolaires la liberté de l'exprimer par une cote ou une note ou ce que vous voudrez. Ils - les mêmes que tantôt - n'en ont rien à foutre en autant que cette note ou cette cote évaluera bien des compétences et non plus des savoirs comme avant.
C'est justement de cela que vous devriez vous inquiéter. Non pas de la forme que prendra ce bulletin, mais de ce qu'il évaluera sur le fond. Que signifiera un 14 ou un A en mathématiques ? En tout cas cela ne signifiera pas forcément que votre enfant est bon en maths, ni qu'il aura bien retenu les leçons qu'on ne lui aura d'ailleurs pas faites, puisqu'il n'y a plus de leçons, ni de devoirs. Pour revenir à votre enfant, il aura mérité ce 14 ou ce A à la suite d'un projet de construction de cabane d'oiseaux ou, comme je l'ai lu dans les journaux, un projet de voiture de courses miniatures, il était du groupe des cinq qui ont mesuré la piste, c'est lui qui tenait le ruban à mesurer, on a noté sa grande capacité à s'intégrer au groupe on lui a donné un 14 ou un A. En tout cas, c'est un bon petit gars. Vous êtes content ?
Si vous n'êtes pas content, il est trop tard de toute façon. Si vous vous demandez pourquoi et comment on est passé de la transmission des savoirs à la transmission des compétences, vous ne trouverez plus personne pour répondre à votre question. Si vous insistez, on vous fera observer avec un rien d'agacement que le seul fait de la poser montre que vous êtes d'une autre génération. Puisqu'on vous dit que l'école de grand-papa est finie et que c'est tout l'Occident qui s'emploie joyeusement à déscolariser l'école. Puisqu'on vous dit que le débat est clos.
C'est faux pour l'Occident. L'Italie, l'Irlande, la France dont le ministre de l'éducation veut redonner la priorité à la transmission des savoirs appuyé en cela par des intellectuels aussi bien de droite (Finkielkraut) que de gauche (Sallenave, Debray), l'Occident refute de plus en plus les thèses pédagogistes qui ont inspiré notre réforme.
C'est faux aussi pour le débat. Il n'est pas clos. Il n'a jamais eu lieu. On a eu des batailles rangées entre experts , mais jamais le citoyen n'a été consulté, ni informé. Cette réforme a tout de suite été présentée comme inéluctable. Nous voilà à discuter de son bulletin, de son application, de l'intendance, mais jamais elle n'a été considérée d'un point de vue philosophique, jamais on n'a dit aux citoyens ce que signifiait cette pédagogie qui place l'élève au CENTRE de l'école, jamais on ne lui a expliqué que l'école ne peut pas être un lieu de vie, que le prof ne peut pas être un animateur , que les maths ne peuvent pas s'apprendre en construisant des cabanes d'oiseaux, ni en jouant à la marelle.
Et même si je me trompais. Si en l'état des choses, si, en notre état d'indifférenciation culturelle, l'école d'aujourd'hui ne pouvait plus être l'école d'avant, si cette réforme était bien incontournable, si, au nom de l'estime de soi, cette tarte à la crème de la pédagogie, cette réforme était un moindre mal ?
Soit. Mais alors l'enjeu valait bien qu 'on consulte la population. Un référendum, oui. Se choisir une école - une culture - est au moins aussi important que de se choisir un pays. Où avez-vous entendu qu'il avait été question de la réforme aux dernières élections ? Les péquistes qui en sont les pères ne parlaient que de l'accélérer; les libéraux quant à eux parlaient d'en retarder l'application au secondaire - on comprend maintenant que c'était pour mieux l'asseoir.
Il est quand même extraordinaire que dans ce pays hystériquement porté vers la démocratie directe au point d'en être parfois ingouvernable (les défusions par exemple), que cette société assez moumoune pour s'interroger à n'en plus finir sur le risque qu'elle va courir en tournant à droite au feu rouge, il est quand même extraordinaire que cette société pusillanime, toujours obsédée par l'idée de se faire fourrer par ses politiciens, il est paradoxal (mais pas tant que cela, en fait) qu'elle se laisse imposer aussi benoîtement un credo qui touche à sa langue, à sa manière d'appréhender le monde, à son rapport à l'objectivité, à la création, à la connaissance, à sa morale, qui touche à son être.
Les hyènes
Si j'étais instituteur - non non ce n'est pas une suite de la réforme, j'aborde ici un tout autre sujet -- , si j'étais instituteur en la bonne ville de Québec, si j'avais à développer les compétences transversales des enfants dont j'ai la charge, je les aurais fait ''transverser'' ce mardi matin au palais de justice de cette bonne ville du Québec où comparaissaient les neuf présumés clients du réseau de prostitution juvénile dont on parle tant.
Non non les enfants, je vous ne dirai pas comment fonctionne le tribunal, je n'entends rien aux procédures. Je vous ai amenés ici pour vous montrer quelque chose d'un peu particulier. Vous voyez les gens là-bas qui portent des pancartes et qui crient ''pourri, pourri'' quand passent les accusés ? Ils sont une cinquantaine environ. Ce sont des honnêtes gens. De bons citoyens. Et pourtant, ils puent.
Pourquoi ils puent monsieur ?
Parce que ce sont des lyncheurs.
Qu'est-ce-que c'est un lyncheur monsieur ?
Je viens de vous le dire, ce sont de bons citoyens qui puent.
C'est pas de leur faute monsieur ?
C'est leur nature. C'est comme la hyène, elle ne sait pas qu'elle pue. De retour dans la classe on aurait fait une recherche sur la hyène, ce mammifère fétide et carnassier, nous dit le Larousse, qui se nourrit sourtout de charogne.