Le lundi 25 juillet 2011
Lalalèreu. Les Schlick-Schlack se sont fait battre. Oui madame, ce Tour de France est bien plus la défaite des Schlick-Schlack que la victoire de Cadel Evans.
Cadel Evans a gagné en comptable, c'est sa manière. Il a gagné en attendant et en espérant qu'il ne se passe rien. Si j'ose: Cadel Evans est un peu au vélo ce que je suis au journalisme, laissez-moi finir avant de hurler. Quand je vais en reportage quelque part, je supplie le Bon Dieu pour qu'il ne se passe rien. Je suis bien quand il ne se passe rien. Cadel Evans, c'est la même chose: il s'épanouit dans le rien. Trop d'action le déstabilise. Aller au four et au moulin n'est pas dans sa manière.
Individuellement et ensemble, les frères Schleck étaient les meilleurs coureurs du peloton. Ils en étaient aussi les plus nonos, les plus présomptueux surtout.
Avec leur classe, leur aisance en montagne, ils auraient dû se présenter au départ du contre-la-montre de Grenoble samedi avec cinq minutes d'avance, au lieu de ces misérables 54 secondes. Cadel Evans les a écrabouillés.
Les Schleck ont perdu le Tour en n'attaquant pas dans les Pyrénées. Ont perdu le Tour en se trompant de cible - Andy n'avait que Contador en tête. Ont perdu le Tour en se racontant des histoires dans les Alpes. Grisé par son envolée de jeudi dans le Galibier, Andy n'a pas vu qu'au chrono, cela se traduisait par pas grand-chose.
On revient au rien. Il ne se passe rien dans un contre-la-montre. En terme d'action, je veux dire. Rien qu'une trajectoire. Rien que rouler tout seul, pour soi. Un voyage intérieur.
Les Schlick-Schlack sont des jouisseurs, tournés vers l'extérieur. Faut que ce soit le fun. Ils ont tellement de classe qu'ils ont gagné souvent sans trop se forcer le cul. Ça ne prépare pas à cet exercice de souffrance qu'est le contre-la-montre. Sont comme tous les surdoués. Sont bons au primaire et au secondaire. Premiers sans travailler. Mais quand la matière ne se laisse plus faire, qu'il faudrait travailler, ils ne savent pas. Travailler? Ils n'ont jamais fait.
Cet hiver, les Schlick-Schlack se sont parti (avec l'aide d'un mécène) cette équipe Léopard pour eux et leurs petits amis, Cancellara, Voigt, Fulsang. Ils se pétaient les bretelles en disant que les Léopard «allaient placer le cyclisme dans une nouvelle dimension». Ils ont fait patate dans les classiques du printemps, ils ont été frappés par le malheur dans le Tour d'Italie avec la mort tragique de Wouter Weylandt et ils viennent rater le Tour de France.
Voilà pour le Luxembourg.
L'Australie maintenant.
On le sait, les Australiens triomphent dans tous les sports, athlétisme et tennis jadis, natation, rugby bien sûr, cyclisme aussi avec surtout des rouleurs-sprinteurs, Renshaw, Goss, Simon Gerrans, Richie Porte, le vieux O'Grady pour ne parler que de ceux qui étaient dans le Tour, mais aucun Australien n'avait encore gagné le Tour de France.
C'est fait. Cadel Evans est le premier. Cadel Evans est curieusement le moins Australien de tous les Australiens à pédale qu'on a connus. Pas un joyeux drille, pas un fanfaron, pas un extraverti, pas sautillant comme les autres marsupiaux. Il est marié à une Italienne, pianiste virtuose dit-on, ils vivent dans le Tessin, en Suisse italienne.
Cadel Evans est issu d'une communauté aborigène pour laquelle il organise chaque année le cycloton des marsupiaux, il s'agit d'une randonnée avec des vélos qui doivent obligatoirement avoir une sacoche à l'avant fixée au guidon, un peu comme la sacoche des kangourous, et obligatoirement aussi, dans cette sacoche, il doit y avoir un bébé lapin de garenne, qui est l'emblème des aborigènes d'Australie.
Comment ça, c'est pas vrai? Dites tout de suite que j'écris n'importe quoi.
Cadel Evans court pour l'équipe américaine BMC, les BMC sont des vélos conçus en Suisse, fabriqués en Chine évidemment, alors pourquoi américaine? Probablement parce que le co-propriétaire de l'équipe est Jim Ochowick, pape du cyclisme américain, grand ami de Lance Armstrong.
