Le vendredi 14 juillet 2006
Lourdes
Par quoi je commence? Par la vic toire de Denis Menchov? Par le maillot jaune de Landis? Par la totale déroute des Discovery? Par la nullité tactique des Allemands? Par la superbe course des Rabobank? Par la résurrection de Leipheimer?
Par les ours? Il y a des ours dans les Pyrénées. Une vingtaine qui mangent des brebis. Des ours réintroduits par les services publics, ce qui fâche grandement les éleveurs. Feraient mieux de réintroduire des paysans au lieu de réintroduire des ours, m'a-t-on dit à Lourdes où j'ai finalement trouvé à me loger- ô combien! loin de la course- il n'y a presque plus de paysans dans nos montagnes!
Quand même, 20 ours ne peuvent pas tant déranger...
Ils effraient les brebis qui se jettent dans les ravins, 120 massacrées l'autre jour au-dessus d'Arrau.
Croyez-vous les ours capables de manger des coureurs cyclistes? Il en manque...
Il manque des coureurs?
Oui, tous ceux de la Discovery Channel. Tous disparus.
Ce 13 juillet 2006 restera comme la déroute de l'équipe de Lance Armstrong après sept ans de règne absolu. Quelle claque. Quel effondrement. Cela a commencé par Savoldelli, suivi de la grande débarque de George Hincapie qui franchira la ligne près de 20 minutes après Menchov. Popovych hors du coup aussi. Azevedo a réussi à surnager, mais à peine. Vous pouvez rayer de la carte du Tour 2006, les Discovery Channel. On annonce l'arrivée de Lance en début de semaine, je ne vois pas bien ce qu'il va venir faire, à part les traiter d'incapables.
Alors par quoi je commence? Par un miracle, je suis à Lourdes. Sérieusement, j'ai envie de commencer par le moins évident. Par la course des petits Français de AG2R, et je dis « petits » avec beaucoup d'affection. Il n'y a pas eu de miracle. Ils n'ont pas réussi à sauver le maillot jaune de Cyril Dessel.
À mille lieues des fanfaronnades d'un Virenque, et même de la prétention d'un Christophe Moreau, il est depuis toujours, en tout cas depuis que je couvre le Tour de France, une race de petits coureurs français, modestes, allumés, souvent très drôles, qui font leur métier avec une passion d'autant plus admirable qu'ils sont à l'eau claire depuis le scandale Festina. Ainsi les Moncoutier, les Thomas Voeckler, les Christophe Le Mével, et le héros de l'étape de mercredi, ce Cyril Dessel. Des coureurs qui doivent à leur anonymat de gagner une course de temps en temps, comme Dessel mercredi à qui le peloton, distrait, a donné beaucoup de corde, et qui s'est retrouvé avec le maillot jaune à Pau.
OK, champagne pour tout le monde.
Sauf que le lendemain, hier donc, c'était la grande étape pyrénéenne. Cinq cols, Tourmalet, Aspin, Peyresourde, le Portillon et le Val d'Aran. Au programme également: la première bagarre des favoris. Tu t'appelles Cyril Dessel, tu grimpes plutôt bien, tu roules plutôt bien, mais tu mets rien dans tes céréales et tu réalises tout d'un coup que la corde que le peloton t'a donnée la veille, c'était pour te pendre.
Pour défendre ce maillot jaune dans cette étape monstre où les ténors vont se relancer, t'as des coéquipiers qui ne mettent rien non plus dans leurs céréales, qui s'appellent Goubert, Gerrans, Calzati. Calza qui? T'as aussi Moreau, mais Moreau, c'est un des favoris du Tour (enfin, c'est ce qu'il croit) et ton maillot jaune contrarie ses projets, les ressources de l'équipe sont mises à ton service plutôt qu'au sien, d'ailleurs pendant la course, il va aller chialer à votre directeur technique: Pis moi?
C'est parti. Nous voilà dans le Tourmalet, le plus mythique des sommets pyrénéens, le plus âpre aussi, et qui mène le train? Oui, oui, oui, les maillots bleus des AG2R, les Calzati, Arrieta, Goubert, Dessel. Ciel! monsieur le marquis, c'est la révolution, la domesticité s'est invitée à prendre le thé au salon, qu'est-ce qu'on fait?
On ne fait rien, mon brave, ils finiront bien par s'en aller. Mais dans Aspin, ils sont encore là. Dans Peyresourde, ils ne lâchent presque rien. Dans le Portillon, un peu plus. Dans la montée finale, c'est dur, oh! que c'est dur. Dessel, isolé, se bat la gueule ouverte; à la fin, il perdra son combat par huit malheureuses secondes. Il en sourit à l'arrivée en écartant les bras: On s'est battu, on a perdu.
