Le mercredi 25 juillet 2007
L'automne dernier un collègue avait envisagé de faire un papier sur la dope que prennent les gens ordinaires - vous et moi - pour faire du sport. Pour apporter de l'eau au moulin de ce collègue, j'avais lancé un appel aux lecteurs dans ma chronique, promettant l'anonymat: dites-moi monsieur, madame, que prenez-vous pour courir votre marathon, votre triathlon, votre cyclosportive?
Parmi toutes les réponses (que je vais finir pas publier), l'une m'a littéralement illuminé. La lettre de cette dame pas du tout sportive, que je résume ici:
Pour réussir l'examen de mon cours de secrétariat, je devais taper 50 mots minutes. Quand je faisais des tests le matin, pas fatiguée, j'arrivais difficilement à 42-43 mots minutes.
Après des bronchites à répétition probablement dues à mon asthme, le médecin me prescrit du Ventolin. Me voilà donc à prendre mes trois tites puffs de Ventolin le matin, je refais mon test de frappe quelques jours après, ah ben! r'garde donc ça! 54 mots! (j'ai réussi mon mausus de test à 56 mots minutes).
Depuis un pneumologue m'a prescrit bien plus fort que le Ventolin, soit Advair (1000-500 ou 250). Quand je me lance dans le ménage de la maison (3 étages) je me pompe juste avant et hop, c'est pas une trainerie!
J'ai lu plusieurs livres sur la dope et de très nombreux articles d'expert, ils n'arrivent à la cheville de cette petite historiette authentique pour illustrer le geste dopant.
Avant d'être un sujet de scandale, avant d'être «une affaire», avant d'être un test positif, avant d'être une hormone multifonctionnelle, avant d'être un ratio testostérone sur épitestostérone, à l'origine il y a ce geste là, plutôt innocent. À l'origine il y a cette petite madame là qui fait son ménage, c'est pas une traînerie.
(Je me doute bien de ce que pense Mme Ayotte de ma petite histoire, mais je trouve ça un peu facile, je veux dire c'est facile d'être contre la dope quand on a une femme de ménage).
Je déconne? C'est quand je déconne que je suis sérieux. Préféreriez-vous que je répète ce que j'écris depuis deux semaines, dans mes chroniques du Tour?
Chronique du 7 juillet. «Dieu que je suis écoeuré, non pas de la dope, mais des histoires de dope... en particulier tanné du procès qu'on fait aux coureurs et au vélo sans faire celui du Tour». Plus loin: «la dope dans le vélo ne relève pas de la tricherie mais de la nécessité».
Grand favori de ce Tour, Alexandre Vinokourov était nécessairement dopé. Et ainsi Klöden, l'autre favori. Et ainsi tous les autres favoris. Et ainsi les 20 premiers du classement général, plus quelques dizaines d'équipiers qui ont aidé ceux-là à se hisser en tête. Ce n'est pas un autre scandale dans le vélo, c'est toujours et encore, et encore, et encore, la même nécessité.
Que Vinokourov ce soit fait prendre n'est pas la bonne nouvelle que proclament certains. Non la lutte antidopage ne gagne pas du terrain. Elle en perd. Oui, de plus en plus de dopes sont détectables, mais pas une semaine après, pas le jour même à 1000 unités plutôt que 5000, pas en suivant des protocoles de plus en plus raffinés.
Rasmussen ne s'est pas fait prendre. Soler le Colombien ne s'est pas fait prendre. Contador ne s'est pas fait prendre. Il y a eu une centaine de contrôles depuis le départ de Londres, Vino est le premier positif. Pourquoi Vino? Une imprudence forcément. L'urgence de reprendre le temps perdu après sa chute. L'obligation d'effacer la déception des commanditaires Kazakh qui ont mis des millions dans l'équipe Astana (Notons que Landis s'est fait prendre aussi, l'an dernier, dans l'urgence d'avoir à combler un retard).
Chronique du 22 juillet: «Faut avoir la foi. Ou alors faut être nono pour regarder sans éclater de rire, le classement de l'étape d'hier du Tour de France, un contre la monde de 54 kilomètres. L'extraordinaire numéro de Vinokourov est presqu'aussi sulfureux que celui de Rasmussen...»
Voyez je vous l'annonçais, sulfureux. Mes chums de vélo me haïssent de gâcher leur fun. M'accusent de tomber dans la morale que je dénonce par ailleurs. Ce n'est pas de la morale. Cela ne me dérange pas une seconde que Vinokourov soit gelé. Ce qui me dérange c'est le double discours du milieu. Hier vers midi, sur le site de Yahoo, on n'avait pas encore retiré le titre qui saluait la victoire de la veille de Vinokourov, La victoire du panache! . Et en surmanchette la nouvelle qui venait de tomber, Vino positif. Ce double discours-là, ce genre de posture, je ne suis plus capable. Cette hâte à ne rien voir, rien entendre. C'est toujours la victoire du panache. Puis éclate la bombe et le héros devient galeux, alors que tout le monde savait très bien.
S'ajoute cette année la démesure. Pas Vinokourov. Rasmussen. Ma chronique du 23: «Rasmussen ne sera pas inquiété alors que pour faire ce qu'il a fait dans le contre la montre d'Albi il dû prendre quatre tonnes et demie de perlapinpin. La 11e place de Rasmussen à Albi est une insulte à l'intelligence de tout amateur de vélo».
J'ose ajouter que je n'ai rien vu de plus scandaleux depuis Pantani. On est dans la mascarade. Comment expliquer aux gens qui ne connaissent pas très bien le vélo?
Tenez, l'autre jour, je m'apprêtais à quitter la terrasse de l'Oeuf à Mystic, passe un type sur un vélo Canadian Tire. Je me dis que je vais vite le rejoindre, je finis par l'apercevoir, assez loin devant, tabarnouche y flye le bonhomme! Je me rapproche péniblement, et tout d'un coup ça me frappe: y pédale pas! Pas du tout. Pourtant y flye. Arrivé à sa hauteur je me rends compte qu'il roule sur un de ces vélos à batterie, acheté justement chez Canadian Tire. Et bien, dans ce Tour de France, Rasmussen aussi roule sur un bicyk Canadien Tire à batterie. Je ne peux vous expliquer mieux que ça.
Ce Tour-là pourrait très mal finir. N'excluez pas une grève des coureurs. N'excluez rien.
Chronique du 22 juillet: «Ça fait 15 ans que le Tour est sourd, aveugle et pute. Surtout ça: pute. Le Tour n'arrête pas depuis 15 ans d'être en état de crise, sa légende mise à mal, son mythe ridiculisé et comment réagit-il? Il réagit la main sur le coeur: nous allons nettoyer notre cour, on ne laissera plus rien passer».
Voir les déclarations d'hier de la direction du Tour.
Une solution? C'était dans la chronique du 7 juillet. «Les coureurs se dopent pour faire leur job, pour un contrat à la fin de l'année, bref pour faire leur métier. Les coureurs, et eux seuls, peuvent décider de faire leur métier autrement».