Le vendredi 7 juillet 2006


La petite flamme
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 2006

Hanovre

Quand j'ouvre mon ordi le matin je vais aux dernières nouvelles d'athlétisme, de vélo, de basket, de hockey, à peu près dans cet ordre. Jamais le foot. Il y a deux mois vous auriez pu me faire croire que Ribéry était un joueur de tennis. Alors que j'écrive, après Fance-Togo, que la France ne se rendrait pas en quarts de finale, bof, ça vient d'où ça vient. Mais au fait, que disaient ces bibles du foot que sont France Football? FourfourTwo? L'Équipe? Et tous les autres docteurs es-football?

Ils disaient exactement comme moi. Ils disaient: la France? Ah! ah! ah! la France! Questions posées par L'Équipe du 21 juin: Pourquoi Raymond Domenech- le sélectionneur des Bleus- est-il incohérent? Pourquoi ne décide-t-il jamais de rien? Pourquoi a-t-il semé la discorde entre les nouveaux et les anciens?

On n'était pas loin du lynchage, trouvez pas?

La France qui venait de faire match nul contre la Suisse et la Corée, la nullité de Zidane dans le match contre la Corée justement (il quittera le terrain furieux contre Domenech), la France du premier tour c'était n'importe quoi, sauf une équipe.

Mais voilà soudainement que cette non-équipe, touchée par la grâce, livre deux matches lumineux. Contre l'Espagne et le Brésil. Contre l'Espagne surtout, mais on a retenu le Brésil, parce que c'est le Brésil et que Zidane a fait dans ce match-là un grand numéro.

Ne me dites pas que c'était calculé. La fameuse « montée en puissance », mon cul. Cela voudrait dire que la France jouait médiocrement exprès au premier tour. Au risque de se faire éliminer, ce qui aurait très bien pu arriver d'ailleurs. Votre montée en puissance ne tient pas debout.

Alors? Alors il ne faut pas chercher l'explication dans le foot. Ni dans le plan de match. On n'est plus dans le sport. On est dans la tête, plus préciment dans ce recoin de la tête où vacille cette petite flamme que l'on appelle la confiance. Qu'elle s'éteigne, c'est le noir. Qu'elle monte trop, elle brûle (les Brésiliens se sont brûlés).

La flamme des Français est venue tout près de s'éteindre, en fait elle s'est éteinte durant le match contre le Togo. Vers la 50e minute, les Français étaient dans le noir, c'est alors que le meilleur d'entre eux, Patrick Vieira, peut-être aussi le meilleur joueur de la Coupe, dans un geste presque désespéré, a soufflé sur la cendre encore chaude, il a eu de la chance: la flamme est revenue, chétive, tremblottante, mais elle était là. Et les autres, comprenant qu'ils l'avaient échappé belle, se sont mis à souffler dessus aussi.

Je l'ai vérifié souvent, les athlètes passent leur temps à parler de confiance, mais n'ont aucune idée de ce que c'est. Ils pensent que c'est de la magie. J'ai devant moi une photo pleine page de David Beckham dans Fourfourtwo, les bras écartés, sûr de lui, ce n'est pas une pub, c'est un message aux Anglais: « It's all about belief. If you believe you'll beat Brazil, then you will ». C'est exactement ce que n'est pas la confiance. De la magie. Une recette. Une formule. Un truc qui se tartine comme de la confiture, envoye mets-en, c'est bon.

L'équipe de France est en train d'en faire la démonstration, la confiance qui donne des ailes, c'est celle qu'on retrouve. Pour la retrouver il faut l'avoir perdue. La confiance qu'on a naturellement en soi, comme on a du cholestérol ou de l'albumine ne sert pas à grand chose, sauf à se péter les bretelles (comme les Anglais et les Brésiliens). C'est le processus qui donne des ailes, la joie, mêlée de gratitude, de voir que la petite flamme est revenue. En prendre soin. La faire grandir. Mais pas trop. Je ne sais pas comment vous expliquer, mais 80 % de la confiance utile, celle qui mène au dépassement est faite d'humilité.

Est-ce que cela signifie, maintenant, que les Français sont pleins de confiance, qu'ils vont gagner la Coupe? Pas forcément. Un match de foot n'est pas seulement affaire de confiance. C'est aussi affaire de foot. Faut vraiment tout vous expliquer.

Et question foot, sur papier, les Italiens ont toute une équipe! On n'a pas à se demander, comme pour les Français, ce qu'ils foutent en finale. C'était prévu, c'est normal qu'ils soient en finale. Accrochés par les États-Unis, chanceux contre l'Australie en quarts, mais dominants contre les Tchèques, contre l'Ukraine, et surtout cette colossale victoire en demi-finale, contre l'Allemagne, dans le chaudron du stade de Dortmund.

Ce n'est pas de les retrouver là qui surprend. En fait, rien ne surprend. C'est l'Italie comme d'habitude, dans toute sa splendeur bordélique. Comme d'habitude la guerre totale entre les joueurs et les journalistes italiens. Comme d'habitude un scandale en fond de scène, énorme, dont on fait le procès depuis une semaine à Rome. Et pour finir un aparté tragique- la tentative de suicide d'un ancien international, grand ami de deux ou trois joueurs actuellement en Allemagne.

Je viens de recevoir un courriel d'amis turinois: nous prions pour que les Français battent cette équipe berlusconienne, j'espère que ces bandits ne vont pas rentrer au pays couverts de gloire et faire oublier qu'ils ont triché, acheté des arbitres, parié sur des matches, appartenu à une organisation de nature maffieuse.

Le plus grand scandale de l'histoire du Calcio. Tricherie organisée, arbitres achetés, le parrain du réseau est le directeur de la Juventus, Luciano Moggi, la Juventus qui sera reléguée en deuxième ou troisième division. Cinq clubs compromis dont le Milan AC de Berlusconi. Deux ministres éclaboussés, ainsi que les plus hautes instances de la ligue. Des arbitres, des journalistes, des agents de joueurs, 29 entraîneurs dont Mario Lippi, l'entraîneur de l'actuelle Squadra. Sont compromis également des joueurs comme Cannavaro, Materazzi et Nesta actuellement en Allemagne; tandis qu'une autre enquête, sans lien avec la première, implique deux autres internationaux, le gardien Buffon et Vincenzo Iaquinta dans un réseau de paris clandestins.

J'ai éclaté de rire en lisant l'autre jour la manchette d'un quotidien de Turin: La coupe d'abord. La justice on n'est pas pressé.

On ne peut pas mieux résumer l'Italie.

Dans leurs déclarations lapidaires et provocatrices, les joueurs balancent des énormités du genre: on joue pour laver notre honneur! Me demande si un coup parti, ils ne laveraient pas aussi mes caleçons, ça fait un moment que je n'ai pas fait un petit lavage à la main.

Ah Italie, Italie. J't'aime. J't'ayis.