Le lundi 1er mai 1995


Ne suivez pas le guide
Pierre Foglia, La Presse

Il m'arrive de m'étouffer en lisant mon journal, certes moins souvent qu'en lisant les autres journaux ( solidarité oblige ), mais cela m'arrive tout de même. En général, je m'écrase. Si je m'autorise aujourd'hui quelques observations c'est qu'il s'agit de voyage à vélo, et que je prétends savoir de quoi il retourne.

Notre cahier Vacances était consacré, samedi dernier, au cyclotourisme en Europe. On nous parlait de la Hollande, un grand classique, très bien. On nous énumérait ensuite les grossistes qui offrent des forfaits vélos. Bien. Mais on a oublié, il me semble, de souligner les deux points essentiels qui particularisent ces forfaits.
- Ils sont épouvantablement chers.
- Ils sont totalement inutiles.

On n'a pas besoin de personne pour aller pédaler avec sa fiancée ou des amis, en France, en Italie ou au Portugal.

Je ne me souviens pas d'avoir pris des vacances autrement qu'en vélo. La plupart du temps en Europe. La dernière fois, c'était le printemps dernier, avec deux amis, nous sommes allés grimper les cols pyrénéens. Dix jours. Avion et auto compris, ce voyage nous a coûté environ 1100$ chacun. Bouffe correcte, logis corrects, 1100$.

Je regardais les forfaits samedi dans notre supplément : la vallée de la Loire, 15 jours, 2800$. L'Autriche, sept jours, 1115$, avion et soupers non inclus. Ma grand foi du bon Dieu, sont-ce des fous ou des voleurs ?

Les châteaux de la Loire ? Une carte Michelin, un guide vert, et voilà mon vieux, pas besoin de plus que ça. L'Italie et la Hollande pareil. Où coucher ? Il y a des hôtels partout. Et des gîtes. Et des machins à la ferme. Et des maisons à louer. Rien de plus " habitant " que la peur de ne " rien trouver ". Dans le contexte très différent du Tour de France, j'arrive chaque soir dans une ville différente en même temps que 3000 autres personnes et, sans aucune réservation, je finis toujours par me caser quelque part...

Pour revenir aux vacances, pourquoi se faire organiser quand il est si simple et si agréable de choisir son parcours soi-même. Et si amusant de choisir son hôtel au pif, en faisant le tour du village. Saviez-vous que les hôtels les plus sympathiques ne sont pas dans les guides ? Et cela parce que les totos qui font les guides n'ont aucune espèce de curiosité...

Je veux bien être un touriste. Ce que je refuse, c'est d'être rassasié comme une oie. Je refuse de consommer du pittoresque comme une barre de chocolat. Me semble qu'un site est plus beau, en tout cas que je l'apprécie mieux, quand je le mérite un peu...

On parle peu dans les médias de ce tourisme-là qui fait une petite part, non pas à l'aventure, un bien grand mot, mais disons à l'expérience. On parle peu de ce tourisme-là, sans doute parce qu'il a moins à vendre.

Il a pourtant tellement plus à offrir...

Encore un détail. J'ai démonté un million de fois mon vélo pour le mettre dans une boîte, pour partir en voyage. Rien de compliqué. Mais ça ne prend pas " moins de deux minutes ", comme il est dit dans l'article de samedi. Ça prend une heure. Consolider la boîte. Défaire le filage de l'odomètre. Trouver une place pour la roue avant... Une heure c'est quand tout va bien. Des fois, quand on n'a pas l'habitude, oups la boîte est trop petite, les pédales sont bloquées, il faudrait les débloquer au chalumeau mais c'est dimanche, tout est fermé et votre avion est en soirée...

Dernier point. C'est vrai ça ne coûte rien, de prendre l'avion avec son vélo quand on ne dépasse pas la limite de poids habituelle. C'est vrai quand on va loin, en Europe, en Asie. Pour l'Amérique, la Floride, Vancouver, Toronto, la Californie, il faut payer.

Comprenne qui pourra.

Puisqu'on parle vélo et vacances, l'anecdote qui suit se veut un appel à la prudence, un rappel que vous êtes un intrus sur les routes, et un démenti aux optimistes : non, les mentalités ne sont pas en train de changer.

L'été dernier, Jean-Hugues Roy, journaliste à Voir, descendait une côte sur la 132 près de Percé. Il s'appliquait à rester sur les deux pouces de la ligne blanche, à la limite de l'asphalte, quand il a été happé par le rétroviseur d'un winnebago. Chute dans la garnotte. Ambulance jusqu'à l'urgence de l'hôpital de Chandler. Une vertèbre fracturée, nombreuses contusions, vacances dans un corset.

Finalement rien de très grave.

Sauf un truc. Jean-Hugues a raconté son accident à ses amis, à sa famille, à ses collègues de travail et tous lui ont demandé :
- Mais avais-tu le droit de rouler là ?
- Certain que j'avais le droit, gang de morons motorisés, leur a répondu mon jeune collègue. N'empêche que la question n'était justement pas posée par des morons, mais en toute naïveté, par des gens compatissants.

Cela en dit long sur la place qu'occupe le vélo dans notre culture : de l'aut'bord de la ligne blanche, dans la garnotte.

LA CULTURE, MON VIEUX -

La vigoureuse campagne que mon confrère Réjean Tremblay pour " sauver " les Nordiques me laisse dubitatif, mon vieux. Et perplexe.

Moi aussi j'aimerais bien que les Nordiques restent à Québec. Et les Expos à Montréal. Mais pas à mes frais.

Les coûts d'opération d'une équipe de sport professionnelle sont devenus tels que les petites villes - Québec - ne peuvent plus se payer un gros club. Et les villes moyennes - Montréal - ne peuvent plus s'en payer deux.

Les propriétaires d'équipes ne cessent de nous rabattre les oreilles avec l'impact économique de leur industrie. Les emplois qu'ils assurent. Les taxes qu'ils paient. La bonne réputation qu'ils font à la ville, à la province, au pays. Bref, ils se défendent de toute frivolité.

Ils sont à côté de la question. Le problème ne se pose pas en terme de nécessité économique. Mais de nécessité culturelle. On ne doit pas opposer à leurs exigences les coupures dans les hôpitaux ou dans les écoles. On doit leur opposer l'indigence des théâtres, du livre, de la musique, de la danse.

Quand on reproche aux maîtres qui nous gouvernent de consacrer moins de un pour cent du budget de la province à la culture, ils nous répondent, en bons néo-libéraux, que l'État n'a pas à gouverner la culture.

À-t-il à gouverner le baseball et le hockey professionnels ?