Le samedi 22 novembre 2003
C'est la faute de ma fiancée et de cette manie qu'elle a de toujours me faire changer ci et ça avant de sortir. Tu ne vas pas aller en ville habillé comme ça, j'espère ?
Je ne vais en ville, je vais à Joliette.
Mets donc une chemise.
Je ne vais pas mettre une chemise pour jouer au basket-ball.
Je pensais que c'était une conférence dans une école …
Oui, mais avant la conférence, je vais jouer au basket-ball dans leur gymnase. Ils m'ont demandé si je voulais un cadeau, j'ai dit oui, je veux un ballon.
Change ta tuque, au moins.
Qu'est-ce qu'elle a, ma tuque ?
Il ne fait pas froid, mets une casquette.
J'ai mis ma plus belle casquette, celle des Grateful Dead avec la tête de mort sur le devant.
Pas celle-là !
Oh, fuck. J'ai pris n'importe laquelle, la grise, tiens. Bon, je peux m'en aller ? Mes caleçons, c'est correct, t'es sûre ?
Mais c'est ma faute aussi. Cela avait commencé innocemment par le courriel d'une jeune fille de cinquième secondaire qui me disait suivre un cours de journalisme à la polyvalente Thérèse-Martin, à Joliette. Elle m'invitait dans sa classe. J'aurais dû refuser. De chez moi, Joliette, c'est 175 kilomètres aller seulement. Aller-retour, pas loin de 400, avec le détour par Montréal. Quatre cents kilomètres pour pas grand chose, finalement. Pour être un peu utile, peut-être. Je compare ces échanges où l'on aborde tant de sujets différents à une poêlée de champignons. Cela réduit beaucoup, et à la fin il ne reste presque rien dans la poêle, deux ou trois mots qui feront peut-être leur chemin dans la tête des enfants. Peut-être …
Trois élèves sont venus m'accueillir en attendant leur prof, retenue à une autre étage. Nous marchions dans le couloir central de l'école quand soudain une dame se porte à notre hauteur. Je la voyais du coin de l'œil se hâter sur ses courtes pattes pour nous rejoindre et, quand elle y parvint, me lancer avec cette rogue autorité dont sont faits les gardiens de prison :
Votre casquette !
Je le jure, je n'y avais pas pensé. Si elle m'avait dit bonjour monsieur, excusez-moi, le port de la casquette est interdit dans l'école, seriez-vous assez aimable pour l'ôter, je me serais exécuté à l'instant. Je suis prêt à faire 400 kilomètres, je suis bien prêt aussi à enlever ma casquette. Mais elle a juste répété :
Votre casquette !
Pardon ?
Ôtez votre casquette
Non.
Vous n'avez pas le choix, c'est interdit.
Vous croyez ? Dites-le encore une fois et je décrisse .
Ah, c'est un bel exemple que vous donnez aux jeunes.
Allez donc chier, madame Chose.
J'ai vraiment dit ça : allez donc chier madame Chose. Je l'ai même crié à travers le couloir. Elle est allée rapporter l'incident à la direction de l'école, et là, on a dû songer un instant à me foutre dehors. On s'est contenté de s'assurer à distance que je n'allais pas mordre un prof, ou, va savoir, foutre le feu.
Une fois de plus, je vais passer pour un grossier personnage. Or, je ne suis ni un personnage, ni grossier. Je suis un vieux monsieur très attaché aux civilités. J'aborde toujours les gens en disant excusez-moi, ou pardon, ou plus directement bonjour monsieur, bonjour madame. Jamais tu. Jamais familier. Et j'attends de tout un chacun le même traitement. On peut me demander n'importe quoi. Je refuse presque tout le temps. Mais parfois, va savoir pourquoi, j'accepte de faire 400 kilomètres dans la même journée pour aller parler à des jeunes gens.
D'ailleurs, cela s'est très bien passé avec les enfants. Les enfants ! Presque des adultes : 16, 17 ans. Ils étaient une quarantaine. Leur prof à peine plus vieille qu'eux. Les mêmes questions que d'habitude, mais c'est l'écoute qui est différente d'une école à l'autre. C'est moi aussi, selon que ma conversation avec eux est innocente ou pas, je veux dire selon que j'ai décidé, par avance, d'en faire ou non une chronique. Cette fois, j'avais décidé que non et je ne me souviens plus très bien des questions. Il me reste cette impression de grande écoute, une bénédiction parce qu'alors vous n'êtes pas obligé de faire le clown pour assurer le show, vous pouvez aller à l'essentiel. Ce qu'il y a d'extraordinaire quand on parle à des enfants qui nous écoutent - et qui ne sont pas les nôtres, bien entendu, la magie ne joue pas quand ce sont les nôtres --, c'est qu'on a vraiment l'impression de leur transmettre quelque chose. Ce que je leur transmets en si peu de temps ? Un doute. Après avoir fait mijoter ma poêlée de champignons une heure et demie, c'est ce qui reste au fond de ma poêle : un doute.
Bien sûr, l'incident de la casquette - que j'avais toujours sur la tête - a fait l'objet d'une question. Pensez-vous que l'on doive toujours suivre les règles ?
Toujours, mademoiselle. Toujours s'y soumettre, d'abord. D'abord les apprendre. Les comprendre. Je dis d'abord parce que c'est la moindre des choses, mais n'attendez pas que je vous dise pour les transgresser ensuite . On peut très bien passer sa vie à observer les règles et n'être ni une moumoune , ni un tôton . Un honnête homme, c'est beau aussi.
Mais votre casquette ?
La, vous confondez la règle et le flic. Si j'avais connu la règle, je n'aurais pas mis de casquette. Je mets une casquette sans savoir et voilà qu'arrive un flic….
Il faut toujours envoyer chier les flics. Toujours. Je ne collabore jamais avec eux. Jamais. C'est une règle absolue.