Le jeudi 10 janvier 1991


Un bon livre
Pierre Foglia, La Presse

Avant, je me débrouillais dans une cuisine. Sans plus. Avant, je faisais des petits trucs, des tambouilles de ma mère, de temps en temps une folie plus ou moins réussie. Quand même, dans l'ensemble, rien pour finir dans le Michelin.

Mais ça, comme je vous dis, c'était avant. Maintenant, disons depuis la mi-décembre, tenez bien vos toques les petits gourmands ! Un maître queux s'éclate à Saint-Armand ! Non, non, je n'ai pas suivi de cours. Plus simple que ça : je me suis payé le nouveau Larousse de la Cuisine. 1 500 recettes, une brique d'une tonne, mais c'est rien à côté de ce que vous pèserez, vous, quand vous les aurez toutes essayées.

T'sais quand on dit un BON livre ? Eh bien celui-là mon vieux, le meilleur de tous. Amenez en des Goncourt ( surtout le dernier )... Ce livre-là on s'en lèche les doigts, et ce n'est pas pour tourner les pages. Et facile avec ça. Et rapide. Autour de 30 minutes et hop là, ces messieurs-dames sont servis, entrée de carottes râpées aux raisins secs, foie de veau vénitienne ( aux oignons ), et pain perdu brioché comme dessert...

Des illustrations salivantes, des indications techniques lumineuses et des conseils diététiques un peu inutiles ( ben oui, ben oui la crème c'est très riche, pis après ? ). Les recettes se suivent dans l'ordre alphabétique, mais ne vous attendez tout de même pas à capoter de A à Z... Depuis un mois que j'essaie des trucs là-dedans, j'ai déjà boudé un lapin aux choux et un gâteau aux noix, les deux nettement moins inspirés que le reste. Mais sur une vingtaine de coups sûrs ça fait quand même une sacrée belle moyenne au bâton.

Attention. Ne pas confondre avec le Larousse gastronomique qui n'est pas un livre de recettes, comme on pourrait le croire. Le Larousse gastronomique est un manuel sur l'art d'enculer les cailles avec un bâton de cannelle avant de les servir sur un lit de confiture d'échalottes au muscat... Tandis que dans le Larousse ordinaire de la cuisine ordinaire, dont il est question ici, point de ces barbaries, point de ces plaisanteries pour laborantins en gastronomie. Ici tout est " bistrot ", du pot-au-feu rural, de la lentille, de la blanquette, du hareng, de la bavette, ce qui n'empêche pas, notez bien, on n'est pas des sauvages, ce qui n'empêche pas, par un beau dimanche d'automne, la chiffonnade d'endives aux girolles ( d'ailleurs cueillies dans le bois du voisin )...

Certes, à 75$ l'exemplaire cartonné, ce n'est pas un livre donné. Mais je vous suggère un truc. ( Non pas de le voler, c'est un peu gros ). Je vous suggère, la prochaine fois que vous irez au restaurant, de ne pas y aller, tout simplement. Achetez le livre à la place, c'est à peu près le montant de l'addition dans un resto moyen avec une bouteille de vin...

De toute façon, les restaurants... La dernière fois que j'en ai essayé un nouveau sur Saint-Denis, je cherche encore ce qu'on m'a servi, c'était famélique dans une grande assiette, genre atoll perdu dans le Pacifique, c'était en lamelles, blond, vaporeux, le poivre était vert et le beurre rose ou bien le contraire. Une cuisine d'éphèbes, une cuisine de coiffeurs plus habiles à peigner les assiettes qu'à les remplir. J'ai pensé un instant leur offrir le Larousse de la cuisine, mais je les connais ces petits snobs-là, ils eussent levé le nez en me traitant d'arriéré. Fait que je vais attendre qu'il soit traduit en japonais. Là y vont trouver ça flyé !

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Ah oui, je vous glissais comme ça en passant, il y a deux secondes que le Goncourt... bof le Goncourt ! Très nouvelle cuisine justement, grande assiette et pas grand chose dedans.

Le Goncourt cette année, rappelons-le c'est Les Champs d'honneur de Jean Rouaud ( Minuit )... Remarque que c'est vraiment pour parler qu'on en cause. Je suppose qu'il est trop tard ? Vous l'avez reçu en cadeau aux Fêtes ?

Moi j'ai tripé les 50 premières pages. Je disais à tout le monde : " Les Champs d'honneur, Whâo...". Puis je me suis tanné. D'un coup. Schlak. Faut dire que c'est un livre avec beaucoup de pluie, avec un grand-père dans une vieille auto qui fuit, une grand-mère qui fuit aussi, une tante Marie, un cousin Rémi... tous un peu humides et distillant un léger ennui, oh très littéraire, très " écrit ", mais tout de même, l'ennui. Après cent pages de grand-père et de matantes confites je me suis surpris à interpeller l'auteur : " Cout'donc chose, t'aurais pas une grande soeur qui grimpe aux arbres ? "

C'était très amusant d'entendre la critique. C'est le genre de livre qui incite la critique à nous annoncer le retour de la littérature. Retour qu'elle nous avait déjà annoncé il y a six mois, et l'année précédente et l'année d'avant. On peut ainsi en conclure que la littérature est une sorte de cousin de province un peu plat et humide qui nous visite ponctuellement, puis s'en retourne sans qu'on y prenne garde. D'ou notre surprise quand il revient : " Tiens t'étais donc parti ? "

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Quand je pense à mon contraire, à mon envers, je pense à Jacques Godbout. Si on creusait longtemps sous mes pieds on n'arriverait pas en Thaïlande on arriverait à Jacques Godbout... Il est intelligent, je suis émotif. Il est objectif, je suis partial. Il raisonne, je gueule. Il est économe, je suis redondant. C'est un foutu jésuite, je suis plus naïf qu'un air de pipeau.

C'est vous dire avec quelle curiosité amusée je lis cet homme-là. Ses chroniques de L'écran du bonheur ( Boréal ) m'ont plongé dans un pur ravissement...

C'est comme visiter une autre planète, tellement différente. C'est réfléchi. C'est posé. C'est net. C'est gentil, mais pas au sens mièvre, au sens de " bien-pensant ". Par exemple Godbout parle des gens qui applaudissent quand l'avion se pose à Mirabel. Moi j'aurais dit tu parles d'une bande de cons. Lui y dit non, y dit c'est parce qu'ils sont sentimentaux... Autre exemple, il commence une chronique en disant " Dans les villages et les villes du Québec il est des carrefours particulièrement hideux où les édifices en plus d'être couverts de néons multicolores, s'affichent dans une variété étonnante de styles ". Moi j'aurais tout de suite demandé c'est qui le mongol d'urbaniste qui se pogne le cul icitte ? Lui non. Lui y dit que cet éclectisme est l'affirmation de la liberté des individus...

Sauf que plus loin il en vient quand même à souhaiter une certaine harmonie, et à rêver d'une culture qui ne se contenterait pas des élans du coeur...

Et c'est ainsi que plus j'explorais cette étrange planète Godbout, plus elle m'était contraire par la manière, plus elle m'était proche par la substance.

D'ou mon pur ravissement. Et mon moindre souci de n'être pas intelligent.