Le jeudi 15 décembre 1988


Cosmique
Pierre Foglia, La Presse

C'est avec l'intérêt que l'on devine que j'ai suivi ces jours derniers, dans Le Devoir, la série sur la Cité écologique.

Pauvre ministre Dutil. De la manière dont il présente les choses il n'aurait rien à voir là-dedans. C'est sa femme, ses enfants. Lui ? Bof, il n'est pas vraiment embarqué...

C'est bien ce qu'il faut comprendre de vos explications monsieur le ministre ?

Pourtant c'est bien vous qui avez suivi avant décembre 86 les " cours " de l'Institut du développement de la personne (IDP), une secte qui sous couvert de cours de croissance personnelle, recrute des disciples pour la transformation du monde ? Une secte qui comme toutes les autres du genre prônent la démobilisation sociale ( comprendre que les syndicats, les groupes de pression, les religions, les corps intermédiaires sont inutiles voire nuisibles puisque l'individu est le seul responsable de ce qui lui arrive...).

Savez-vous monsieur le ministre qu'on vous utilise comme " réclame " à l'Institut de Développment de la personne ? Quand j'ai fait ma série l'an dernier sur les " Manipulateurs d'âme ", lors de mon passage à l'IDP on s'est vanté à plusieurs reprises d'avoir un " ministre " dans sa manche... On ne vous nommait pas mais on disait " un ministre de la Beauce ". La devinette était facile. D'autant plus que vos amis ont été moins discrets avec Info-Croissance, l'organisme qui le premier a dénoncé l'institut. Votre nom est revenu comme une menace voilée, plusieurs fois dans la discussion, " Vous savez, M. ministre Dutil a suivi nos ateliers ", " Vous savez, j'ai hébergé monsieur le ministre Dutil pendant son séjour à Montréal... "

Et puis après dira-t-on, le ministre n'est pas responsable de l'utilisation que l'on fait de son titre et de son nom.

C'est vrai. Je voulais seulement montrer des liens que M. Dutil semble renier ces jours-ci.

Et puis après me dira-t-on, M. Dutil a bien le droit de croire ce qu'il veut, d'avoir une conscience cosmique si ça lui chante...

On arrive au coeur du sujet. Il se trouve que M. Dutil est ministre délégué à la famille. Voit-il la famille comme on la voit à la Cité Écologique ? Plus explicitement, croit-il à une société autocratique où seuls les initiés ont droit de parole et de décision ?

Il se trouve que M. Dutil est aussi ministre délégué de la santé. Quel genre de santé mentale M. le ministre ? Cette santé mentale qui, dans toutes ces sectes passe obligatoirement par L'ABANDON DE TOUT SENS CRITIQUE ?...

Il se trouve enfin que M. Dutil est député et ministre, et qu'il est donc doublement " responsable " au sens politique du mot... Comment accommode-t-il cette " responsabilité " avec la croyance commune à toutes les sectes du genre que l'individu est responsable de TOUT ce qui lui arrive. Croyez-vous que les Éthiopiens soient responsables de leur famine M. le ministre, comme l'affirme la gourouse de l'Institut de la personnalité ? Croyez-vous que la petite fille violée est responsable de son viol, monsieur le ministre de la santé, comme le croit la même gourouse ?... Ne me répondez surtout pas que " vous en avez pris et que vous en avez laissé "... Ce n'est pas comme ça que ça marche. Dans ces sectes-là, on devient un élu, ou on est exclu...

Je me souviens que j'avais terminé mon papier sur l'Institut de développement de la personne par une petite annonce épinglée en toute innocence sur le babillard de la salle où l'on nous lavait le cerveau, petite annonce d'une sinistre candeur : " Gardienne transformée cherche enfants transformables "...

Il ne s'agit pas de faire la chasse aux sorcières. Je demande seulement quelle sorte d'élu vous êtes M. le ministre. Un de ces élus pour transformer le monde, ou un élu pour le servir ?

Il ne s'agit pas de faire la chasse aux sorcières. Mais il me semble qu'on s'empresse moins de débusquer le fasciste cosmique du pouvoir ( et surtout des écoles où il est très infiltré ) qu'on s'empressait il y a quelques années de débusquer le marxiste des syndicats...

LE PIÈGE A OURS -

Ne suffit-il pas que Noël soit une foire, faut-il en plus que ce soit une foire bougonne, en particulier là où l'on devrait s'amuser un peu, je veux dire à l'étage des jouets des grands magasins ?

J'arrive l'autre jour à La Baie, je savais exactement ce que je voulais, un jeu que recommandait la revue Protégez-vous. Je cherche quelqu'un sur le plancher pour m'aider, personne. Je m'adresse à l'unique caissière, submergée il faut le dire par une file de clients qui attendaient avec leurs paquets :
- Troisième rangée ! me lance-t-elle. C'était la rangée des puzzles. Je retourne la voir :
- Je ne cherche pas un puzzle madame...
- Ben d'abord je sais pas, voyez par vous même...
Facile à dire, mais allez donc trouver quelque chose dans le bordélique encombrement des allées. On se croirait dans un entrepôt...

J'ai traversé la rue me disant que ce serait peut-être plus gai chez Eaton. Mais c'était exactement le même fouillis. Il y avait, il est vrai, un peu plus de personnel sur l'étage, mais il n'était pas au service de la clientèle. Du moins la dame qui rangeait des boîtes sur des étagères ne prit même pas là peine de se retourner quand j'ai demandé poliment : " Excusez-moi madame ? ". J'ai attendu les bras croisés. Elle a rangé quatre autres boîtes. Elle s'est enfin retournée. Elle a dit : " Je peux vous aider ? ", mais sur-ce ton de profonde lassitude qu'on emploie avec les enfant tannants : " Qu'est-ce tu veux achalant ? "...
- Je voudrais un piège à ours madame, en acier inoxydable...
Le sarcasme lui a échappé... Mais j'ai tort de médire de Eaton. J'y ai finalement rencontré un vendeur fort avisé qui m'a donné un judicieux conseil. Jetant un regard alentour pour s'assurer que nous étions seuls, il m'a glissé :
- À votre place j'irais chez Franc Jeu, c'est une boutique de jouets éducatifs sur St-Denis !

Ce que je fis sur le champ. J'y fus accueilli par une vendeuse souriante et efficace qui savait exactement ce dont je parlais : " Ah, vous avez vu ça dans Protégez-vous ? "... Et de sortir la revue de dessous le comptoir. Et de me faire d'autres suggestions et même une démonstration du jeu de l'écureuil qui ramasse des cocottes dans sa petite brouette. " À vous de jouer ", me dit-elle en me passant les dés...

C'est la moindre des attentions, il me semble. Ne suffit-il pas que Noël soit une fête marchande ? Pourquoi faudrait-il supporter, en plus, que les marchands nous fassent la gueule sous prétexte qu'ils sont trop occupés ?