Le samedi 23 février 1991


La fleur au missile
Pierre Foglia, La Presse, Dans le Golfe

Dernière étape avant mon retour... Aussitôt arrivé à Istanbul, comme quelqu'un qui sort du bois ( c'est d'ailleurs un peu ça ), à Istanbul j'ai acheté tous les journaux et toutes les revues pour lire la guerre.

J'ai lu des choses étonnantes. Comme à la une de USA Today, ce papier d'une vieille dame de New York qui avait " osé " prendre l'avion pour aller voir sa fille à Miami. " C'est pas Saddam qui va me faire peur ", frétillait la vieille chose... Question : exceptionnelle nounounerie ou êtes-vous tous après capoter de l'autre côté ?

J'ai lu des choses étonnantes, disais-je, mais nulle part j'ai lu l'étonnement. Nulle part j'ai lu que cette guerre était un scandale.

Le comment, le western high-tech, a pris la place du pourquoi, désormais évacué en une formule récurrente qui est censée tout expliquer : la guerre était inévitable. Et ceux qui disent le contraire seront fusillés pour crime de naïveté.

Soit, la guerre était inévitable.

Mais par la faute de qui ? Qui a nourri le monstre ? Qui l'a soutenu pendant huit ans dans sa guerre contre l'Iran ? Qui s'en est servi comme rempart contre Khomeiny ? Qui a fabriqué l'arsenal conventionnel, nucléaire et chimique de Saddam ? Qui a transformé l'Irak en bunker ? Qui a laissé pourrir le problème palestinien en n'obligeant pas Israël à respecter les résolutions de l'ONU ? Qui ? Si ce ne sont Reagan, Bush, Thatcher, Mitterrand et les autres...

Soit, cette guerre était inévitable. Mais pas à la manière d'une fatalité, d'une catastrophe naturelle comme on en vient presque à le penser. Cette guerre n'est pas un act of God. Il y a des coupables. Saddam. Les mollahs de l'intégrisme islamique. Reagan. Bush. Mitterrand. Mme Thatcher. Les Soviétiques. Les extrémistes israéliens. Tous des p'tits Saddam. Tous des criminels de guerre. Toutes des putes noires.

Et bientôt rouges.

On voudrait les voir contrits aujourd'hui. Repentants, s'excusant. On aimerait les entendre dire : " OK on répare les dégâts, on ramasse la merde qu'on a foutue partout, et on débarrasse le plancher... "

Au lieu de cela, on les entend battre des records de lyrisme patriotique. On les voit porter le monde sur leur dos, pénétrés de leur importance. Pompeux, ils annoncent un ordre nouveau.

Soit, il fallait faire cette guerre. Mais la fleur au missile ? Le torse bombé comme Schwartzkopf ? Est-ce que le chirurgien qui opère d'un cancer du côlon siffle en coupant dans les chairs ? Brandit un p'tit drapeau ? Fait l'important ? Ce n'est pas comparable, dites-vous ? Vous avez raison. Le chirurgien n'est pas responsable du cancer de son patient.

Ce qui me scandalise absolument c'est que les Bush, Mitterrand, Major, Moubarak et leurs pareils qui les ont précédés, que tous ces babouins lamentables, ces puent-la-mort nous fassent la morale en plus. Depuis le début des années 80, ils proclament la fin de la récréation. Finie la civilisation des droits. Voici venue celle des devoirs, nous disent-ils... Et nous, braves tôtons, de récessions en augmentations d'impôts, de réductions de l'aide sociale en concessions syndicales, et nous, moutons, de rentrer dans leur camisole de force.

Et eux, pendant ce temps-là, d'investir dans la Guerre des étoiles. De foutre le bordel dans le monde. De fabriquer des Saddam. De fomenter des guerres qui deviendront ( et comment ! ) inévitables.

On voudrait les voir contrits aujourd'hui. Repentants. S'excusant. Au lieu de cela, on les voit aller à la chasse au dragon, fanfarons, la fleur au missile...

Soit, il fallait faire cette guerre pour désarmer Saddam.

Mais quand ils auront désarmé Saddam, qui les désarmera, eux ?