Le samedi 6 avril 1991


Pas envie
Pierre Foglia, La Presse

Franchement?

Franchement je décrisserais bien pour les 30 prochains mois.

Pas envie de voir monter la peur. Comme l'eau dans la rivière quand l'embâcle l'empêche d'aller où elle doit.

Pas envie de voir comment on va se faire baiser encore une fois.

Pas envie de répéter un milliard de fois les mêmes choses... Mais si, mais si madame Simard, vous l'aurez votre chèque de pension. Mais non, mais non, pas l'économie, la culture monsieur Dubois. D'abord tu respires. Après tu fais des affaires. Le contraire, tu crèves. La culture, ce milliard de petits détails qui tissent l'identité, qui font M. Dubois, que vous n'êtes pas Italien, ni Suédois, ni Polonais, ni Israélien, ni Américain, ni Français, ni Canadien. Et la langue qui sert à dire tout cela. L'identité quoi, c'est pourtant pas compliqué.

Enfin si, ça peut l'être, très compliqué. C'est comme les marées. Il n'y a rien de plus simple quand tu n'y penses pas. Tu vis avec, c'est là pour l'éternité. Mais quand tu commences à expliquer pourquoi, c'est tordu ça se peut pas, ça finit plus les explications, la lune et le soleil s'en mêlent et ça fait capoter les poètes, et ça donne des boutons aux baleines...

Pour revenir à l'identité, ça va être terrible si ça ne se fait pas. Le vide. On fera des affaires dans le vide. Des affaires. Des affaires. Des affaires... Business. Business. Business. On n'entend plus parler que de cela. On dirait qu'on veut devenir les Japonais d'Amérique. Après les Nègres blancs de Vallières, les Nègres jaunes de Boubou. Quel beau destin en forme de chambre de commerce...

Ce sera terrible si ça ne se fait pas. Mais vous savez quoi? Ce sera terrible aussi si cela se fait...

Ce sera terrible, les drapeaux. Les ovations debout. Les c'est-à-ton-tour. Le sirop d'érable qui coulera à flot. Vous avez vu comment il a coulé lourd et épais pour Ti-Guy? Ce n'était pourtant que quelques minutes. Imaginez cent jours... Et pas seulement les bruyantes quétaineries. La merde ultra-nationaliste aussi. Surtout. Les heavy. Les racistes. Les pure-laine frénétiques. Les fleurs-de-lys tatouées sur le bras...

C'est là qu'on en est. Si ça ne se fait pas il n'y aura plus rien à faire avant longtemps (sauf des affaires évidemment), on repartira pour un grand tour de déprime post-référendaire. Si ça se fait, c'est le contraire. Y'aura trop à faire, tout de suite, maintenant. Trop à s'engueuler sur le tas.

Alors voilà j'ai juste pas envie.

Je partirais bien en reportage pour deux ans et demi, loin.

Et dans deux ans et demi, quand je reviendrais, je dirais, ah tiens vous avez fait l'indépendance? Youppi. Ou bien je dirais, ah tiens vous n'avez pas fait l'indépendance? M'étonne pas. Je le savais. Tant pis, ce sera pour la prochaine fois...

Parce qu'il y aura des prochaines fois. Peut-être pas des centaines. Mais quelques-unes encore, après celle-là. T'empêches pas les marées. T'empêches pas les rivières. Avant de disparaître pour toujours dans les entrailles de la terre, elles ressurgissent, rejaillissent, sourdent, débordent plusieurs fois...

Voilà.

Avec tout ça on n'a pas parlé beaucoup de la dimension économique de la chose, c'est vrai. Je m'en excuse à plat ventre aux pieds de M. Bourassa. Je tiens cependant à lui signaler, comme aux complets-vestons égarés dans cette chronique (je les entends d'ici: «ressurgir, rejaillir, déborder... mais il éjacule ce con»), je tiens à leur signaler disais-je, qu'ils trouveront, ailleurs dans ce grand journal, aujourd'hui, ou demain, ou hier, ils trouveront tout, et même un peu plus, sur la non-viabilité des économies singulières à l'heure de la mondialisation des marchés...

NE COUPEZ PAS INFO-SECTE - Vous avez acheté un toaster qui ne marche pas. C'est plate, mais bon, vous avez des recours. L'Office de la protection du consommateur par exemple...

Moins facile. Votre fille, ou votre épouse, ou un ami très cher se laisse embarquer par les mongols de l'Église de Scientology ou par les Moonistes, ou les Krishna. Le croiriez vous? Il n'y a rien à faire! Pour un toaster, oui, tu peux t'arranger. Pour une personne, non. La victime se fera manipuler, laver le cerveau, souvent dépouiller de ses biens et nulle part vous ne trouverez de l'aide, ou même de l'information...

La dernière niaiserie en date par exemple, cette future Cité des immortels du mont Shefford du yogi Machin Marachi. Qui sont ces soi-disant écolos cosmiques? Quel intégrisme ou quel racket couvre leur folklore transcendental?

Jusqu'à hier on pouvait, au moins, appeler Info-Secte pour se renseigner. On vous y informait sur le yogi Machin Marachi, gourou de la méditation transcendentale. Info-Secte vous expliquait la différence entre méditer gentiment dans votre salon, et entrer en religion avec ces gens-là. On vous prévenait contre leur prosélytisme. Contre leur pensée manichéenne (les damnés, les sauvés)...

Bref, Info-Secte faisait, pour vos enfants, vos parents, vos amis, la job que l'Office de la protection du consommateur fait pour votre toaster.

Info-Secte faisait la job du gouvernement. Il est vrai, avec l'argent du gouvernement. 13 000$ de subvention par année! Ça payait deux salaires. La recherche. L'information au public.

Cette année Info-Secte demandait 50 000$ de subvention. Refusés. Motif officieux: ce n'est pas un service prioritaire.

C'est tellement idiot comme raison, il est si évident que Info-Secte répond à un besoin énorme, et la chose est si aisément vérifiable par le plus paresseux ou le plus borné des fonctionnaires, qu'on ne peut s'empêcher de chercher ailleurs les raisons de cette coupure...

Ne seraient-elles pas plutôt idéologiques? Ou revanchardes? Ce gouvernement qui a déjà eu pour ministre délégué à la Famille un adepte d'une commune de type très sectaire (le toujours ministre Robert Dutil, ex-résident de la Cité Écologique de l'Ère du Verseau), ce gouvernement qui a pour actuel ministre de la Santé et des Services sociaux un homme qui aurait soigné ses rhumatismes avec des gris-gris magnétiques (du moins ne proteste-t-il pas quand les vendeurs nouvel âge de ces gris-gris utilisent son nom dans leurs assemblées mystico-médicales), bref, ce gouvernement est peut-être mal renseigné «de l'intérieur». Peut-être sous-estime-t-il l'ampleur des ravages de l'envahissante merde cosmique?

Le fait qu'il soit lui-même éclaboussé devrait pourtant le convaincre de la criante nécessité d'information critique, en cette matière.

Ce que Info-Secte était seul à faire.