Le samedi 1 avril 1989


Le maudit mot...
Pierre Foglia, La Presse

Quand on s'est laissé hier, Louise venait de tromper Jean, ils étaient tous les deux en larmes quelque part au fond d'un rang, du côté de Matane. Et vous vous demandiez dans quel roman-savon vous vous étiez égaré... Je n'y peux rien. Ce n'est pas de ma faute si les amours finissent presque toujours comme dans les chansons débiles d'Herbert Leonard.

Louise et Jean, donc, se sont réconciliés. Rechicanés. Puis séparés... tout en restant ensemble. Mais chacun son appartement. Marie va de l'un à l'autre. Une autre année passe. Et quand le printemps revient, Marie a trois ans.

Beau fixe toujours, en surface du moins. Sur le fond c'est l'ambivalence fuckée des amours qui n'en finissent pas de finir. Celui qui s'accroche et l'autre qui n'ose pas dire lâche-moi pour ne pas faire de peine, mais qui s'éloigne pourtant, mine de rien, à petits pas...

Louise déménage. D'abord à Québec. Puis Montréal. Marie a quatre ans ce printemps-là. Il est entendu qu'elle restera avec sa mère jusqu'à la mi-octobre...

En septembre, Louise écrit à Jean qu'elle souhaite garder Marie à plein temps. Jean refuse et quand il vient chercher sa fille à la mi-octobre, il annonce son intention : il veut sa fille pour les six prochaines années. Elle fera son primaire à Matane.

Louise n'insiste pas, mais dans sa tête la décision est prise : elle fera une requête en Cour supérieure pour la garde légale de Marie...

Histoire banale d'un couple qui se sépare et s'apprête à se disputer la garde de l'enfant. Notez-le cependant, pour l'instant il n'y a, là-dedans, pas de cul, ni d'abus, ni rien du genre.

Pour l'instant, dans cette histoire, il y a Marie, une petite fille de quatre ans et demi, belle, vive et bien dans sa peau.

Il y a aussi Louise, une jeune femme de 25 ans qui tourne la page avec sérénité. Elle vient de vivre les quatre années les plus importantes de sa vie. Elle a aimé, passionnément. Elle a eu un enfant, une enfante comme elle écrit dans son journal... Mon enfante, je te montrerai à danser, je montrerai le coeur des choses, le coeur des fleurs, le coeur de la vie. Je t'aime... Durant ces quatre années à la campagne, Louise a beaucoup appris, entre autre qu'elle était résolument Montréalaise.

Il y a enfin, dans cette histoire, Jean, un Français super fin, et super straight sous son déguisement granole. Un mâle blessé, humilié. Un amant convaincu que son ex l'a trahi. Un homme qui n'accepte pas que sa femme l'ait crissé là. Ceux qui sont passés par là se souviennent du désarroi qui leur barbouillait le coeur à ce moment-là. J'oubliais la haine et sa petite voix sulfureuse : la salope, elle ne l'emportera pas au paradis. Lui laisser l'enfant ? Pas question. Plutôt crever... Un abandon c'est assez. C'est mon enfant. Ce n'est pas moi qui suis parti. Si elle le voulait tant que ça elle n'avait qu'à rester avec moi.

Comme le dira le premier psy appelé par la Cour supérieure pour évaluer les dégâts : " Certes Jean veut l'enfant. Mais ce qu'il veut, surtout, c'est ne pas la laisser à Louise "...

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À la mi-octobre, Marie s'en retourne donc, comme prévu, avec son père, à Matane.

Et c'est là, une semaine après le départ de sa fille que l'univers de Louise bascule. Elle ne s'en apercevra pas tout de suite. C'est comme quand on se coupe avec un truc rouillé, ça prend un certain temps avant de se gangrener... Louise remet à une amie qui part pour Matane, une lettre adressée à Marie. Une lettre c'est trop dire, quelques mots en fait, griffonnés à la hâte. Les voici :

Bonjour ma belle doudou d'amour. Comment ça va à Matane ? Tu as dû retrouver Blanche-Neige et son bébé ( Blanche-Neige c'est le chat ). Je m'ennuie déjà de toi ma belle cocotte. Je pense tout le temps à toi. Je t'aime très très fort. Je vais te téléphoner en fin de semaine. Amuse-toi bien avec papa Jean.

Je te fais des gros becs partout, partout ( Suivent plusieurs lignes de x ) et puis un sur ton nombril et un sur ton clitoris mignon. Je t'aime très fort ( d'autres x ), Maman.

C'est ce maudit mot, clitoris, qui déclenchera tout. Qui entraînera Louise dans un cauchemar qui dure encore aujourd'hui.

Notez que Marie ne sait pas lire, elle a quatre ans et demi. Louise a donc écrit ce mot en sachant très bien que c'est Jean qui le lirait. C'est pour vous dire qu'elle ne pensait pas à mal. Les abuseurs sont généralement plus discrets...

Aussi s'étonne-t-elle grandement quand, à la suite de ce mot, Jean lui demande très sérieusement de ne plus embrasser Marie sur le clitoris parce que c'est de l'inceste.

" Qu'est-ce qui te prend, répond Louise. Tu sais très bien que je n'embrasse pas Marie sur le clitoris. Je lui donne des becs sur la vulve. Tu m'a vu faire quand on était ensemble. Je l'embrasse sur la vulve comme je l'embrasse sur les fesses, sur les genoux, sur les yeux, sur les bras, sur le nombril. C'est un jeu. C'est des becs. Des smacks. Un bruit avec la bouche, une chatouille. Et puis ce n'est pas des becs sur la vulve, c'est des becs partout, dont quelques-uns sur la vulve... "

OK, OK s'est presque excusé Jean, si c'est sur la vulve et si c'est en passant...

C'est le lendemain que Jean a reçu l'avis de la Cour supérieure l'avertissant que Louise demandait la garde légale de Marie. Jean a réagi violemment : " Tu ne l'auras pas ma tabarnak. J'irai jusqu'au bout. Toi t'as pas de fric. Moi si... "

Dans la requête que Jean dépose à son tour en cour Supérieure, il insiste sur l'instabilité de la mère.

À la suggestion deux parties, le juge de la Cour supérieure désigne un psy neutre pour une évaluation conjointe des parents et de l'enfant. C'est à ce psy que Jean déclare qu'il soupçonne Louise d'être une abuseuse et qu'il portera plainte à DPJ ( Direction de la protection de la jeunesse ) s'il n'obtient pas la garde de Marie. Il exhibe aussi le mot de Louise à Marie...

Le psy neutre n'en conclut pas moins ( après enquête ) qu'il n'y pas de relation incestueuse entre la mère et la fille. Et il recommande que la garde de Marie soit laissée à la mère, plus souple, plus sereine.

Ça aurait pu, ça aurait dû se terminer là quand le juge allait remettre Marie à sa mère...

Ça ne faisait hélas que commencer...

J'aurais au moins appris ça : du point de vue de sa mécanique, ( j'insiste, je ne mets pas en cause les fondements ou la légitimité de la justice ) du seul point de sa mécanique la justice est une machine qui fonctionne à la merde. Tant que tu mets de la merde dans la machine la justice est en marche...