Le jeudi 2 novembre 1995


Encore un peu d'ethnique ? ...
Pierre Foglia, La Presse

Je voudrais d'abord rassurer le lecteur moyen qui doit s'inquiéter du sort de l'ethnique, notre égal, notre frère canadien. Alerté depuis lundi par des dizaines d'éditoriaux douloureux, de chroniques accablées, de commentaires chagrinés, le lecteur moyen se dit sûrement : " Ciel et pattes de gazelle, si l'élite intellectuelle canadienne souffre à ce point pour l'ethnique, qu'est-ce que l'ethnique lui-même doit endurer. " Ce doit être affreux. L'ethnique s'est sûrement couché lundi soir terrorisé d'être passé si près d'un état xénophobe et fasciste, qui l'aurait traité comme un Turc en Allemagne ou comme un Arabe en France, et qui l'aurait peut-être même envoyé pourrir dans des goulags en Abitibi.

Je voudrais rassurer le lecteur moyen. J'ai rencontré l'ethnique hier, et il se portait admirablement bien. Je parle de l'ethnique moyen porte-parole de rien. J'ai rencontré l'ethnique hier comme je le rencontre toutes les semaines, il prenait son espresso comme d'habitude, et il se désolait certes, mais pas des déclarations de Parizeau.

Il se désolait de la défaite en Coupe d'Europe du Lazio de Roma devant Lyon, une des pires équipes françaises...

- Explique-moi ça Foglia, la Roma meilleure attaque meilleure défense du championnat d'Italie, pas une défaite en quinze matches, elle se prend 2-0 devant ces Français de merde. Qu'est-ce que tu comprends ?

Rien.

***************************



Étant moi-même un ethnique, voulez-vous je vous dise ce qui m'écoeure le plus dans ce débat qui a pris des proportions délirantes ? C'est qu'après quatre jours de totale hystérie, l'odieux du xénophobisme se retrouve tout entier dans le même camp.

Connerie. C'est un immigrant qui vous le dit, connerie. S'il y a quelque chose d'également partagé entre toutes les races, toutes les conditions, tous les partis, c'est bien la xénophobie, le refus de l'étranger.

Je vais vous raconter une petite chose que j'ai sur le cœur depuis mardi matin et qui me crisse à terre, mais il me faut d'abord retourner 30 ans en arrière... Je vous ramène à mon premier emploi dans un grand journal au Québec, à mon premier jour dans ce journal, à la fin de cette première journée, un de mes nouveaux collègues m'aborde et me dit : " T'sais ce qui me fatigue ? Tu viens de d'arriver, le bateau qui t'as amené est encore dans le port, et tu gagnes déjà plus que moi. Je le prends pas ".

Croyez-le ou non, ce bonhomme-là est devenu mon meilleur ami. 30 ans d'amitié indéfectible. En même temps que j'admire son extraordinaire instinct de chat de ruelle, cent fois, mille fois on s'est pogné sur le politique, le social, le syndical, le racial. Et pour ce que j'en sais, il a toujours porté sur l'étranger ce regard qui est celui de toute une génération de Québécois, aussi différents d'eux-mêmes que des autres pour reprendre le mot de La Rochefoucauld qui voulait dire que le rejet de l'autre commence par le rejet de soi.

Bref. Qui m'a appelé mardi matin croyez-vous ? ( Mais non pas La Rochefoucauld, tata ). Lui, mon ami. Il venait de gagner son referendum. Il en rajoutait un peu : " Pis, qu'est-ce que tu penses de ce qu'a dit Parizeau hier soir ? "

Va chier Chose. Et quelques millions d'autres Canadiens avec toi qui ont pris en marche le train de la honte.

***************************



C'est un ethnique qui vous le dit, s'il y a quelque chose d'également partagé entre tous les pays, c'est bien la xénophobie.

Ce qui diffère par contre, c'est la capacité de chaque pays à digérer ses immigrants.

C'est un immigrant qui a immigré deux fois qui vous le dit. Le Canada est complètement nul en digestion immigrante. Et le Québec aussi. Mais le Québec a une excuse : ce n'est pas un pays.

Dans un pays qui ne digère pas ses étrangers, les immigrants forment comme un autre pays.

Au Québec les immigrants forment un pays dans un pays qui n'en est pas un. Et qui ne pourra pas en devenir un parce que les immigrants ne veulent pas qu'il en devienne un.

On le voit, on n'en sortira pas.

Du moins, l'humble chroniqueur ethnique que je suis ne voit pas comment.

***************************



Cela n'a rien à voir, mais pourtant si, un peu quand même. Plusieurs intellectuels analysent le vote de lundi comme une victoire in extremis de l'urbain sur le rural, du grouillement cosmopolite sur la glauque stagnation rurale.

Je suis pour le cosmopolitisme. Je suis pour tous les mélanges, tous les brassages de races et de cultures. J'ai célébré souvent dans cette chronique la bâtarde magnificence de Montréal.

Mais l'angélisme de ceux-là qui font du cosmopolitisme une esthétique branchée, commence à me tomber joyeusement sur les rognons. Ils me rappellent un de mes ex-voisins à Frelishburg, gentleman terrien parfaitement snob, qui, le geste ample, me disait devant ses prairies : " Ne trouvez-vous pas, M. Foglia, que quelques moutons " feraient joli " ici ? Ou quelques chevaux belges. Ou quelques achigans. Ou quelques noyers noirs..."

J'ai parfois l'impression que l'on revendique le cosmoplitisme avec le même enthousiasme esthétique. Quelques Chinois ici, quelques Turcs là, les Italiens, des Portugais et des Grecs bien sûr, et quelques Sikhs là-bas, ça ferait joli, ne trouvez-vous pas, avec leurs turbans...

Ce que le mélange des races et des cultures a de glorieux c'est d'enfanter des métis. Mais cela prend quelques générations. Là, tout de suite, il faut bien voir que le cosmomachin pose un défi exaltant mais pas simple du tout ( sauf peut-être pour une élite qui trouvera plus facilement où acheter ses panettone de Noël ).

Je trouve un peu gaga notre sacralisation du grouillement cosmopolite, et dangereuse pour les sacralisés eux-mêmes dans la mesure où elle isole Montréal, ouverte sur le monde mais fermée sur sa propre province.

Il y aussi que je me méfie de quelqu'un qui m'assure aimer le monde, mais qui lève le nez sur les siens.

***************************



JOYEUX NOËL ! - Cette chronique fait relâche jusqu'au début décembre. Des vacances si on peut dire, quelques semaines de résignation digestive que je vais consacrer à faire des trucs excitants comme du ménage, du jogging, et des jeux parfaitement idiots sur mon ordinateur.

Faites attention de ne pas vous enrhumer en vous engouffrant dans le vent de changement que vous a promis Daniel Johnson si vous votiez non.

Je ne vous embrasse pas.