Le samedi 17 juin 1995


Loin d'Oklahoma
Pierre Foglia, La Presse

Bob Dylan et les Grateful Dead jouaient pour ainsi dire dans ma cour jeudi soir. Tout juste de l'autre côté de la frontière. J'en étais bêtement tout fier, comme un notable qui invite une chanteuse d'opéra à son BBQ. Bob Dylan tout de même, ce n'est pas rien...

Mais ce n'est pas pour Dylan que 100 000 jeunes hippies ont déferlé jeudi dans mes vertes prairies. C'est pour les Grateful Dead, curieusement mal connus de ce côté-ci de la frontière. Parlant de musique planante des années soixante, mes amis baby-boomers ne veulent se souvenir que de Jefferson Airplane. Ils ont raison musicalement.

Les Grateful Dead ne sont pas d'un grand intérêt musical, d'ailleurs ils vendent bien peu de disques. C'est sur scène que les Dead donnent leur pleine mesure, et tous genres musicaux confondus, leur estivale randonnée remporte, chaque année, la palme de la tournée la plus courue d'Amérique.

On dit que les Dead sont un groupe culte, et c'est presque faux. L'affection que des dizaines de milliers de jeunes Américains ont pour Jerry Garcia (53 ans), le chanteur et leader du groupe, n'a rien à voir avec l'adoration que les grunges portaient à Kurt Cobain par exemple, ou les boomers nostalgiques à Jim Morrison. Si culte il y a autour des Grateful Dead, il est dans l'événement, et l'événement n'est pas dans la musique, ni dans la longévité de ce band de vieux freaks sympathiques. L'événement Grateful Dead est dans le prétexte au voyage qu'ont saisi des milliers de jeunes hippies, dans le « on the road again », dans les douceurs acidulées d'un été alternatif, sur des routes en marge de l'Amérique de Newt Gingrich...

« Ah si le monde entier pouvait vivre comme ça, it'd be a great place »... Monica est de Chicago. Elle dansait pieds nus, sa fille de trois ans sur les épaules, tandis que ses copains battaient le tam-tam pour elle.

- Qu'entendez-vous par « vivre comme ça », mademoiselle ?
- J'entends vivre dans une famille que tu choisis, généreuse et tolérante. J'entends vivre d'amitié, de générosité. J'entends vivre loin de mon papa, courtier en assurances. J'entends vivre loin, très loin d'Oklahoma...

Jeudi dans le Vermont, la semaine prochaine à New York, la Virginie, Detroit, la Californie, de camping en camping tous semblablement poussiéreux, la route les mènera au bout de l'été, une rose dans les cheveux.

Il n'est pas de voyage plus délicieusement hallucinatoire que celui qui vous ramène, par des chemins qui semblaient n'aller nulle part, au centre de vous-même.

Mais cela bien sûr, ils ne le savent pas encore.

Les gagas de Budapest - Salt Lake City, ces nuls, ces drabes, ces Mormons sans bière, ces montagnards sans neige, ces pollueurs, ces spéculateurs - je vous répète ce qu'on en disait à Québec ces dernières semaines - Salt Lake City que les Européens allaient renier pour Québec, que les Africains par solidarité culturelle avec le Québec allaient ignorer, Salt Lake City 54 voix. Majorité absolue au premier tour.

Sion, c'était la donnée la plus sûre de cette élection, finirait quatrième. Il était écrit dans le béton de nos prédictions locales, que les petits Suisses négligeables de Sion tomberaient au premier tour. Et à qui iraient les voix de Sion au second tour? Ben voyons donc, à Québec la magnifique, l'unique, l'originale. Bref, Sion 14 voix.

D'Oestersund l'imprononçable, on commençait à se méfier à la fin. Les Suédois passeraient probablement le premier tour, tomberaient au second, en en imposant un troisième, « entre hommes » celui-là. Le troisième tour ne pouvait opposer que Québec et Salt Lake City. Avec la fin heureuse qu'on imagine. Max Gros-Louis, toutes plumes dehors, n'avait-il pas conquis tous les chauffeurs de taxi de Budapest ? Et Myriam Bédard ne venait-elle pas de montrer aux délégués son superbe bébé sur vidéo ?... Revenons à Oestersund l'imprononçable : 14 voix.

Québec finalement. Sept voix Québec. SEPT !
- C'est impossible !
- Hélas.
- Et Max Gros-Louis ?
- Il semble que les chauffeurs de taxi de Budapest n'avaient pas le droit de vote.
- Et Myriam Bédard ?
- Il semble que les délégués ne cherchaient pas une garderie...

On ne me croira pas, mais je souhaitais les Jeux à Québec. Les Jeux ne sont plus l'aventure financière qu'ils étaient et ils nous auraient diverti de notre sempiternel party constitutionnel.

Je souhaitais les Jeux à Québec, mais j'ai toujours su que Québec ne les aurait pas. Je me doutais que cet audacieux projet de montagne « rapportée » rebuterait les délégués, que la situation référendaire compliquerait tout, et je savais que la cote olympique du Québec est très basse depuis 76, les Jeux de Montréal passant - dans le mouvement olympique - pour les pires de l'après-guerre.

Les dernières semaines, j'étais partagé entre l'espoir « malgré tout » que Québec serait peut-être choisie, et l'agacement de plus en plus grand devant le flattage de bedaines et le pétage de bretelles de « nos » gens. Non seulement nous étions les plus beaux, les plus fins, mais nous avions une âme, NOUS. Et par-dessus tout, c'est notre très exclusive exclusivité, nous savons recevoir, NOUS.

Je suis déçu que Québec n'ait pas eu les Jeux.

Mais tant qu'à perdre, j'aime que ces sept ridicules voix claquent comme une gifle dans la face des jovialistes gagas, qui prétendent qu'on n'a jamais rien à perdre à être très « positifs ».

Si. On a à perdre sa lucidité. La preuve.

Sur ces fortes paroles, je vous rappelle que c'est le temps des fraises. Les premières viennent de sortir à Saint-Armand. Le temps chaud et sec les a faites, cette année, petites et sucrées. Dans un bol avec du sucre et un doigt ou deux de curaçao, les fraises sont un excellent remède contre la déprime post-olympique.

Là-dessus je vous laisse pour quelques jours, le temps de me ramasser et de me préparer pour le Tour de France cycliste qui part le 1er juillet de Bretagne. Où, incidemment, je ne suis jamais allé mon vieux. On me dit que les Bretons portent des chapeaux ronds et jouent de la bombarde, tandis que les Bretonnes ne portent pas de culotte et jouent du biniou, qui, au pluriel, fait biniouxes, comme hibou fait hibouxes et caillou, caillouxes. Quel étrange pays. Je sens que je vais m'y plaire beaucouxe.