Le jeudi 9 juillet 2009
Très bien, le Tour de France jusqu'ici, très bien avec ses deux contre-la-montre haletants, avec les deux sprints magistraux de Cavendish, avec ce coup de bordure dans l'étape de lundi qui a viré au duel fratricide Armstrong-Contador, et hier, ce rare miracle dans une première semaine du Tour: une échappée qui se rend au bout dans une étape de plat.
Très bien, pour seulement cinq jours de course.
Avec en prime, hier toujours, un vainqueur sympathique, le Français Thomas Voeckler. Le genre de petit Français qu'on aime: de la gueule mais pas trop cocorico. J'écoutais ses premiers commentaires, analyse parfaite de la course, survol lucide et modeste de sa carrière, beaucoup de gentillesse, de simplicité, il m'a rappelé avec émotion les départs de mes premiers Tours de France.
C'était avant que le bordel pogne en 1998, avant l'affaire Festina, la première grande affaire de dope qui a considérablement changé l'atmosphère du Tour. À partir de l'affaire Festina, les journalistes se sont mis à fouiller les poubelles des coureurs, les coureurs ont installé des barrières devant leurs autobus, il fallait désormais passer par leurs agents de relations publiques, quelques-uns ont même embauché des gardes du corps...
Avant l'affaire Festina et toutes celles qui ont suivi, le départ était le meilleur moment pour s'approcher des coureurs, leur parler tandis qu'ils moulinaient sur rouleaux. Les petits Français comme Voeckler étaient mes préférés. Jalabert tiens, une pointure et même deux au-dessus de Voeckler comme coureur, mais de cette même nature généreuse, gouailleuse, allumée.
Il y a sûrement encore tout autant de ces petits Français affables dans le Tour de France d'aujourd'hui, Voeckler en est manifestement la preuve, la différence, c'est qu'ils ne sont plus approchables, coupés de la presse tout autant que du public, retranchés derrière leurs barrières dont une, la plus haute, qu'on ne voit pas: la méfiance.
Si j'avais été à Perpignan hier, je me serais retrouvé au sixième rang du scrum qui se forme autour du vainqueur à sa descente de vélo, j'aurais ramassé quatre mots dans mon carnet comme on ramasse des miettes de pain sur la nappe d'un festin auquel on n'a pas été invité -c'est comme ça qu'on se sent quand on est de la presse écrite-, plus tard on nous aurait amené Voeckler à la salle de presse, en fait, on ne nous l'aurait pas amené en personne, seulement sur écran géant, il aurait été là sans être là, un peu comme le Christ dans la communion, sauf qu'au lieu de ceci est mon corps, c'est maintenant: ceci est mon image, posez-lui vos questions, bande de caves.
S'cusez. Vous ne pensiez tout de même pas que j'allais vous faire une vraie chronique de vélo? Je n'en faisais pas quand j'étais sur place, alors de mon salon...
Mais puisque vous insistez. L'histoire de l'étape d'hier tient en deux lignes. Il y a dans le peloton un sprinter beaucoup plus fort que tous les autres: Mark Cavendish, de l'équipe Columbia. Pourquoi voulez-vous que les autres équipes de sprinters se mettent à rouler comme des malades pour rejoindre les échappés si c'est pour se faire ridiculiser dans le sprint final? Voilà pourquoi l'échappée d'hier, pourtant souffreteuse -je n'y ai jamais cru, avouait Voeckler à l'arrivé -, voilà pourquoi cette échappée un peu nulle s'est rendue à terme: parce que les Columbia étaient seuls à vouloir ramener le peloton.PERPIGNAN - Les chanceux! Le Tour était hier à Perpignan la presque catalane, Perpignan la toujours ensoleillée... alors qu'ici, il mouille depuis la mi-mai, sacrament.
Perpignan, d'où je suis parti quelques fois pour aller rouler les montagnes du Vallespir qui touchent à l'Espagne, couvertes de châtaigneraies, les plus gentilles montagnes qu'on puisse rêver, des routes si étroites que deux vélos n'y roulent pas de front. Des gens m'ont écrit: nous serons en France pendant le Tour, où nous conseillez-vous d'aller le voir passer?
Allez dans le Vallespir. Apportez votre vélo. De Céret, vous pédalerez vers le col de la Brousse, retour par Las Illas et le Pic du Boularic, un pur enchantement.
Je vous entends protester: mais le Tour de France ne passe pas du tout par là !
Justement... En partant tôt le matin, vous serez largement de retour à votre hôtel pour suivre l'étape en direct à la télé.
AUJOURD'HUI - Plein de petites bosses, mais ne vous dépêchez pas trop de parier contre Cavendish même si l'arrivée à Barcelone est jugée en haut du Montjuich, ce demi-kilomètre à 5% n'empêchera pas le phénomène anglais de rester dans la roue et éventuellement déborder les Oscar Freire, probablement quelques Allemands de la Milram, peut-être un Pelizzotti ou un Pozzato, voire Cancellara, dont ce sera le dernier jour en jaune.
Parce que demain, c'est fini les plaisanteries. Demain, ça monte. Demain, on prie pour qu'Alberto Contador ne mette pas tout le monde à deux minutes, parce que les plus de deux semaines de course qui restent après demain pourraient être les plus longues de l'histoire du Tour.
Pour revenir à aujourd'hui, j'ai un souhait: ce serait bien que ce soit un coureur de la Skil-Shimano qui gagne, l'équipe préférée de ma fiancée qui n'est certes pas une grande experte en cyclisme, mais vous devriez la voir dans le bois avec une chainsaw, elle en a trois, dont une spéciale pour couper des baobabs, les trois sont de marque Skil, elle a reconnu le sigle en rouge sur le haut du maillot des coureurs de la Skil-Shimano, depuis elle arrête pu: c'tu un Skil qui est en tête?
Non, mon amour. Sont nuls.
N'empêche. Si un Fumiyuki Beppu ou un Kenny Robert van Hummel voulait me faire mentir, aujourd'hui, ça tomberait bien, c'est sa fête.