Le dimanche 16 juin 1991


C'était vrai...
Pierre Foglia, La Presse, Russie

- Dis donc Marcel, ta médaille d'or aux Jeux Panam à Winnipeg, ça doit bien faire 12 ans ?
- Es-tu malade ! C'était en 67 ! Ça fait 24 ans !

On était quatre dans l'auto. Marcel Roy donc. Guy Morin. Et au volant Noël Lessard, lui aussi ex-coureur des années 70, tout comme Jean, son frère jumeau, l'organisateur de ce Grand Prix Cycliste de Beauce.
- Toi, Guy Morin, j'aime mieux pas te demander l'année de ton retour dans les Six-Jours, tu vas me répondre en 1902 !

Vous ne me croirez pas, mais en l'espace de 100 kilomètres, avec ces trois vieux mongols là dans l'auto, j'ai rajeuni de 30 ans !

C'était dans la deuxième étape du Grand Prix de Beauce. Dans la très dure montée vers l'Observatoire, avec des pentes à 14 p. cent, dans le vent et le froid... Devant, irrejoignable maintenant, caracolait le petit Kevin Wharton qui avait piégé tout le monde bien avant. Derrière, Jacques Landry et Yvan Waddell se livraient un duel singulier, pour la gloire. Deux superbes coureurs. Deux pareils, deux grandes sauterelles plus maigres que leur vélo, avec des grandes pattes et des grands bras. Deux coureurs cyclistes, je veux dire, deux fous magnifiques capables de souffrir pour le fun... Landry, plus frais, donnait des coups. Waddell s'accrochait. Les deux avaient la bouche blanche de bave séchée, et en dedans, ils devaient être gris comme l'acier qui bout. À deux encâblures, un Néo-Zélandais montait en zizaguant pour couper la pente, et un tout petit Polonais mangeait son guidon...

Dans l'auto on avait fermé nos grandes trappes à souvenirs. On n'avait plus besoin de se rappeler les exploits d'avant. C'était là, devant nous. Pareil qu'avant. Dans ce décor de haute montagne, deux fous magnifiques à pédales, deux spectres surgissaient des brumes du temps. Merci Landry, merci Waddell et tous les autres.

En haut, à la ligne d'arrivée, Jean Lessard pleurait. Jean c'est l'âme de ce Grand Prix cycliste de Beauce. Et cette ascension du Mont-Mégantic, c'est son idée. Sa vision du vélo. Sa réponse toute droite aux organisateurs de courses en rond ( les mardis de je sais pas quoi, par exemple ).

Pourquoi Lessard pleurait ? Parce que c'était beau. Parce que c'était vrai. Parce que tout le monde était là.

Arsenault dites-vous ? Serge ? Le grand passionné de cyclisme lui-même ?... Non, il n'était pas là, Serge. Il ne vient pas dans ces affaires-là, je crois. Pas de gros commanditaires, pas de flaflas, pas de spectateurs, juste des coureurs : y vient pas...

Hey, c'est vrai ça, j'ai oublié de vous le dire. Pas un spectateur à la ligne d'arrivée. On était jeudi midi, il faisait froid, il y avait du vent, mais quand même, pas un !

Attendez, si. La moitié d'un. La moitié parce qu'il ne s'était pas vraiment déplacé. On était chez lui à l'Observatoire. C'est le technicien, vendeur d'étoiles dont je parlais dans ma chronique d'hier. Il en a d'ailleurs donné une au petit Wharton, le vainqueur. Une étoile de la constellation du Bouvier.

Par les nuits très très claires, parce que c'est très très loin, Wharton pourra pointer une lueur au fond ciel et dire à sa blonde, tu vois l'étoile là-bas, celle qui s'allume, qui s'éteint, qui s'allume, qui s'éteint ?... Je l'ai gagnée au Mont-Mégantic.