Le lundi 2 décembre 1991


Les points
Pierre Foglia, La Presse

Les gens sont chialeux, c'est épouvantable... L'autre jour une dame m'appelle pour me dire que le malaxeur qu'elle a eu " pour presque rien " avec ses points Multi points, lui serait revenu moins cher si elle l'avait acheté à Distribution aux Consommateurs.
- Qu'est-ce que vous pensez de cela M. Foglia ?
- Rien madame. Je ne sais pas c'est quoi Multi points...

Depuis, je me suis renseigné. La petite calculatrice spéciale que t'achètes 25$, à la Banque Nationale, la chasse au trésor codé dans les pages des journaux, à la télé et à la radio qui permet d'entrer des points dans la calculatrice... Louise Cousineau a superbement résumé la chose : c'est la version high tech des timbres Gold Star.

C'est assez le fun ! J'ai été chercher ma petite machine moi aussi. Et je ramasse ! Je ramasse !

Mais les gens sont chialeux, c'est épouvantable... Tiens, Yves C. par exemple. Avec ses 5800 points il est allé chez Budget la semaine dernière, se louer une voiture intermédiaire pour 29$ par jour, prix super-super-spécial pour les membres du club Multi points. Plus les taxes et les assurances, ça lui revenait à 106$ pour le week-end. Un super-super spécial. Mais juste pour voir combien il économisait grâce à Multi points, Yves C. à appelé chez Tilden. Surprise : sans points, sans rien, comme simple client ordinaire, on lui louait la même voiture intermédiaire, tout inclus, 95$ pour le week-end...

J'ai appelé à mon tour chez Budget pour vérifier l'histoire de Yves C. Et après bien des hésitations, la fille au téléphone a fini par m'avouer, excédée :
- Écoutez, je ne suis pas censée vous le dire, mais en réservant trois jours d'avance, nous aussi, comme Tilden, on offre aux clients ordinaires, le même forfait à 29,95$ par jour, pas besoin de points ni de Multi points...
J'ai rappelé Yves C. :
- OK t'économises rien avec les points. Mais tu perds rien non plus et t'as le fun de les ramasser...
- Pourquoi faire ?

Voyez comme les gens sont chialeux. Pourquoi faire ? Pourquoi faire ? Pour les compter, c't'idée... Au lieu de compter les moutons le soir, je compte mes points. Six mille huit cent quarante-trois, huit cent quarante-quatre... À côté de moi, dans le lit, ma fiancée compte aussi : quatre mille cent soixante-sept, cent soixante-huit...

Elle en a moins que moi. Un peu. Mais elle est contente pareil.

SEXISME -

Sûr, ce serait sympathique des filles dans la Ligue Nationale de Hockey. Au début. Après, bof, on ne les remarquerait même plus. Ce qui est tripant c'est le changement, les murs qui tombent, l'Histoire qui se fait...

Quelque chose me dit que les premières filles dans la LNH seront des gardiennes de but comme cette jeune Manon Rhéaume qui a fait une apparition très remarquée cette semaine devant les filets des Draveurs de Trois-Rivières. C'est la première fois qu'une fille joue dans cette antichambre des pros qu'est le junior majeur...

Elle n'était pas tout-à-fait de calibre, semble-t-il. Mais là-dessus, je ne suis pas d'accord avec mon collègue Pierre Ladouceur qui écrivait, samedi, dans nos pages sportives, que Manon Rhéaume n'avait pas d'affaires devant le filet des Draveurs... D'un point de vue stratégique l'instructeur a probablement commis une erreur, mais l'aspect stratégique m'apparaît bien secondaire. Il faut, au contraire, féliciter cet instructeur d'avoir osé prendre ce risque historique. C'est le message implicite ( et sûrement involontaire ) qui importe ici. Ce message dit aux jeunes filles de talent qui aimeraient jouer au hockey avec les meilleurs ( sans distinction de sexe ) : " Youppi les filles, ce n'est pas pour demain, mais ce n'est pas complètement débile d'en rêver... "

Ce qui me laisse songeur par contre, c'est la couverture de l'événement. Pas son ampleur. Son flou poétique. Je n'ai jamais su, en lisant les compte-rendus le lendemain, si cette enfant-là avait de l'avenir ou non dans le hockey organisé...

C'est finalement Pierre Ladouceur qui l'a dit dans sa rigoureuse mise au point du samedi. Le seul qui n'ait pas tortillé de la plume pour répondre à cette question bien élémentaire :
- Cout'donc, a-t-elle bien joué la petite ?
Eh bien non. Elle n'a pas bien joué du tout. Et rien n'indique qu'elle pourrait évoluer avec l'élite dans un avenir prochain. Son problème : elle est vulnérable sur les tirs puissants.

Bref, elle joue comme une fille.

Sexiste, hein ?

Je savais que vous diriez cela. Ça fait au moins dix mille ans que les filles et les garçons ne jouent pas au hockey ensemble. En voilà une qui passe la frontière, prend le risque, et devinez quoi ?

Tout le monde voudrait qu'elle joue comme un gars !

Mais c'est moi qui est sexiste évidemment.

LES APPARENCES -

Je suis dans la cuisine. Il neige dehors. Un cardinal becquette les graines de tournesol que je viens d'aller lui porter. Je lirais bien le journal mais le chat est couché dessus. Le téléphone sonne. C'est la réceptionniste de La Presse : " Rappelle donc la secrétaire de M. Guy Blet, attaché de presse du consulat général de France. " Blet ? Jamais entendu parler. Je rappelle.

- Ah, M. Foglia, je suis la secrétaire de Monsieur Guy Blet, il vous invite à déjeuner le 4 décembre...

La dame n'a pas dit : " M. Blet souhaiterait vous inviter à déjeuner quand il vous conviendra. " Non, c'est bien le 4 décembre. Sans être cassant, le ton est ferme, celui d'une secrétaire médicale. Je la devine, le crayon suspendu au-dessus de son agenda...

- Allez dire à M. Blet que lorsque l'envie me prendra d'aller dîner avec lui, je déciderai du jour...

Et je raccroche doucement.

Doucement ou fort cela fait le même bruit à l'autre bout de la ligne et je vais encore passer pour un grossier personnage, arrogant et tout et tout...

Pourtant ! Je suis le premier à déplorer l'absence d'urbanité qui marque nos échanges quotidiens. Je vous assure, je suis très sensible aux usages, aux convenances, à l'étiquette même...

Mais enfin quoi, on ne passe pas par sa secrétaire pour inviter un inconnu à déjeuner. On dit d'abord en quelques mots pourquoi on souhaite cette rencontre, et seulement quand elle est agréée, on convient d'un lieu et d'une date. Sinon ce n'est pas une invitation, c'est une sommation à comparaître...

Il neige toujours dehors. Sur le tas de bois le cardinal s'ébroue et me voilà rouge comme lui. Me voilà contrarié. Eh oui. Il faut que le dise au chat :
- Tu comprends minou, ce qui me fait vraiment chier dans tout ça, c'est que maintenant, je ne saurai jamais ce qu'il me voulait ce con...