Le jeudi 2 mai 1991


La femme remonte à la plus haute Antiquité
Pierre Foglia, La Presse

La femme remonte à la plus haute Antiquité, avait coutume de répéter Alexandre Vialatte, le plus kafkaïen des chroniqueurs auvergnats. Il voulait dire par là que les origines de la femme sont très anciennes. On a tendance à l'oublier, surtout à cette époque-ci de l'année où les jeunes femmes, dans leur fraîcheur printanière, semblent surgir à l'instant de la dernière rosée. Fausse impression: en réalité, la femme existe depuis des milliers d'années... Je sors à l'instant du Palais des congrès où se tenait le Salon de la femme et où, justement, il était très évident que la femme est une antiquité qui existe probablement depuis aussi longtemps que le cheval.

Après le Salon de l'automobile et le Salon de la chasse et de la pêche, le Salon de la femme est le salon le plus apaisant pour l'homme... Souvent, dans le courant de l'année, l'homme est dérouté par sa fiancée, sa soeur, sa fille, sa propre mère parfois. Il l'entend dire qu'elle veut devenir conductrice de machinerie lourde, l'entend exiger des distributrices de condoms dans les toilettes de son cégep, et il s'inquiète: où va la femme?

Que l'homme se rassure. La femme ne va nulle part. Je veux dire que la femme est éternelle et chaque année le Salon de la femme vient nous le rappeler: la femme n'a presque pas changé depuis l'Antiquité. Comme dans l'Antiquité, la femme de 1991 est essentiellement féminine et électroménagère.

Où va la femme en 1991? Elle va au Salon de la femme acheter un plumeau magnétique pour épousseter ses stores vénitiens en profondeur. Voyez qu'on a tort de s'inquiéter.

Le salon est divisé en deux: à gauche, tout pour la ménagère; à droite, tout pour la poupoune. C'est ainsi que la femme sort du Palais des congrès comblée, la poupoune son sac plein de laits démaquillants et de cires épilatoires, et la ménagère un magnifique plat Tupperware à trois étages sous le bras.

Claudette Binette, la démonstratrice Tupperware, faisait son boniment à une maîtresse d'école à la retraite, genre bonne soeur. Claudette avait déposé à terre le plat à trois étages et invitait la maîtresse d'école à monter dessus. La maîtresse poussait des petits cris d'excitation: c'était sans doute la première fois de sa vie qu'elle montait si haut. M'étonnerait pas qu'elle ait acheté le plat juste pour se jucher dessus toute nue, toute seule dans sa cuisine. Il y a deux sortes de femme: la clitoridienne et la vaginale. Chacune jouit à sa manière, mais les deux prennent aussi beaucoup de plaisir a enfermer des petits morceaux de veau froid dans des contenants Tupperware, ce qui leur permet de s'épanouir malgré tout.

Pas très loin du stand Tupperware, un camelot était en train de battre le record du monde de la mayonnaise en moins de dix secondes. Un autre vendait des couteaux en évoquant tous les usages possibles, dont celui prévisible de découper, en rondelles, le zizi de l'infidèle. Les dames riaient, riaient. Et achetaient, achetaient. Comme le dit un vieux proverbe suisse: La vache qui rit est un fromage à pâte molle, la femme qui rit aussi.

Je me suis aussi attardé quelque instants au stand de la goberge où j'ai enregistré ce dialogue surréaliste:
- La dame: Ça goûte très fort, le crabe!
- La vendeuse: Ce n'en est pas, madame. C'est de la goberge. La goberge est un poisson qui ne goûte absolument rien. On lui donne le goût du crabe en le faisant cuire dans un bouillon de crabe...
La dame, pensive: Si on faisait cuire la goberge dans un bouillon de poulet?
La vendeuse: Ça goûterait le poulet...
Moi: Et si on faisait cuire la goberge dans un bouillon d'andouille? (La vendeuse ne m'a pas répondu...)
La dame étonnée: C'est nouveau, ce poisson-là?
Moi: Pas du tout, madame, la goberge remonte à la plus haute Antiquité.

Le stand d'une école de danse sociale séparait la section électroménagère de la section poupoune. Sur un air de samba, deux couples de l'âge d'or s'exhibaient: les cavalières l'oeil humide, les cavaliers avec une gravité de gigolos rastaquouères. La danse en public devrait être interdite aux vieux. Ils parodient la sensualité, lui substituent une sénile pantomime vaguement masturbatoire...

Réalisez votre rêve, quel que soient votre âge, votre taille, devenez mannequins d'un soir dans nos super défilés. Formation gratuite, promettait une annonce un peu plus loin. La «pogne», c'est que le «mannequin» s'engage à vendre au moins dix billets à 12$ à ses parents et amis pour le soir du super-défilé... Et ça pogne! Encore le syndrome Tupperware: l'idée, c'est de faire payer les autres. Viendras-tu, ma tante Monique? Envoye donc, juste 12 piastres!... Ma tante Monique acceptera à une condition: elle prendra le cours elle aussi, la session d'après: « M'achèteras-tu un billet à ton tour? »... Quelque part y'a un petit rigolo qui compte la recette, 12 et 12 multiplié par mille...

La femme descend de la plus haute Antiquité en se tortillant dans ses plus beaux agrès. Au premier rang, il y a un maquereau qui se frotte les mains: «Pogne z'y ses sous, j'la connais...»

À l'heure où je suis allé au Salon de la femme, les vedettes du salon avaient quitté les lieux, sauf madame Louise Deschâtelets, une de mes idoles de toujours (juste après Suzanne Lévesque, que je trouve quand même plus intellectuelle). Une de mes idoles, disais-je, que je me suis empressé d'aller féliciter pour son beau programme. Elle était au stand de Nutri-diète, et je lui ai demandé si elle avait perdu beaucoup de poids. Elle m'a répondu avec grande simplicité (les plus grands sont plus simples):
- Non, je n'ai rien à perdre, moi...
- Alors, si vous êtes là, c'est que vous avez tout à gagner? ai-je finement enchaîné... Je voulais dire: Cout'donc, Chose, ça paye-tu de faire des pubs merdiques?...
(Je me renseigne sur les prix, au cas où on me proposerait de faire la promotion du Salon, l'an prochain...)
En sortant du Salon, je tombe sur un stand sans annonce, sans rien, et je demande à la personne qui était là de quoi il s'agit. Elle me répond comme si c'était tout naturel:
- Ici, monsieur, c'est le kiosque des femmes battues...

C'est trop. Je crois honnêtement que les organisateurs de ce Salon exagèrent. Je veux bien que, dans ce Salon, on vende aux femmes des plumeaux magnétiques. Je veux bien qu'on les traite en poudrées, en Barbies, en putes... Et passe encore qu'on les niaise, qu'on les vole, qu'on les abrutisse...

Mais qu'on les batte?