On aura du mal à trouver plus sympathique, dans le sport, que le combat d'arrière-scène des no-bodies. Les humbles n'ont pas d'équipiers pour les aider, ils ont mieux: ils ont des copains. Si le cyclisme finit par ne pas crever de ses turpitudes et de ses boursouflures, il ne faudra pas oublier d'en remercier Dessel et ses copains.
Bon, je suppose que vous voulez savoir maintenant qui a gagné cette première véritable étape du Tour? Denis Menchov. On ne parle pas beaucoup de ce Russe très discret. Meilleur jeune en 2003. Vainqueur du Tour d'Espagne, l'automne dernier, après la disqualification de Heras pour dopage. On dit de lui qu'il est capable de suivre les meilleurs. Le problème, c'est qu'il ne les attaque jamais. Hier, on l'a pourtant vu faire ce truc qu'il ne fait jamais: attaquer. Oh! timidement et comme à regret. Mais il l'a fait. C'est d'ailleurs sur son attaque que Klöden a coincé et perdu le Tour.
Et il a bien fallu que Menchov attaque une autre fois pour régler Leipheimer et Landis au sprint. Rabobank- l'équipe de Menchov- a fait une course exemplaire, Rasmussen, mais surtout Michael Boogerd ont abattu un énorme travail dans la montée de Val d'Aran pour mettre Menchov en orbite.
Pour couper court à une histoire déjà longue, je vous dirai que ce fut une course par élimination comme c'est presque toujours dans ces étapes de montagnes avec une arrivée en altitude. Tout se joue dans la dernière montée. À la fin, ils n'étaient plus que cinq. L'Américain Floyd Landis. Le Russe Denis Menchov. Levi Leipheimer, Américain aussi, ressuscité d'un début de Tour désastreux. Et légèrement en retrait, l'Australien Cadel Evans et l'Espagnol Carlos Sastre.
Le vainqueur du Tour sera un de ces cinq-là, et comme ce ne sera pas Carlos Sastre, ni Cadel Evans un ton en dessous, ni Leipheimer qui n'est plus dans le coup...
Le Tour, qui retombe à partir d'aujourd'hui dans la morne plaine pour trois étapes de transition, se jouera mardi et mercredi dans les Alpes. Le match annoncé: Floyd Landis contre Menchov et les Rabobank. Landis a passé la journée tout seul. Pas un Phonak pour l'aider. Cela n'a pas eu l'air de l'inquiéter.
Les Rabobank réussiront-ils à l'isoler?
Mais les Allemands? me demandez-vous. Vous n'avez rien dit des Allemands. Est-ce que les ours les ont mangés? Non, c'est la connerie qui les a mangés. Quels joyeux totons. C'est la T-Mobile qui, la première, a sonné la charge dans Peyresourde. Kessler, Rogers, Sinkewitz... On se disait que ça allait faire mal tout à l'heure quand Klöden en remettrait une couche... et Klöden s'est fait larguer! Il n'y avait plus un T-Mobile en avant. Expliquez-moi.
Non, m'expliquez pas. Je vais me coucher.
JOGGING- En route, parce que j'en avais assez de la route (et de la canicule), je suis allé jogger dans un lieu dit le Bois de la Paix. Le sentier que j'ai emprunté longeait la rivière, s'en éloignait parfois pour entrer dans une chêneraie, revenait à la rivière. Il y a des endroits comme ça, l'ombre fraîche, la lumière, on a l'impression d'avoir 30 livres et 30 ans de moins, ça faisait longtemps que je m'étais senti aussi bien dans ma course, le sentier est devenu le lit d'un torrent, ça montait longtemps, en haut, j'ai débouché dans une prairie et là, à mes pieds, en contrebas... Tiens, j'ai envie de vous laisser deviner, qu'y avait-il donc en contrebas pour m'arracher ce sourire?
Un indice: tant de perfection pour en arriver là, quelle ironie.
Un autre indice pour les foot-foot des communautés culturelles qui vont un peu moins vite: j'ai dit que le lieu s'appelait le Bois de la Paix. Disons de la grande Paix.
Alors, quoi?
AUJOURD'HUI- Luchon-Carcassonne, 212 km, longue et chaude étape, parcours vallonné, rien de difficile- mémo aux cyclos: minuscules et superbes routes à vélo entre Carcassonne et les Pyrénées que n'emprunteront évidemment pas les coureurs, mais vous...- revenons à la course, ce sera la première de trois étapes de transition, d'un tour de transition qui n'est pas parti pour passer à l'histoire. Qu'est-ce que je disais? Ah oui, qu'aujourd'hui c'est le 14 juillet. Pis? Pis.