Le samedi 11 juillet 2009
C'est comme dans la vie, tu te lèves un matin en tapant du poing sur la table: aujourd'hui c'est le grand jour! Et puis non. Non! C'est pas comme ça que ça marche. Tu ne rencontreras pas le grand amour. Tu ne gagneras pas à la loterie. Tu n'hériteras pas de ta vieille cousine en Californie. T'as même pas de cousine en Californie.
C'est comme dans le Tour de France hier. On attendait le grand jour. Et puis non. Non! Même qu'il a bien failli ne rien se passer du tout. Il a fallu attendre les deux derniers kilomètres pour qu'il arrive un tout petit quelque chose et encore: on ne sait pas quoi exactement.
À deux kilomètres, donc, de cette arrivée en altitude, Contador attaque.
Qu'allait faire Armstrong?
Que voulez-vous qu'il fît? Il est de la même équipe que Contador. S'il se lance à sa poursuite, il va se faire traiter de chien sale. Alors il ne bouge pas. Il attend que les autres courent après. Les Sastre, Evans et autres Schleck. Il espère, il prie, s'il pouvait il implorerait ceux-là de le ramener sur Contador. La jonction faite, lui Armstrong pourrait alors attaquer. Sauf que les Sastre, Evans, Schleck etc. n'ont jamais été capables de revenir sur Contador, qui finalement leur a pris 20 secondes à tous.
Ça, c'est ce qu'on a vu. Ce qui s'est passé en réalité, on n'en sait rien. Je vais prendre une chance.
Contador a-t-il attaqué à l'inspiration du moment? Je ne pense pas. Il avait probablement le feu vert de Johan Bruyneel, directeur technique des Astana. Tordu comme il est, Bruyneel a sans doute fait le calcul que les Evans, Sastre et autres, pas trop éprouvés par une ascension plutôt tranquille, reviendraient sur son coureur et que là, Lance, son grand ami Lance, pourrait attaquer et peut-être aller chercher le maillot jaune.
Ce qui est sûr, après cette décevante première grande étape de montagnes, c'est que les Astana sont tout seuls dans ce Tour. Vont se disputer la victoire finale entre eux.
Ce qui est sûr encore, c'est qu'on oublie le duel Armstrong-Contador pour les 10 prochains jours. Aujourd'hui, le dernier col franchi, il restera 45 kilomètres avant l'arrivée, et demain le Tourmalet est à 70 kilomètres de l'arrivée... bref, rendez-vous dans les Alpes dans 10 jours.
Ce qui est sûr, enfin, ou presque, c'est que le Armstrong qu'on a vu hier n'est plus le Armstrong d'avant. On peut continuer à rabâcher qu'après trois ans et demi de retraite et un retour contrarié par une fracture de la clavicule, ce qu'il fait est extraordinaire. C'est vrai. Mais si votre question est: Lance Armstrong gagnera-t-il le Tour de France 2009? La réponse est non.
LES AUTRES Quels autres? Il n'y a plus que les Astana. Le maillot jaune Cancellara disait qu'il envisageait de gagner le Tour un jour, sur ce qu'il a montré hier, c'est pas pour les 10 prochaines années. Sastre, comme les Schleck, se sont contentés, hier, de suivre les Astana. Evans s'est porté une fois à l'attaque, un pétard mouillé. Rogers, on n'en parle plus. Kreuziger s'est fait décrocher. Vande Velde est où il doit être. Deux bonnes surprises: Wiggins le poursuiteur et Tony Martin.
LE BONHEUR C'est comme dans la vie, disais-je, mieux vaut ne rien en attendre. C'est un vieux truc: baisser les exigences pour faire monter le niveau de satisfaction (je le signale, c'est aussi le truc de notre réforme scolaire: baisser les exigences pour faire monter les notes).
Prenez par exemple les Français qui n'attendent plus rien de leur Tour de France depuis longtemps : déjà deux victoires d'étape cette année. Ils ont été comblés hier par le triomphe de ce Brice Feillu, qui en est à son premier Tour et dont personne ne connaissait le prénom, c'est son frère, le sprinter, qui est un petit peu connu. Issu de la plus modeste équipe du Tour (Agritubel), Brice Feillu est sans doute parmi les coureurs du peloton les moins bien payés, moins de 100 000 de nos dollars canadiens par année.
Pour un petit salarié, il a attaqué ses compagnons d'échappée à cinq kilomètres de l'arrivée avec l'autorité d'un grand patron et avec un culot qui rappelait celui d'un Richard Virenque, dieu fasse seulement qu'il n'en ait pas la tête de vache.
La dope? Pas comme vous pensez. J'ai la faiblesse de croire que si les Français se mettent à gagner des courses, ce pourrait bien être grâce à la dope que les autres ne prennent peut-être plus. Je dis peut-être.
Les Italiens non plus n'attendaient rien de ce Tour, surtout pas un des leurs en jaune à Arcalis, surtout pas ce Rinaldo Nocentini qui, sans être un sans grade, n'est pas non plus un aigle. Équipier d'une autre très modeste équipe française, il serait surpenant qu'il soit encore en jaune dimanche soir. Mais bon, en attendant, c'est du bonheur en plus.
C'est la nature même du bonheur d'être en plus.
LES MACHINES OUTILS Vous avez été nombreux à relever que ma fiancée ne pouvait pas avoir de chainsaw Skil parce que Skil (qui commandite une équipe du Tour avec Shimano) n'en fabrique pas. Skil fabrique des outils électriques. Ma fiancée jure qu'elle m'a dit scie-ronde, sa scie-ronde est une Skil, sa chainshaw est une Sthil.
Serais-je confus mon amour?
Je n'ai pas dit ça.
Elle est mieux de ne pas le dire. À l'instant même, elle-même confondait le maillot jaunne Rinaldo Nocentini avec Paolo Nutini, qui n'est même pas un coureur de bécyk, qui n'est même pas Italien, c'est un folksinger anglais de 22 ans, la fureur de l'heure en Europe, une voix très spéciale, mais il ne devrait pas écrire, il écrit 4-5-zéro un peu comme Linda Lemay, la vie ceci, la vie cela, le bonheur viendra, qu'est-ce qu'il en sait, ce petit con?