Le jeudi 20 juillet 2006
La Toussuire
C'est alors que tout explosa. La course. Le Tour. Et notre tranquille certitude que Floyd Landis allait gagner le Tour. Boum dans la gueule.
Que s'est-il vraiment passé?
Une première alerte, dès le début de la montée finale vers La Toussuire. Ne restaient plus que les 17 derniers kilomètres de cette étape monstrueuse et tout était encore comme la veille. Landis montait tranquillos dans les roues d'un peloton encore gros d'une vingtaine de coureurs. C'est alors que Menchov accélère... Landis est surpris, les T-Mobile aussi. Menchov n'ira pas loin, Landis revient dans la roue des T-Mobile. Ouf!
Que s'est-il vraiment passé alors?
Je crois que tout est arrivé à cause de Carlos Sastre, le grimpeur de la CSC. Il a vu que Landis était au point de rupture. À quoi l'a-t-il vu? À sa façon de respirer la bouche ouverte. À son coup de pédale. À rien peut-être. Peut-être a-t-il juste senti. Les coureurs sont des chiens, la course une chasse à courre, les coureurs savent à l'instinct quand c'est le temps de la curée. Sastre a placé une violente accélération et Landis a sombré tout de suite. Les jambes n'ont pas répondu. La tête a flanché. Ce fameux jour « sans » dont il est coutumier. Landis a terminé à plus de 10 minutes, il ne sera pas sur le podium à Paris.
Devant, la course explosait. Excusez. Il y a deux devants. Loin, loin devant, l'irascible Danois au pattes de poulet, Mickael Rasmussen, parachevait son formidable raid, il a passé les quatre cols de la journée en tête, le matin il avait dit à son directeur technique, fuck Menchov (son leader), fuck la job, aujourd'hui je cours pour moi, je vais chercher l'étape et le maillot à pois. C'est ce qu'il a fait. Rasmussen est à 20 minutes au classement général, c'est de loin le meilleur grimpeur du Tour, mais il n'énerve personne pour la victoire finale.
Revenons maintenant là où se jouait le Tour sans Floyd Landis. Hier, je vous disais que ce Tour s'infusait lentement, que le tour était une tisane. Après que Carlos Sastre eût foutu la tisane sur le feu, ça a revolé de partout. Hier soir, le classement général était un bouillon en ébullition, Oscar Pereiro Sio, Carlos Sastre, Andreas Klöden, Cyril Dessel et Cadel Evans- je viens de vous nommer les cinq premiers-, des particules en suspension.
Comment ces particules vont-elles retomber, ce soir, après le col de la Joux-Plane, sans doute le col le plus dur du Tour?
Le Tour se jouera-t-il dans le contre-la-montre samedi?
Ce qui est certain, c'est que le maillot jaune Oscar Pereiro était venu aider Valverde à gagner le Tour. Le second, Carlos Sastre, était venu aider Basso à gagner le Tour. Et le troisième, Andreas Klöden, était venu aider Ullrich à gagner le Tour.
Lequel des seconds sera le premier? Fouille-moi.
DÉCLIN-Est-ce une idée que je me fais? Moins de monde sur la route du Tour. La chose était particulièrement vérifiable dans la montagne de La Toussuire, hier. Toujours autant de cyclos pour faire le col avant les coureurs, mais des spectateurs? Papa, maman, les deux gamins, la table pliante, la bouteille de rosé au frais? Beaucoup moins que voilà seulement 10 ans. Où sont les enfants? Le tour semble coupé de l'enfance. Même les mariés dans les villages n'attendent plus le Tour pour la photo.
Le Tour donne moins à lire aussi. La presse locale tartine par devoir, Libé déconne pas drôle, Le Monde n'y croit plus trop, reste L'Équipe. Très bien L'Équipe pour le vélo. Pour la folie? Zéro. Où sont les Blondin? Où sont les Buzzati?
COMME UN FOU-Aperçu Armstrong qui s'engouffrait dans le car des Discovery.
Hey, Lance!
Hey, Pierre, je pensais que tu devais prendre ta retraite en même temps que moi...
Parle m'en pas.
Armstrong est arrivé lundi à l'Alpe d'Huez en hélicoptère. Il est allé rouler avec son chum et ex-coéquipier Kevin Livingstone et des gens de chez Trek (la Discovery roule sur des vélos Trek).
Il a dû expliquer 20 fois aux journalistes que non, il n'avait pas traité sérieusement les joueurs de l'équipe de France de assholes, c'était une blague, bon! (et, de fait, c'en était bien une, mauvaise évidemment, mais une blague faite lors de la remise des awards de la chaîne ESPN).
Mardi, Armstrong est allé féliciter brièvement (très brièvement) Floyd Landis, qu'il définit ainsi: un coureur malin et régulier. Ce qu'on a pu vérifier aujourd'hui! Ensuite Armstrong est allé consoler ses ex-coéquipiers qui en ont bien besoin.
Hier Lance a fait l'étape dans l'auto de Bruyneel.
Sur votre forme actuelle, seriez-vous arrivé dans les délais de cette étape?
Non. Même si je m'entraîne beaucoup, vélo, kayak, course à pied, je n'ai pas le rythme de la course.
Vous aimez encore le Tour?
Comme un fou.
