Le mardi 24 avril 1990


Tous les jours
Pierre Foglia, La Presse

Je suivais un autobus scolaire. C'était sur la toute si petite route qui longe la rivière Châteauguay, entre Ormnstown et Châteauguay...

J'arrivais de chez un ami qui habite dans les terres du côté de Saint-Antoine-Abbé. On s'était amusé à compter les camions de l'usine d'explosifs qui loge deux kilomètres plus loin, camions qui déboulent si vite devant chez lui qu'ils lui ont déjà tué deux chiens... J'arrivais aussi de Venise-en-Québec avec ses parcs à roulottes déserts. J'arrivais de la 138 qui prolonge le pont Mercier jusqü'à l'état de New York en traversant Kahnawake, Châteauguay, Mercier, Sainte-Martine, de coin-là, vous connaissez? Banlieues punks et campagnes chauves...

Bref, je me sauvais de ce freak-out suburbain quand j'ai découvert cette toute petite route sinueuse qui zigonne le long de la rivière Châteauguay, bordée de fermes et de belles maisons bourgeoises avec de grands parterres en avant...

Je suivais un autobus scolaire, je l'ai dit. Grosse poule jaune qui s'arrêtait à chaque maison pondait son oeuf, petite fille ou petit garçon, qui partait à courir vers la maison... Et en plein milieu de sa course, lâche le sac d'école pour accueillir les chiens qui font les fous, sautent partout, jappent et roulent à terre avec l'enfant qui rit. Le plus gros des chiens est blanc, l'autre noir. Le sac d'école dans le parterrre qui verdit est en plastique bleu outremer, mais il y a une façon encore plus jolie de dire ce bleu-là, je ne me souviens pas... Le manteau de l'enfant est rouge, rouge. Et son rire du même bleu que son sac d'école, azur ou quelque chose comme ça, mais mieux que ça...

Voilà. Je voulais vous dire que c'est tous les jours la journée de la terre, la journée des enfants, la journées des chiens et des autobus scolaires. Ce ne sont pas des journées qui durent toute la journée, mais même dans les banlieues les plus punks, dans les campagnes les plus chauves, il y a toujours un cinq minutes de toutes les couleurs.

Et des fois on a le grand bonheur d'être là.

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Je n'étais pas dans la parade des écolos de la journée de la terre. Ces journées de (la terre, la femme, l'enfant) sont avant tout des journées de gloire pour les militants. Et les militants m'emmerdent avec leurs formules claironnantes et cette manière qu'ils ont de présenter leur bon profil aux caméras.

Loin d'actualiser les problèmes d'environnement ces célébrations ponctuelles ont un parfum obsolète, un petit côté « jour du souvenir » pour anciens combattants radoteux. Et puis ce sont des journées sans lendemains...

Il y a du vrai dans ce que disent les néo-libéraux de l'écologie: c'est la nouvelle panacée idéologique, une nouvelle église qui s'installe sur les ruines du marxisme avec de nouveaux curés et ses cortèges d'indignés professionnels, ses interminables listes de signataires de pétitions, de poètes «engagés», de granoles bolcheviques...

Il y a beaucoup de vrai là-dedans. Comme il est tout aussi vrai que l'anti-écologisme des néo-libéraux est tout aussi religieux et idéologique. Dans ce camp-là, il s'agit moins de savoir si la pollution fucke ou non la planète, que de s'opposer à tout prix, à toute remise en question de la société de consommation...

Il est de bon ton ces jours-ci de citer le visionnaire anglais James Lovelock, père du concept qui fait de la terre un être vivant (Gaia), Lovelock qui dit, pour se moquer des écologistes, qu'un troupeau de vaches produit plus de déchets et de gaz toxiques que n'importe quelle usine...

Et un troupeau d'hommes donc...

UNE PREMIÈRE - Je me suis souvent demandé comment je réagirais si au lieu d'être comme tout le monde, je veux dire mâle, blanc, vaguement athée et plus ou moins hétérosexuel, je me suis souvent demandé comment je réagirais si j'étais Noir, gai, musulman, ou femme...

Me connaissant il me semble que cela altérerait mon humeur déjà trouble, me semble que je serais encore plus susceptible voire parano, toujours sur la défensive et peut-être même un peu violent. Mais je n'avais jusqu'ici jamais eu l'occasion de vérifier. C'est extraordinaire à dire, mais en 50 ans je n'ai jamais été victime de racisme...

Remarquez que je me suis fait traiter souvent de sale Italien (en France) et plusieurs fois d'h... de Français (ici) mais ce n'était pas vraiment du racisme, ce que les gens voulaient d'abord me dire c'est que j'étais un sale con. Et ils ajoutaient italien ou français pour faire bonne mesure, mais «après coup »...

J'ai l'air de blaguer mais c'est vrai, jusqu'ici, jamais je n'avais senti qu'on me haïssait, comment dire... dans ma spécificité culturelle. Eh bien voilà mon vieux, mieux vaut tard que jamais, c'est fait.

C'est arrivé l'autre jour à la télévision. Une journaliste interrogeait un monsieur dans la cinquantaine tout à fait « normal », élégamment vêtu, poli, un monsieur vous dis-je... La journaliste lui demande s'il parle français, et le monsieur lui répond - Vous m'insultez madame!

Le ton du monsieur était chargé d'indignation contenue, comme si la journaliste lui avait demandé s'il avait des morpions ou la syphilis...

Je précise que le n'étais pas là quand ont commencé toutes ces folies de villes ontariennes qui se sont déclaré unilingues anglaises. Je lu la chose à mon retour et ça ne m'a pas beaucoup emu. Parce que c'est de toute façon la proclamation d'un état de fait. Et que je serais même plutôt d'accord avec le principe de la chose...

Je n'ai pas sourcillé non plus quand j'ai vu quelques vieux orangistes s'essuyer les pieds sur le fleurdelysé. Les drapeaux c'est pas tellement mon bag. Qu'on crache dedans, qu'on les brûle tant qu'on voudra, moins y'en aura...

Mais ce monsieur dans la cinquantaine, qui s'indignait calmement qu'on le soupçonne de parler français, il m'est soudain apparu clairement que c'est sur moi qu'il crachait, ce con. Sur ce que je suis profondément, sur ma culture, sur mes manières d'être... Et comme je vous le disais c'est la première fois. La première fois pour vrai que je me sens le nègre, le juif, le pédé de quelqu'un.

Et moi qui pensais que cela me rendrait violent... Pas du tout.

Par un élémentaire souci de dignité (et peut-être de protection), je me suis seulement senti Québécois. Ce qui ne m'était pas arrivé depuis fort longtemps.

NOTA BENE - A propos du bleu outremer du rire de l'enfant, ça me re'vient maintenant, on peut dire aussi, et c'est vrai que c'est plus joli: un rire lapis-lazuli...