Le jeudi 28 septembre 1995


Supérieurement intelligent
Pierre Foglia, La Presse

Dieu sait pourquoi, je tenais le gourou Raël pour un doux sauté, moins dévasté que les autres mongoles du genre.

Je vous parle de Raël parce qu'il va voter OUI au référendum.

Je trouve que c'est une bonne idée. Sauf qu'il a écrit un livre pour nous dire pourquoi il allait voter OUI, et ça, c'est pas du tout une bonne idée. Ça s'appelle Vive le Québec Libre et en sous-titre : Faire du Québec la Suisse d'Amérique du Nord.

Un petit livre d'une sottise et d'une insignifiance consternantes. On lit cela et on se dit... on ne se dit rien du tout en fait. Si on disait quelque chose ce serait du genre : agueu-ageu, agaga...

L'extraordinaire là-dedans, c'est que Raël est le gourou de quelques milliers de téteux extatiques qui le vénèrent pour... son intelligence !

Raël prétend avoir été enlevé par des extra-terrestres qui l'ont opéré au cerveau, pour le rendre supérieurement intelligent.

Au cas où ce serait vrai, et au cas où ces mêmes extra-terrestres songeraient à m'enlever moi : s'il vous plait, les boys, ne touchez pas à mon cerveau. Je l'aime de même : moyennement intelligent. Je ne veux pas devenir supérieurement intelligent comme Raël.

Au fait, parlant de sautés, c'est aujourd'hui, 28 septembre, la fin du monde annoncée par les Médecins du Ciel de Val-David. Ne sortez pas sans votre casque.

UNE BAVETTE, UNE ! - Un mauvais livre, acclamé par la critique et le public, a révélé Daniel Pennac : La Fée Carabine. C'était un plat réchauffé. Daniel Pennac n'a écrit qu'un livre finalement, le précédent : Au bonheur des ogres. Les autres de la série Malaussène sont des reprises.

Je ne prétends pas que c'est là une opinion majoritaire. Mais ce n'est pas, non plus, une opinion marginale. Ceux que le « procédé Pennac » agace, ( souvent les mêmes qui sont allergiques au procédé Djian ) sont aussi nombreux chez les « lettrés » que chez les lecteurs « d'histoires ».

Daniel Pennac vient de faire une tournée de promotion au Québec. Un homme charmant, me dit-on, disert, et qui sait écouter, qualité fort rare chez les célébrités... Raison de plus pour avoir avec lui une conversation adulte. S'autoriser de sa générosité, et ne pas faire pipi sur le tapis à tous le mots qu'il dit.

M. Pennac disait à la radio, à Mme Marie-France Bazzo : « Il ne faut pas qu'un personnage soit réductible à son utilité dans un roman ». Bien sûr. Puis-je ajouter qu'il serait souhaitable qu'un auteur ne soit pas réduit à son utilité en entrevue ?

On comprend que ce n'est pas de Pennac dont je me plains ici. C'est d'une certaine complaisance devant le Grand Auteur, complaisance qui, même lorsqu'elle s'exprime en râles post-modernes, nous renvoie à un provincialisme qui fleure la bavette de veau.

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À VSD, l'autre matin, M. René Homier-Roy plantait allégrement le dernier livre de Michel Tremblay.

Yeah.

Notez que je n ai pas encore lu le livre de Tremblay, et que je me réserve le droit de l'aimer, bien sûr.

Mon « yeah » ne salue pas les goûts littéraires d'Homier-Roy. Mais son audace. Il en fallait, quand on sait l'hyper allergie de Michel Tremblay à la critique, sa longue mémoire, et la crainte qu'il inspire.

Quand on sait surtout la soumission de l'époque.

OISEAUX ET ORNITHOLOGUES - C'est en fin de semaine que commence le moins tôton et le moins mercantile des festivals de l'année - le Festival de la poésie - dans une des villes les plus sympathiques de la province : Trois-Rivières.

Durant toute une semaine circulera le chant d'un long poème qui s'écrira sur les murs de la ville.

Je me promettais d'y aller. Je n'irai pas.

Je proteste contre un type qui s'appelle Gaston Bellemare. M. Bellemare est l'âme de ce festival, éditeur de poésie, animateur culturel extraordinaire, il a réussi, par exemple, à faire réciter de la poésie au Fusey-BBQ du Cap-de-la-Madeleine, ce n'est pas un mince exploit. Bravo. Sauf que c'est le même Gaston qui dit, je cite une entrevue qu'il a donnée à la revue Vie Ouvrière, Juillet-Août 95 : Il se vend plus de poésie québécoise en trois jours au Salon du livre de Paris, qu'en six au salon de Montréal...

S'il ne s'agit que de vendre, cher ami, il se vend effectivement plus de rouleaux de papier cul dans une grande épicerie en une journée que dans un dépanneur en un mois. Mais vous parliez de poésie ?

Le mépris de la poésie québécoise ne provient pas de l'étranger, il est québécois...

Les oiseaux ne méprisent pas les ornithologues. Ils ne savent pas qu'ils existent.

Montréal est une ville bilingue et multiculturelle. Moi je me méfie d'une ville qui n'est pas québécoise... Montréal est une ville ri-di-cu-le tellement elle est prétentieuse...

Méfiez-vous aussi de l'ethno-poésie. Montréal est la plus humble des grandes villes, en même temps que la plus belle à vivre. Toute l'Amérique sait cela, sauf quelques hillbillies du Montana et de la Mauricie.

Je veux faire bouger la poésie au Québec afin que les poètes du Québec se lèvent et disent : « On est aussi bons qu'ailleurs ».

Devront-ils faire la vague aussi ?

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Toujours la Poésie. Ce titre dans La Tribune de Sherbrooke du 1er août : « Méconnu à East Angus, c'est en Roumanie qu'on reconnaît son talent ». Plus loin on apprend que le poète est aussi très en demande au Danemark et qu'il a reçu la médaille d'argent de l'Académie internationale de Lutèce pour son recueil La douce paysanne.

Il faudra un jour dissiper la confusion, qui semble règner dans nos campagnes, entre la poésie et l'exploitation de fromages de chèvre.

Bien sûr le poète m'a adressé son dernier recueil. Bien sûr d'une grande sincérité.

Il faudra s'expliquer un jour sur cette foutue sincérité qui radote et sanglote. Le con est toujours sincèrement con. On n'écrit pas - je ne parle pas d'information - pour être sincère. On n'écrit pas pour être reconnu en Roumanie, au Danemark, à East Angus, dans un festival de poésie.

Pourquoi écrit-on ?

Je dirais pour être juste (au sens de la justesse). Mais en fait je n'en sais rien. Je n'écris pas. Alors je sais seulement pourquoi on n'écrit pas.