BARGAIN-Les Québécois qui vont skier les Alpes vont surtout dans les stations de la Tarentaise, Val d'Isère, Tignes, Courchevel, ou Albertville pour le ski de fond... du moins sont-ce les noms que j'entends le plus souvent. Le Tour faisait étape, hier, dans la vallée voisine, la vallée de la Maurienne. Les stations ici s'appellent Toussuire, Val Corbier, Val Cenis, Les Sybelles, des stations familiales, plus prolétaires, mais c'est la même neige, la même altitude, et il vous en coûterait moitié moins cher que de l'autre côté, je vous dis comme ça, c'est vos sous, pas les miens, je ne skie pas.
Un autre bargain? Pour les cylos cette fois qui veulent aller pédaler les Alpes sans se ruiner dans les auberges des stations. Un petit hôtel à Vizille, 15 kilomètres au sud de Grenoble, modeste évidemment, tout simple, fort bien tenu, l'Hôtel Sandra, www.hotelsandra.fr.
Grosse clientèle de cyclos. Bourg d'Oisans (le pied de l'Alpe-d'Huez) est à 35 kilomètres. Voisin de l'hôtel, un château avec un parc magnifique pour jogger. Un resto? Le resto du Château. Vous le dites si vous voulez que je porte vos valises.
AUJOURD'HUI-Saint-Jean-de-Maurienne - Morzine-le-nez (excusez-moi, je la fais chaque fois, c'est plus fort que moi) Morzine donc, 200 kilomètres, troisième étape alpestre par le col des Saisies, les Aravis, la Colombière et, surtout, la Joux-Plane, le col où Armstrong a failli sombrer en 2001, où Indurain a craqué aussi, un vrai col pour attaquer. Et avec le classement général qu'on a là, c'est forcément ce qui va arriver.
Tout alu
À Saint-Jean-de-Maurienne, où le Tour a passé la nuit et d'où il repart aujourd'hui pour Morzine, il y a une usine, immense, qui étire sa tubulure à la sortie de la ville sur la route qui va à Turin. Elle est québécoise, cette usine: l'Alcan. Il y a trois ans, Alcan a acheté Pechiney; depuis, Alcan rayonne dans toute l'Europe. Sa plus grosse usine est à Dunkerque, celle de Saint-Jean-de-Maurienne donne de la job à 750 employés. Dans un esprit de fusion des deux cultures d'entreprises, des cadres québécois ont été transférés en Europe tandis que, par exemple, le directeur de l'usine d'Alma est Français.
Serge Bouchard, de Chicoutimi, est directeur du laboratoire de recherche, ici dans la vallée. Guy Fortin, aussi de Chicoutimi, est directeur commercial pour toute l'Europe. Je les ai rencontrés hier à La Toussuire où ils étaient invités à la tribune VIP. Eux-mêmes avaient affrété un autobus pour leurs clients de toute l'Europe. L'Alcan, c'est la grosse affaire ici, l'entreprise s'est grandement impliquée dans l'étape du Tour, randonnée cycliste la veille, et même un monument dans la ville...
Et puis, messieurs, on s'ennuie de Saguenay?
S'ils n'avaient pas craint de paraître baveux, ils m'auraient pas répondu une foutue seconde, ils se sont contentés de sourire. Un dépaysement très agréable. Ils trouvent les Français beaucoup plus civils que la réputation qu'on leur fait parfois chez nous. Serge Bouchard a pédalé tous les cols du coin, La Toussuire évidemment, il habite au pied, la Croix-de-Fer, le Glandon, le Mollard, envoye donc.
Alcan a-t-elle des clients dans le vélo?
À Chicoutimi seulement. Les cycles DeVinci, une relation d'amitié plus que d'affaires, on les a aidés à démarrer, on travaille avec eux sur des projets de joints, d'alliages. Hier on a offert à nos clients des vélos DeVinci de Chicoutimi...
Fournissez-vous l'aluminium de certains vélos du Tour?
Pas du tout. Le Tour, c'est tout carbone. Le vélo en alu, aujourd'hui, c'est le vélo de moyenne gamme.
De toute façon, Alcan n'a pas vraiment de temps à perdre avec l'industrie du vélo, elle joue dans d'autres ligues, sauf quand le Tour passe dans sa cour, pour un coup de relation publiques, pour chouchouter ses clients.
Kim-Chi Luu est une autre Québécoise de l'Alcan de St-Jean, ingénieure, chef du service de la fonderie et... aubergiste! Je niaise. Pas aubergiste. Je suis son seul client. Une invitation qui remonte à l'hiver dernier. Kim me lit depuis longtemps. Elle m'a invité: j'habite dans la montée vers La Toussuire. Holà! Impossible de refuser. Un gîte à 15 minutes de la ligne d'arrivée d'une étape de montagne du tour de France! Le genre de luck qui n'arrive qu'une fois dans la vie d'un journaliste du Tour!
Ne dites rien dans le journal, mes enfants qui sont à Montréal vont se moquer de moi, ils me trouvent quétaine de vous avoir invité.
Quétaine? Vous êtes grandiose madame.
Et je ne dirai rien de ses crevettes à la tonkinoise, de ses rouleaux impériaux et de son clafoutis aux cerises.
Responsable de la fonderie, vraiment? Me semble qu'elle triompherait à d'autres fourneaux infiniment moins barbares. Merci, madame. Avant de partir, je me suis permis d'aller recommander au petit bouddha de bronze qui veille sur la photos de vos ancêtres et de vos enfants de prendre grand soin de vous aussi.