Puisqu'on parle d'Armstrong. Je ne sais pas quelle est la réputation de Cadel Evans dans le peloton, mais chez les suiveurs et les journalistes, Cadel Evans a la réputation d'un coureur qui ne s'est jamais dopé. C'est bizarre les réputations, des fois. Comment elles se font et défont.
Assez de l'Australie et du Luxembourg, la France maintenant.
Les animateurs, présentateurs, commentateurs, analystes de France 2 s'égosillent, n'en peuvent plus: ah comme les coureurs français ont très bien fait dans ce Tour, quel renouveau. Ce n'est pas faux. Cinq Français dans les 15 premiers du classement général final. En même temps, ce n'est pas si vrai que ça: les 10 jours en jaune de Thomas Voeckler, le victoire de Pierre Rolland à l'Alpe d'Huez, le maillot blanc du meilleur jeune porté par ce même Rolland font illusion. Il serait plus juste de dire que l'équipe française Europcar, à laquelle appartiennent Rolland et Voeckler, a couru un Tour formidable. Mais les autres Français?
Les AG2R par exemple? Les Cofidis? La Française des Jeux, Saur Jojasun? Résultat d'ensemble moyen. Réussite proche du zéro.
Je le relève parce que sous le cocorico de la télé française, le véritable discours est celui-ci: si les coureurs français - qui ont la réputation de ne pas se doper - font mieux, c'est parce que ceux qui se dopaient ne se dopent plus à cause des contrôles plus efficaces. Les Français ont bien fait parce que ce Tour était celui du renouveau.
Je suis tanné de l'entendre celle-là.
C'était en quelle année déjà, l'affaire Festina, en 1998? Eh bien depuis, chaque année, c'est le Tour du renouveau. Ça n'a pas manqué une fois. Treize Tours du renouveau. Pantani, Armstrong, Landis, Rasmusssen, Contador, Vinokourov, Ricco, c'était le renouveau. Cadel Evans cette année, c'est le renouveau.
Le médecin de la Française des Jeux, Frédéric Grappe: «Cadel Evans n'a pas fait mieux que les autres années, ce sont Schleck et Contador qui vont moins vite»!
Le Tour du renouveau, docteur?
La ministre française des Sports, dont j'oublie le nom, jeudi sur les ondes de Europe1: «Aujourd'hui, c'est impossible de passer entre les mailles du filet (de l'antidopage).»
Un autre tour du renouveau, madame?
Le directeur du Tour, Christian Prudhomme, après l'annonce du premier (et unique) cas positif du Tour: «Ceux qui ont triché finissent par tomber.»
Le Tour du renouveau, monsieur le directeur?
Oups, fausse note l'autre jour dans Le Monde, ce titre sur six colonnes: Le peloton, de nouveau accro aux corticos. Empêcheurs de renouveau, va.
LA FRANCE SUITE ET FIN - Je suis de retour en Vendée, à un jet de pierre de Mouilleron-le-Captif, le village de Voeckler, à deux pas du Mont-des-Alouettes, terme de la première étape du Tour. Hier matin, des milliers de cyclos sur les petites routes pour la grande messe dominicale à pédales. Sans leur demander leur avis, je me suis joint à un peloton d'une trentaine de petits vieux plus jeunes que moi, m'ont fait souffrir dans les bosses, m'ont fait rire au café à Pouzauges avec leur taquineries, leurs réparties, ça m'a rappelé quand j'avais ma gang moi aussi, comment y dit Desjardins déjà? La gang est splittée/C'était rien qu'une époque.
Anyway. Le retour à l'auto a été long, sous une pluie fine et pénétrante, par des villages déserts, avec leurs monumentaux calvaires si typiquement vendéens.
Tous ces Christ qui se dressent contre le ciel, comment ne pas penser à Oslo. Dans un pays sans histoire, un fou abat près d'une centaine de personnes, des jeunes gens surtout. On ne sait pas trop au nom de quoi. Les journaux, trop pressés comme d'habitude, les journaux de samedi ont commencé par dire au nom de l'islam. Puis, le contraire le lendemain, le tueur était plutôt engagé contre l'islamisation de l'Europe. Mais contre ou pour l'islam, cela ne fait pas plus de sens.
Trois semaines de Tour de France qui carbure à la «dramatisation» d'événements minuscules, une chute, une défaillance. Et puis arrive un vrai drame et c'est la fin de la récréation.
Il se trouve aussi que c'est la fin de mes vacances.
Permettez pourtant un dernier mot à l'intention de ce collègue éprouvé qui se reconnaîtra: je t'embrasse gros nounours.