Le mardi 16 avril 1991


Tas de tôle
Pierre Foglia, La Presse

Je change d'auto tous les quatre ans. Ça adonne que c'est cette année.

- Cette année, je t'avertis, c'est moi qui l'achète, m'a prévenu ma fiancée...

Elle dit ça chaque fois. Mais vous savez comment sont les femmes: straights, méthodiques, appliquées, studieuses. Des qualités qui ne servent à rien pour acheter un char usagé. Pour acheter un char usagé, ça prend du nez. Et le nez, c'est moi qui l'ai.

Un char usagé, oui. Toujours des chars usagés. Ma fiancée et moi avons la même opinion sur les gens qui achètent des voitures neuves: des tatas qui dépensent une fortune pour entretenir l'engin qu'on leur rachètera dans cinq ans pour une bouchée de pain, et dont ils nous diront d'ailleurs eux-mêmes, tout fiers: « Elle est comme neuve ». Bien aimable à vous, suckers!

Une voiture usagée, donc. Autour de 3500$, jamais plus de 4000$. Et si possible, bleue. Le reste on s'en fout. Enfin, moi je m'en fous. Ma fiancée est un peu plus exigeante. Elle est un peu plus «petit moteur» que moi. Elle appelle à l'APA, elle demande conseil à notre garagiste. Elle pose toutes sortes de questions très techniques. C'tu une traction avant? Un six? Un quatre? À injection directe? Elle me perd. Je l'entendais l'autre matin répondre à une petite annonce. Elle demandait:
- Votre moteur, c'tu un deux litres ou un 2.5?

Mais ça, je sais d'où ça vient. C'est notre garagiste. Je ne sais plus trop pour quel modèle, il lui a dit que les 2 litres sont nuls. Le problème, c'est que les 2.5 sont très très rares, introuvables... Le vrai problème, en fait, c'est que notre garagiste ne veut pas qu'on change de char. Il est très attaché à celui qu'on a en ce moment. Encore l'autre matin, il nous a dit: «Il pourrait vous durer encore un an ce char-là, suffirait de changer le radiateur, refaire les freins, les shocks avant, la pompe à eau...» Ma fiancée venait juste de lui demander ce qu'il pensait des Escort:
- Y'a pas de moteur là-dedans! Et, toujours selon lui, les japonaises d'occasion ne valent rien, les européennes sont trop chères à réparer et les américaines, faut faire attention, c'est souvent scrap... Petit futé, va! Mais je ne dis rien. Je le laisse décourager ma fiancée, ça fait mon affaire...

Au début, il y a deux mois, elle pétait le feu:
- On va acheter une Nissan Stanza, qu'elle m'a dit, toute fière. C'est la meilleure voiture d'occasion sur le marché, d'après l'APA...

On est allé en voir une à Brossard. Le gars était désolé: «Vendue! Je viens juste». Une autre à Laval. Pareil. Pas le temps d'arriver, vendue. Une Nissan Stanza d'occasion, c'est comme un appartement à New York, y'a toujours un plus vite que toi qu'est prêt à mettre 500$ de plus que toi...

Alors ma fiancée s'est rabattue sur des Celebrity Euro-Sport, des Pontiac J 2000, plusieurs Cavaliers mais toujours quelque chose qui n'allait pas. De celle-là on avait changé la tête du moteur. Celle-ci en était à son quatrième propriétaire...

Ma fiancée s'impatientait. Devenait stressée, obsessive. Elle faisait vroum-vroum même en dormant. Fait que j'ai dit whô...

-Tu t'y prends mal, fiancée. Quand on achète une voiture d'occasion, ce n'est pas la voiture qu'il faut choisir, c'est le propriétaire. Oublie ça, traction avant, arrière, six ou quatre cylindres, what the fuck?... C'est le ou la mongol(e) qui l'a menée pendant cinq ans qui importe. Regarde-moi bien aller...
Ça a pris une fin de semaine. On est allé voir six autos. Voici les notes que j'ai prises sur chacune avant de me décider:
- Voiture 1, le vendeur de fournaises;
- Voiture 2, la maîtresse d'école, mère célibataire;
- Voiture 3, la cassette de Jean-Michel Jarre sur le dash;
- Voiture 4, plaque avant: J'aime ma femme. Sticker arrière: J'aime le Canadien. Celui-là m'a reconnu: M. Foglia? Je vous aime beaucoup. Petits animaux en plâtre dans le gazon;
- Voiture 5, la grosse qui venait de perdre son mari: «Une expérience qui fait grandir, vous savez»...
- Voiture 6, Biquet, le Français...

Bon, maintenant suivez-moi bien. Je ne recommencerai pas l'exercice avant quatre ans. L'idée, c'est de choisir la meilleure voiture des six. C'est pas difficile: la meilleure voiture, c'est celle du plus con. Pourquoi? Parce que faut être un peu gaga pour prendre soin d'un char. Pour le laver. Le traiter à l'huile. Le vidanger. S'inquiéter des petits bruits et de la petite tache de rouille ici. Bref, faut être un peu con pour aimer la tôle...

En partant, donc, t'élimines les bonnes femmes. En général, elles ne tripent pas fort sur la tôle, même quand elle tripent conduite. T'élimines le vendeur de fournaises, roule trop carrosse, trop de millage. T'élimines le Jean-Michel Jarre, musique évaporée, incompatible avec les changements d'huile. Reste Biquet le Français. C'est sa femme qui a répondu à la porte:
- Biquet, c'est pour l'auto...

Biquet est apparu, un petit foulard noué dans le cou. Coquet. Net. Sec. Le kit. Tout à fait le genre à noter la date de la dernière vidange dans son petit carnet. C'était lui mon prochain char. Sauf qu'il a dit: «Vous savez, c'est l'auto de ma fille». Woops...

Restait celui qui aime sa femme, qui aime le Canadien, qui aime Foglia et les petits animaux en plâtre. Vu qu'il aime n'importe quoi, y'a bien des chances qu'il aime la tôle aussi.

C'est lui qui a gagné. Affaire conclue. Ma fiancée entre justement dans le driveway avec notre nouvelle voiture. La marque? J'sais pas. Honda, je crois...

Je vous laisse. Faut que j'aille changer les stickers. À l'avant, rien. À l'arrière, «J'aime les Lakers».

Notes d'entrevue - J'ai donc rencontré le vieux chanteur (Richard Desjardins) à Magog. Pas grand chose à ajouter à ce que vous avez pu lire ailleurs.

Du bien beau monde. Très secret, même s'il se donne des airs de grand livre ouvert. Pour l'instant tout au plaisir d'être enfin reconnu. Et ça paraît sur scène, une plénitude heureuse, un grand bonheur de jouer, de raconter, d'être là. Un super bon show qui n'a rien à voir avec la cassette, d'ailleurs.

Qu'est-ce qu'il m'a dit? Plein de choses qu'il ne faut pas répéter dont je ne me souviens déjà plus. Un truc important à corriger: c'est pas vrai qu'il est ardent nationaliste comme on pouvait le lire dans un texte d'agence, vendredi dans La Presse. Ce qu'il est, ça le regarde. Disons qu'il a le PQ et son establishment culturel loin dans le cul. Mais il n'ira pas chanter pour autant au prochain congrès du Parti libéral.

Quoi à part de ça? Ah oui. Il fait dire au gars qui fait les mots croisés dans La Presse de lâcher les petites fleurs, ça devient tannant. Avis que je partage pleinement, d'ailleurs...