Le jeudi 25 avril 1991


La planète des gros tôtons
Pierre Foglia, La Presse

J'ai découpé un article l'autre jour dans La Presse que j'ai relu, depuis, une vingtaine de fois, et plus je le relis, plus je le trouve déprimant. Mais en même temps que je le trouve déprimant, je trouve aussi qu'il transcende notre époque, l'éclaire pour le moins, dans sa fulgurance involontaire...

C'est le témoignage d'une femme de 35 ans qui s'est fait implanter une prothèse mammaire en janvier dernier. Trente-cinq ans, séparée, trois enfants. J'insiste: on est en avril 1991, en Occident. C'est elle qui cause:
- Je suis séparée depuis cinq ans, je veux refaire ma vie, la plupart des hommes que je connais préfèrent les femmes qui ont des gros seins, c'est pour cette raison que j'ai décidé de subir cette opération (implantation de prothèses mammaires).

J'insiste: on n'est pas dans une tribu d'hommes-singes au centre de l'Australie. On n'est même pas à Saint-Jérôme en 1960, on est 30 ans plus tard, 30 ans de féminisme et de libération de la femme, plus tard... Mais laissons causer encore un peu la dame:
- J'ai voulu améliorer mon sort. J'étais entourée de femmes qui, chaque lundi matin, me racontaient ce qu'elles avaient fait au cours du week-end. Mes copines m'ont présentée à des amis, mais les hommes ne semblaient pas intéressés par une « planche à repasser »...

Une question vient tout de suite à l'esprit: « Pourquoi n'a-t-elle pas changé ses amis plutôt que ses seins ? Pourquoi ? C'est là le plus déprimant: tout simplement parce qu'elle partage le même esthétisme de merde que les obsédés de la mamelle... La preuve, c'est que tout en freakant sur le cancer, elle se regarde dans le miroir et se trouve belle en crisse avec ses gros tôtons tout neufs...
- Avant, mes mensurations étaient de 30-24-37, maintenant j'ai une silhouette de rêve, 36-24-36 et demi, et je travaille à perdre ce demi-pouce...

C'est elle qui le dit: SILHOUETTE DE RÊVE! C'est elle qui travaille à perdre ce demi-pouce... Et combien on parie qu'elle se ramasse aussi une ou deux fois par semaine dans un salon de bronzage? Que Dieu la garde d'un cancer du sein ou de la peau. Elle a bien assez de celui qu'elle a dans la tête...

Vous savez comment je suis manichéen, le bon le méchant, le blanc le noir, le bonheur la banlieue... je viens de trouver une autre façon binaire de diviser le monde: la planète des gros tôtons et l'autre...

Vous savez comme je suis manichéen, mais vous ne savez pas comment je suis, côté cul, eh bien je vous le dis: côté cul, je suis l'homme moyen. Avec des fantasmes bêtement conformes à ceux de la majorité des mâles blancs de mon époque. Au point où, pour me distinguer, au moins par un sourire, au lieu de dire « Ah oui ah oui encore encore », je fais parfois «béhèè, béhèè», comme les moutons...

Côté cul disais-je, je suis l'homme de l'ordinaire, sauf pour une affaire: les seins. Je n'ai jamais tripé sur les seins. Qu'ils soient gros, petits, sous les bras, dans le dos, je ne les remarque même pas, je ne papouille pas, sauf par inadvertance, et alors je trouve ça un peu caoutchouc, ça me fait penser aux trompettes des vieilles autos, vous savez avec une poire au bout, on ne résiste pas au plaisir enfantin de faire pouète-pouète, sauf que ces poires-là ne font rien du tout, anyway...

C'est juste pour dire combien je me sens martien dans cette affaire de prothèses mammaires. Ne parlons pas des cas médicaux qui de toute façon ne représentent pas 20 p. cent des interventions. Parlons de ces milliers de Québécoises qui courent se faire remplir le sein de polyuréthane pour des raisons esthétiques...

Me semblait que c'était fini depuis longtemps ce trip de filles de garage aux poitrines luxuriantes. Me semblait que la mode était aux petits seins, voire aux pas-de-seins-du-tout... Eh ben, faut croire que non, mon vieux. Je découvre avec stupéfaction qu'il y a tout près d'ici, une planète des gros tôtons où les hommes n'aiment pas les planches à repasser, où les femmes «travaillent» à leur silhouette 36-24-36. Et pas 36 et demi, attention...

Une planète jaune (comme les narcisses) où ils ont tous un peu le cancer du sein et de la peau, mais c'est pas grave, ils sont beaux, bronzés et ils s'organisent des soirées Hawaï à Anjou. Ils ont beaucoup de plaisir. Et ils jouissent tous en même temps.

Par le nombril.

Changement de sujet. Enfin pas vraiment. On reste dans les tôtonneries. L'autre jour, c'était la semaine du français, vous vous rappelez, bientôt ce sera la semaine du baseball mineur (j'ai bien hâte), il y aura ici la semaine des caniches, du condon, le mois Chopin, bref, ça ne finit jamais, notre quotidien est une pétarade continue d'événements importants et un kaléidoscope de préoccupations diverses. Cette semaine, tiens, savez-vous c'est la semaine de quoi, cette semaine?

C'est la semaine de notre Mère la Terre, mother earth.
C'est la semaine des consommateurs.
C'est la semaine du bénévolat.
C'est la semaine des secrétaires.
Non c'est pas fini. C'est aussi la semaine des dons d'organe.
J'en vois d'ici qui vont tout mêler, et peut-être même faire des dons d'organe à leur secrétaire...
Pas de farce, est-ce qu'on s'ennuie tellement pour se remplir la vie d'autant de bêtise?
Décidément, la semaine des tôtons, dure 365 jours par année...
On change encore de sujet, mais on reste toujours dans les tôtonneries. J'ai écrit, l'autre samedi, un petit article à la défense d'Info-Secte. Je reçois une lettre courroucée d'un monsieur Bergeron, théologien, impliqué avec le Centre d'information des nouvelles religions...

« Vous affirmez, se fâche M. Bergeron, qu'Info-Secte est seul à faire de l'information sur les sectes. Sur ce point vous vous trompez et vous induisez toute une population en erreur. Vous apprendrez qu'il existe le Centre d'information sur les Nouvelles Religions (CINR)...»

Faux monsieur. Je n'ai jamais dit qu'Info-Secte était seul à faire de l'information sur les sectes. J'ai dit qu'Info-secte était seul à faire de l'information critique...

Tiens, il faudra faire aussi une semaine de la lecture pour les théologiens de mauvaise foi.