Le vendredi 30 juin 1995


Grippe espagnole ou virus russe ?
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Rominger le plus fort mais...

À Saint-Brieuc

Les favoris de ce tour très ouvert, ouvert au point qu'il pourrait se décider dans le dernier contre-la-montre, la veille de rentrer à Paris, les favoris sont Indurain, Rominger et Berzin. Qui ? Evgueni Berzin. Un Russe, jeune et baveux. À moins d'une avalanche qui les emporterait en même temps, le vainqueur du 82e Tour sera un de ces trois-là. Deux mots de présentation...

Miguel Indurain, 31 ans, Espagne (Banesto), en quête d'une cinquième et historique victoire d'affilée. Comme d'habitude, programmé pour être au top à la fin de la première semaine du Tour. Se demander s'il est prêt est aussi farfelu que de demander à sa cafetière si elle est prête à faire du café. Tu la plogues et c'est parti...

Tony Rominger, 34 ans, Suisse (Mapei). Super grimpeur, super rouleur, détenteur du fabuleux record de l'heure (55,3 km), établi en novembre dernier. Intrinsèquement meilleur coureur que Indurain, sauf entre les deux oreilles. Le coureur le plus suivi médicalement mais curieusement le plus souvent malade. Sa maladie préférée, une manière de grippe espagnole, s'appelle Indurain. Attrapera-t-il en plus, cette année, un virus russe ?

Evgueni Berzin, 25 ans, Russie (Gewiss). Grande classe, grande gueule, grosse tête. A déjà battu Indurain au tour d'Italie 94. A fini le Tour d'Italie 95 très fort.

Derrière ces trois-là, deux « aoûtsiders » comme disent les Français.

Laurent Jalabert, 27 ans, France (Once). Victime, l'an dernier, de la terrible chute d'Armentières. Jalabert n'est plus le même coureur depuis, comme si le choc l'avait libéré de sa timidité. Jusqu'ici considéré comme un pur sprinter, a dominé la saison 95 sur tous les terrains, sauf dans les contre-la-montre. La meilleure chose qui soit arrivée au cyclisme français depuis bien longtemps.

Chris Boardman, 26 ans, Angleterre (Gan). Ce menuisier de Liverpool vient de la piste (comme Berzin), champion olympique de poursuite à Barcelone. On le croyait limité aux prologues. Il a incroyablement progressé cette année, au point de rester dans la roue d'Indurain en haute montagne. Un cas. Une tête sympathique. Une question : tiendra-t-il trois semaines ?

Deux « longues shot » pour finir. Richard Virenque, le chouchou des Français, petit grimpeur explosif. Marco Pantani, super grimpeur aussi, fils spirituel de Chiappucci sur son déclin.

Quelques absents notoires, Piotr Ugrumov, blessé au tour de Suisse, second l'an dernier. L'espoir italien Francesco Casagrande, un peu jeune. Et Andy Hampsten (Banesto), pas en forme, rejeté par Indurain.

Mon pronostic pour la victoire finale ? Disons, Berzin, Indurain, Jalabert...

Rominger ? Personne peut dire. S'il est bien dans sa tête, c'est sûr, c'est le meilleur coureur de l'heure.

Plus facile ?

3535 km, 20 jours de course, le 82e Tour de France qui prend son envol demain, de St-Brieuc en Bretagne, sera moins long, moins haut, plus facile que les autres. Qu'ils disent.

Moins long, moins haut, je veux bien, ça se mesure. Mais plus facile, comment peuvent-ils savoir ? Et s'ils se mettent à rouler en fous ?

D'ailleurs ils vont rouler en fous. Les sprinters n'ont pas le choix. Pour donner le show pour lequel on les paie, ils doivent emballer la course à 50 de moyenne sur le plat, décourager les échappées, et régler leurs comptes dans les 20 derniers kilomètres.

Après une première semaine nordique qui se termine le week-end prochain en Belgique, transfert au pied des Alpes. Puis les Pyrénées, par le travers des Cévennes, et remontée vers les Champs Elysées où on sera le 23 juillet.

21 équipes de 9 coureurs.

Total des bourses : 5 millions de nos dollars ( 700 000 $ au vainqueur ). Des peanuts, entre nous. Un million de moins que le salaire annuel d'Indurain.

Prologue canon

On dit prologue comme on dit amuse-gueule. Ne vous y fiez pas. Le Tour part en coup de canon demain soir dans les rues de Saint-Brieuc. Ces 7 tout petits kilomètres contre la montre influenceront la victoire finale bien plus que les 228 km du lendemain ou les 241 du surlendemain.

Le gagnant du Tour sera dans les quatre premiers du prologue, c'est sûr. On attend Rominger. On attend Indurain. Et on attend Berzin. On attend peut-être l'Anglais Boardman qui les coifferait tous les trois dans un prologue ordinaire, mais justement, celui de demain n'est pas ordinaire, il se termine par une côte très dure qui comptera d'ailleurs pour le grand Prix de la montagne...

Rominger, au moral fragile, a le plus à gagner. Ou à perdre. Les secondes concédées ne feront pas mal en temps réel. Mais comme des gouttes de poison.