Le samedi 12 janvier 1991


Le show de la misère
Pierre Foglia, La Presse

C'était l'autre soir à la télé. Un de ces documentaires charitables sur le tiers-monde. Gros plan sur un enfant magané. Le message : " Pour 27$ vous pouvez redonner l'espoir à cet enfant. "

Ainsi commençait ma première chronique sur la misère personnalisée. J'y mettais en cause Vision Mondiale et le principe du parrainage, en donnant un exemple que j'ai vécu en Colombie. J'y dénonçais aussi le racolage télévisuel, caricaturale représentation de la compassion, comme la pornographie est la caricaturale représentation du cul. C'est pourquoi je parlais des pornocrates de la misère...

Vision Mondiale a réagi, fort civilement d'ailleurs, me priant seulement de préciser que mon exemple colombien ne les concernait pas. Ce que je n'avais pas insinué de toute façon... Des parrains aussi ont réagi. Moins sereinement. Je les comprends. Mettez-vous par exemple à la place de ce prof de religion d'une école secondaire de la Rive Sud qui, associé à Vision Mondiale, a embarqué ses élèves, au début de l'année, dans un projet de parrainage de Vision Mondiale... Mettez-vous à sa place quand, au lendemain de ma chronique, plusieurs de ses élèves se pointent en classe en lui disant que le parrainage c'est de la bullshit.

Il m'a écrit une grande lettre, le prof de religion. Il me traite de salaud, puis, très boyscout, il me tend la main : " J'espère vous rencontrer et vous intéresser à notre projet... "

En réponse, je lui ai envoyé tout ce que j'avais sur Vision Mondiale, cette organisation californienne d'évangélistes fondamentalistes extrêmement conservateurs.

J'ai d'abord envoyé au prof, le propre journal de l'organisation, dans lequel il est dit en toute lettres que pour Vision Mondiale IL N'EST PAS DE FONCTION PLUS IMPORTANTE que d'enseigner la vérité de Dieu dans les régions éloignées...

Et cela monsieur le professeur de religion, cela ne s'appelle pas de la charité, cela s'appelle du prosélytisme. C'est pas pareil pantoute.

Partant de cette profession de foi, demandez-vous donc aussi pourquoi le message religieux est si discret, si étouffé dans les reportages télévisés de Vision Mondiale. Qu'est-ce que c'est que ces curés qui n'osent pas révéler leur FONCTION LA PLUS IMPORTANTE ?

Réalisez-vous aussi, camarade professeur ce que cela signifie d'aller mettre Dieu dans la tête des petits cambodgiens ?... Puisque nous avons nos miséreux nous aussi, imaginez un instant que des Arabes pleins de compassion viennent faire la charité dans nos quartiers défavorisés, des pétro-dollars dans une main, et dans l'autre, le Coran... Allah est grand c'est sûr, mais que dirait le Cardinal ?

J'ai aussi envoyé au prof des documents qui rappellent que Vision Mondiale a été accusée de servir de couverture à des agents de la CIA en Amérique Centrale. Ce que Vision Mondiale a d'ailleurs admis, en indiquant que la situation avait été corrigée depuis. De différentes sources on avance aussi que Vision Mondiale aurait également été utilisée par la CIA à des fins d'espionnage pendant la guerre du Vietnam. J'ai encore envoyé au prof de religion un long article du Monde diplomatique ( juin 85 ) qui dénonce l'action éminemment politique de Vision Mondiale en Équateur.

J'ai joint aussi des notes sur les actuels démêlés de Vision Mondiale avec l'Église catholique irlandaise et la presse britannique. On reproche entre autres à Vision Mondiale de consacrer énormément d'argent à sa propagande télévisée, cinq à six fois plus que les autres organismes de charité internationale...

Ayant envoyé tout ça à mon prof de religion, j'ai attendu. Attendu. Attendu. Pas de nouvelles. Fait que j'ai appelé...

- Cout'donc Chose as-tu reçu mes choses ?
- Oui, oui. D'ailleurs j'ai vérifié, y'a du vrai dans ce que vous m'avez envoyé...

Un peu tard non ? Passe encore pour le naïf qui se fait piéger dans son salon. Mais un prof ? Me semble qu'avant d'embarquer des jeunes, on se renseigne, non ?

Si on tient absolument à ce genre d'initiative ( je ne suis sûr du tout que ce soit une bonne idée à l'école, mais supposons ) si on y tient, la moindre des choses est d'abord d'identifier un organisme au-dessus de tout soupçon. Lequel ? Je ne sais pas moi...

OXFAM ?

En disant Oxfam, j'étais sûr de mon coup. J'aime bien comment fonctionne cet organisme, avec un minimum de personnel et en impliquant au maximum les structures locales... Oxfam donne le fric, et c'est la coopérative du coin ou l'association villageoise, ou l'église, pourquoi pas quand elle rassemble, qui réalise le projet...

Oxfam donc. J'étais sûr de mon coup. Mais tout de même. Pour être plus sûr encore, j'appelle quelqu'un que je connais à l'ACDI et je lui raconte la chronique que vous êtes en train de lire.

- Je viens de planter Vision Mondiale et je suis en train de dire aux lecteurs qu'ils feraient mieux de donner leur fric à Oxfam. C'est correct?
- M'ouin...
- Comment ça " m'ouin " ? Pas plus que ça ?
- Pas plus que ça...

( Ici, faut que je vous dise un truc. Entre les charitables des différentes armées du salut du tiers-monde, c'est pas les grandes amours. Croiriez-vous que ces gens-là qui vont porter la paix de par le monde, s'haïssent entre eux ? Comme quoi il est toujours plus facile d'aimer son lointain que son prochain, ( et d'ailleurs ça fait des bien plus beaux voyages... )

Qu'est-ce qu'on disait ? Ah oui, Oxfam. Ce qui faisait tiquer mon ami de l'ACDI c'est la composition de la prochaine mission aux Philippines et au Cambodge de OXFAM-Québec. Une mission de quatre personnes, deux journalistes, un gars d'Oxfam, et - j'ai sursauté moi aussi - et Marie-Michèle Desrosiers.

C'est sûrement une bonne personne Mme Desrosiers. Sauf que ce n'est pas sa personne qu'Oxfam recrute. C'est la Star d'un soir et son auditoire. C'est la meneuse de l'émission la plus évaporée de notre télé d'État. C'est quoi le flash ? C'est quoi le rapport avec le Cambodge ?

Oh, je sais bien, dans le domaine de la charité aussi, le spectacle gagne de plus en plus de terrain. Mais même... Admettons que le tiers-monde soit une scène où la pauvreté se donne en show et que la recette profite à tout le monde. Admettons. Mais qu'on y délègue au moins nos meilleurs montreurs d'ours ! Je veux dire Barbara Walters plutôt Vanna White. Un chef syndical, un poète, un philosophe, un comédien à message, une chanteuse à texte, n'importe quoi, mais pas une Star d'un soir. Pas Arsenio. Rien de sautillant ni de froufroutant...

Anyway.

J'entends bien votre question, allez. Je me la suis posée aussi. Existe-t-il un organisme de charité international parfait ? Au-dessus de tout soupçon comme Oxfam, mais qui ferait la dignité en plus de la charité ?

Eh bien oui, alléluia, un tel organisme existe.

La Croix-Rouge.