Le vendredi 16 juin 1995


Le concert des Grateful Dead : les vaches n'en sont pas revenues
Pierre Foglia, La Presse

Swanton, Vermont

Les vaches n'en sont pas revenues. Dans ce coin du Vermont qui borde la frontière canadienne, sur ces minuscules routes qui suivent les replis des prairies, il ne s'égare pas 20 touristes par année. Alors imaginez 100 000 la même journée !

Les vaches avaient laissé la fraîcheur de leurs bosquets pour voir passer, complètement ahuries, l'invraisemblable procession de 100 000 hippies, accourus de partout, au concert que les Grateful Dead donnaient hier soir au Franklin County Airport.

Dès la sortie du minuscule village de Highgate, le trafic allait au pas, un bouchon de huit kilomètres de vieux bazous, de minibus Volkswagen, d'autobus scolaires recyclés, portant plaques de Californie, d'Oregon, d'Idaho, du Colorado, du Mass, du Connecticut et du Québec...

Line et John tiennent une boutique granole à Longueuil.
- C'est seulement mon deuxième concert, dit Line, mais John a vu les Dead deux cents fois.
- Deux cents fois ! Tu dois connaître le show par coeur ?
- Mais non. Les Dead ne donnent jamais le même show. Et toujours un minimum de quatre heures. Peut-être est-ce ce soir qu'ils vont refaire Alligor qu'ils n'ont pas fait depuis dix ans. C'est une partie du trip des fans...

Êtes-vous un Dead illettré ? San Francisco, milieu des anées 60, coin Haight-Ashbury, vous y êtes ? Cette musique-là. Allumée. Acide. Psychédélique. Les Grateful Dead ( les morts reconnaissants ) c'est d'abord le lead guitar Jerry Garcia qui ressemble à Einstein et qui a travaillé comme lui sur la relativité. Mais Garcia c'est la relativité du temps qui l'intéresse. 53 ans, la tête toute blanche, ses fans ( les Dead Heads ), qui le suivront tout l'été à travers l'Amérique, n'ont pas 30 ans, souvent même pas vingt ans.

C'est quoi le flash ? Le flash « peace and love » comme avant. Et pourquoi pas, c'est un bon slogan, « de retour à la demande populaire » proclamait ironiquement une banderole.

Les filles portent des robes de grands-mères, les garçons des t-shirts tie-dyed. Ils sont doux, ils prennent de la dope mais pas trop. Ils respirent des gaz hilarants ( complètement inoffensifs ), et ils se racontent moins d'histoires qu'on pourrait le croire.

Pat Cunningham de St-Louis : « Je suis une Dead Head parce que c'est un beau rêve. À la fin du tour en septembre, je rentre à l'université, et alors bonjour la vraie vie »... La police les traite parternellement : « Have safe concert guys, marchez sur l'herbe s'il vous plaît ».

Les fermiers du coin ont levé leur méfiance et baissé la garde. Ils louent leurs champs à des prix raisonnables à ces doux envahisseurs. Les étudiants de Swanton, la petite ville voisine, ont accepté de reporter leur bal de graduation : en remerciement ils ont reçu des billets pour le concert et 63 000 $ en équipement informatique...

La fameuse fabrique de crème glacée Ben and Jerry, presque voisine, a lancé la « Cherry Garcia » parce que Ben et Jerry sont des vieux fans du guitariste Jerry Garcia, tout comme le vice-président Al Gore, et tout comme Bob Dylan.

Et devinez qui faisait la première partie des Grateful Dead hier soir, en plein champ, à la frontière du Vermont et du Québec ? Eh oui Bob Dylan.

« Bob who ? », demandaient les fans en riant. Ils niaisaient, mais pas tant que ça. S'en foutaient bien de Dylan. Après deux « magic cookies » - combien magic ? - après deux « magic cookies », donc, Dylan c'est pas ça qu'est ça pour planer. » Et puis il dit des conneries des fois Dylan. Il dit « It's all over now, Baby Blue ». Et c'est même pas vrai. Non seulement c'est pas fini, mais ça recommence.