Le samedi 25 mai 1991


Monsieur Malenfant
Pierre Foglia, La Presse

Le plus difficile, c'est de garder son calme.

Enfin quoi, sacrament, Malenfant, c'est bien le sauveur du Manoir Richelieu ? C'est bien le génial promoteur du casino de Winnipeg ? Malenfant, l'exemple à suivre en matière de gestion hôtelière et immobilière, c'est bien celui-là ? Le Trump de Charlevoix. L'Homme d'Affaires Québécois avec un grand H, un grand A et un grand Q ?...NOTRE modèle de réussite économique de la dernière décennie.

L'EXEMPLE que les tenants du libéralisme économique aiment montrer au bon peuple qui en bave d'admiration. Ah ! Malenfant. Oh ! Malenfant. Jusque dans le désert, pendant la guerre du Golfe, j'ai rencontré des Bédouins pour me dire : " Certes, Allah est grand, mais moins que Malenfant chez vous "...

Le plus difficile, c'est de ne pas céder à la dérision. Pourtant ! Pourtant, sacrament, c'est une vraie joke... Rappelez-vous quand ce héros a émergé de l'actualité en jouant des bras avec les syndicats... " Un peu fasciste, peut-être ", suggéraient quelques-uns, dont j'étais. Vos gueules les gauchistes, nous répondait-on. Il crée des emplois, lui.

Au fil des mois, l'affaire du Manoir Richelieu enterrée ( et le mort aussi ), la presse a tiré de si nombreux et si triomphants portraits de Malenfant que même son extrême vulgarité et son analphabétisme sont devenus des composantes incontournables, peut-être pas de la réussite économique elle-même, mais du prestige qui vient avec. Malenfant a beaucoup contribué à renforcer chez nous cette idée que pour réussir en affaires, il n'est pas nécessaire d'être un imbécile, mais ça aide, et ça rend tellement plus sympathique...

" Fermez vos gueules les intellectuels, il crée des emplois, lui. C'est pas un poète subventionné, lui. " Bon, bon. Merci mille fois, monsieur Malenfant...

Mais qu'apprend-on soudain ? L'incroyable, mon vieux. L'impensable. Que M. Malenfant est en grande difficulté financière. Et que, par décret secret, le gouvernement vole à son secours. Ah ben... Pourquoi un décret secret ? C'est la question que tout le monde se pose. C'est drôle, moi j'm'en crisse. La question pour moi, c'est : pourquoi dans le trouble ? Ne me répondez pas que c'est à cause de la récession. C'est un génie ou c'est pas un génie ? La crise, je sais. Mais n'est-ce pas la moindre des compétences pour un homme d'affaires que de gérer les crises ?... Quand il fait beau, quand tout va bien, avec quelques millions en poche, n'importe quel abruti est capable de faire des affaires. C'est autre chose par gros temps. Quand il faut tenir le gouvernail et rouler avec la vague... Où est son expertise en administration hôtelière et immobilière ? Où est l'homme d'affaires baveux qu'on a vu si souvent se rengorger ? Où est le fin-finaud qui disait avoir dans sa poche toutes les clefs du succès économique... Serait-ce par hasard que, comme bien d'autres, ce n'était qu'un gérant de binerie qui, à un moment donné, s'est trouvé au bon endroit, au bon moment, et qui, après une passe ou deux, a cru, dur comme fer, qu'il avait du génie pour les affaires ?

Et c'est ce génie-là qui pilote aujourd'hui, en coulisse, le dossier du casino pour le compte du gouvernement ? C'est lui qui jure que ce sera une bonne affaire ? Et le gouvernement le croit, bien sûr, parce que Malenfant, y connait ça les affaires. La preuve...

Le plus difficile, c'est de ne pas sacrer, sacrament. J'ai entendu Malenfant vomir quelques fois sur les assistés sociaux et les chômeurs, ces parasites qui vivent aux crochets de la société. Parce que, bien sûr, M. Malenfant ne croit à aucune forme de justice sociale. Que la charité publique s'occupe donc des pauvres et des paresseux et qu'on réserve les fonds publics aux bâtisseurs de grands projets, ceux-là qui font la richesse du pays... ( Je cite presque textuellement ).

J'ai déjà entendu M. Malenfant dire tout le mal qu'il pensait de l'appareil de l'État ( un peu le même discours que son ami Arthur )... Ces fonctionnaires de merde, ces inutiles, ces faiseux de règlements qui empêchent le commerce... Parce que, bien sûr, pour M. Malenfant, l'État ne peut-être qu'un État-croupion, un État-domestique dévoué entièrement aux forces vives de la nation - j'ai nommé - les investisseurs, les promoteurs, les industriels, les hommes d'affaires... Des obligations civiques, dites-vous ? C'est quoi ça ?

Le plus difficile, c'est de rester calme quand le gouvernement qui sabre tout et partout, et qui fabrique, par ces compressions, des milliers de chômeurs, quand ce gouvernement nous répond qu'il prête à M. Malenfant pour sauver 2800 emplois. Fuck. Il prête à M. Malenfant pour sauver M. Malenfant, un ami du régime. Point à la ligne. Le plus difficile, c'est de ne pas prendre un fusil quand ce gouvernement qui se désengage de tout et partout ( comme bien d'autres il est vrai, puisque c'est là l'idéologie dominante dans l'Occident de l'après-communisme )... quand ce gouvernement qui coupe les vivres et l'électricité à de milliers d'indigents ( 50 p. cent des habitants du centre-ville de Montréal vivent sous le seuil de pauvreté )... quand ce gouvernement - je vais finir par le dire - nous apprend qu'il y a au moins une chose qu'il n'a pas coupée : l'aide aux hommes d'affaires nécessiteux. Ouf, merci mon Dieu.

Et vous vous demandiez, braves gens, pourquoi cacher ce décret ? C'est pas évident ? Trouvez pas qu'il y a de quoi avoir honte un peu ?...

Madame Bacon

J'aime bien madame Bacon. Je ne partage aucune de ses convictions, mais j'aime bien. Parce que c'est pas une pute. On sait tout de suite où elle loge. Sur l'écologie, par exemple. Fuck l'écologie, qu'elle dit. Développons à n'importe quel prix. C'est aussi ce que pensent M. Bourassa et la plupart des ministres. Et des députés de l'opposition.

Mais madame Bacon le dit à haute et intelligible voix. Les autres niaisent avec le puck : " C'est très important l'écologie, mais gnagnagna...". Tu t'aperçois finalement, quand ils ont fini de dire gnagnagna, que c'est pas important du tout...

Le pire de tous, c'est le ministre de l'Environnement Paradis. J'ai déjà écrit que Boubou l'avait nommé là pour l'emmerder. C'est pire que ça. C'est Paradis qui voulait. Parce que c'est bon pour la carrière, ministre de l'Environnement. C'est toujours toi le bon gars. Tu voudrais. C'est les autres qui veulent pas. Mais, au fond, Paradis veut encore moins que madame Bacon. Je dis pas ça en l'air. Je connais assez bien la gang. Il fricote dans le coin...

J'aime bien madame Bacon. Elle est la seule, par son attitude tranchée, à poser la vraie question :
- C'est quoi vous voulez ? La santé ou des jobs ?

Moi c'est la santé. Mais c'est vrai que j'ai déjà la job.