Le lundi 25 novembre 1991


Le courrier du genou
Pierre Foglia, La Presse

À propos de Mike-le-Comic, M. Nicolas Léonard de Montréal me demande si j'écoute parfois ce que disent nos humoristes pure-laine... Pas que je sois très fédéraliste, précise M. Léonard, mais as-tu noté que chaque fois qu'ils disent Canada, Clyde Wells ou Jean Chrétien ( et ils ne s'en privent pas ) as-tu noté avec quelle pavlovienne servilité le public répond par des huées, exactement comme ceux de l'Ouest huent chaque fois qu'ils entendent le mot " French "...

Pour revenir à Mike-le-Comic et son inexcusable " French lesbians night out ", il faut souligner l'engouement d'un certain public anglophone pour un humour très vulgaire et très baveux, mode qui n'excuse rien mais qui nuance un peu le contexte... ainsi, je suis certain que si les jeunes femmes de la table près de la scène avaient été anglophones, Mike leur aurait servi aussi son " lesbians night out ", parce que ça fait partie du répertoire des jokes douteuses qu'il plogue de toutes façons dans son show...

Merci, M. Léonard, de cerner aussi précisément le léger malaise qui m'a saisi en appréciant les retombées de cette chronique... Certes si personne n'avait rien dit, les jeunes femmes insultées rumineraient encore leur humiliation publique, mais la récupération " ultra-nationaliste " de l'incident ( entre autres sur les ondes de CJMS ) m'a embarrassé.

Plus encore. De me retrouver du bord des délateurs-puritains, comme nous y amène parfois la fonction d'information, me fatigue toujours énormément. C'est pour ça que, souvent, je change les noms et les lieux. C'est pour ça aussi que je me fais demander cent fois par mois : " Cout'donc c'tu vrai c'que vous racontez monsieur Foglia ? "

Alors de temps en temps, je donne des noms, rejoignant ainsi les Pascau, Proulx, Arthur et tous les autres puritains de la profession qui se prennent pour les gardiens de la morale publique.

Je n'en suis pas plus fier pour ça. Au contraire.

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Jean-Robert H. de Laval est un fidèle lecteur qui m'écrit depuis des années. Téteux du genre analytique, un sémiologue, un faiseur de sens qui s'amuse à dépister mes intentions profondes : Vous ne vous rendez pas compte comme vous êtes transparent, ici par exemple, quand vous dites... Tu m'fatigues Jean-Robert. Au début je trouvais ça comique, maintenant je reconnais tes enveloppes et ne les ouvre pas toujours...

Tu connais la fable russe du mille-pattes et du cul de jattes, Jean-Robert ?

C'est un cul-de-jatte qui rencontre un mille-pattes au coin d'une rue.
- Comme vous êtes intelligent, dit le cul-de-jatte au mille-pattes...
- Intelligent ? s'étonne modestement le mille-pattes et pourquoi donc ?
- Il me semble, dit le cul-de-jatte, il me semble qu'il faut être très très intelligent pour coordonner le mouvement de mille-pattes en même temps. Par exemple pour savoir exactement quoi faire avec la 711e patte au moment où la huitième touche le sol...
Le mille-pattes n'y avait jamais pensé. Dès lors il y pensa sans arrêt. C'est vrai ça, que faisait donc sa onzième patte quand la 239e avançait ? Et la 643e ? Et la 42e ?
La suite est prévisible. Le mille-pattes s'emmêla les pattes, s'enfargea si souvent qu'il n'osa bientôt plus avancer et devint complètement immobile.

Cette fable nous dit qu'il faut avancer. Et laisser les culs-de-jatte penser. Ils n'ont que ça à faire.

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J'ai déjà dit ici le plaisir que je prenais à lire Jean-Paul Desbiens - le Frère Untel - du temps où il s'exécutait dans nos pages éditoriales. Je faisais alors de la réclame pour sa maîtrise du langage et sa curieuse confection de la phrase qui ( un peu à la manière d'un Jouhandeau ) annonce plus le métaphysicien que le chroniqueur...

Bref, j'avais la plus vive admiration pour ce curé-là même si je n'adhérais en aucune manière à sa très chiante morale du devoir.

Nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais naïvement, j'imaginais qu'à l'instar des autres curés que je pratique, son oecuménisme léger s'accommodait tant bien que mal de mon nihilisme gras ( l'expression est de lui, mais j'aime...). Eh bien pas du tout mon vieux. Dans Jérusalem Terra Dolorosa ( Beffroi, 1991 ) c'est avec des haut-le-coeur de dégoût que Desbiens cite mes chroniques sur la guerre du Golfe, s'indignant que j'aie pu appeler Jésus le fils de Chose et me reprochant mon inculture générale : On est bien loin des reportages de Saint-Exupéry durant la guerre d'Espagne...

C'est peut-être qu'on était bien loin de l'Espagne, y avez-vous pensé curé ? Et surtout bien loin de la guerre. Anyway, vous tombez bien, j'ai pour Saint-Exupéry la même admiration que Céline pour Sartre et que Sartre pour Chateaubriand, c'est vous dire que j'irais volontiers pisser sur sa tombe s'il en avait une. Ses pittoresques exaltations à l'héroïsme pour scouts un peu demeurés ne m'ont, effectivement, jamais fait retrousser un poil du nez.

Mais bon, jusque-là, ça allait. La surprise c'est la tirade sur ma préhistorique chicane avec Jacques Dufresne... Qu'est-ce qui vous prend curé ? De quoi j'me mêle ? Et qu'entendez-vous par : " Quand Pierre Foglia s'est attaqué à Jacques Dufresne, il a dû prendre son trou ". J'ai dit ce que je pensais ( et pense toujours ) du fumeux philosophe. Il m'a répondu aussi longuement qu'il l'a voulu. Il n'a jamais été question que je surenchérisse. Si c'est là ce que vous appelez " prendre son trou ", alors je le prends souvent, et volontiers. Je ne suis pas le cowboy que vous pensez, curé.

C'est vous qui tirez sans prévenir. Et me voilà avec un petit trou dans l'âme. Là, vous êtes content ?

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Pour Pier Noli, d'Outremont. Tu permets que je réponde à une question que tu ne m'as pas posée dans ta lettre, jeune homme ? Sais-tu pourquoi ça applaudit très fort dans la salle quand je dis que les gens sont bêtes, ou que le monde est fou, ou que : oh la la qu'est-ce qu'il y a comme mongols dans le poste de radio qui chantent des chansons plates ?...

Eh bien ça applaudit très fort parce les gens, le monde, les mongols qui écrivent des chansons s'imaginent toujours que ce n'est pas d'eux que je parle. Mais du voisin.

Eh bien ils se trompent.

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Ceux qui, comme vous, vomissent des mots tout crottés à pleine chronique... ( Thérèse Potvin, Montréal ).

Ça changerait quoi, pensez-vous, Thérèse, si je les choisissais ces mots avec soin, les nettoyais, les polissais bien comme y faut et les faisais tinter en les laissant tomber de haut dans l'écuelle du lecteur aveugle ?