Le vendredi 14 juillet 1995


Le chamois médusé
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

St-Étienne

Le Tour est passé sous ma fenêtre mon vieux.

J'avais trouvé à me loger chez l'habitant à Allemont, quasiment sous la banderole qui annoncait aux coureurs qu'il leur restait 25 kilomètres avant le sommet.

Le Tour est passé sous ma fenêtre mais je n'étais pas là. J'étais en haut de la montagne, à l'arrivée. Après l'arrivée, je suis allé travailler un moment dans la salle de presse, le temps, me disais-je, de laisser s'éclaircir le trafic.

Mauvais calcul. Lorsque je me suis engagé à mon tour dans la descente, un gros bouchon m'attendait à peine deux kilomètres plus bas. Ça n'avançait plus d'un centimètre. Et ça ne reculait pas évidemment. J'ai mis le brake à bras. Fermé le moteur. Et je suis allé faire un tour.

On était à environ 1500 mètres d'altitude, environnés de pics couverts de neiges éternelles. Un décor d'une majesté troublante. Dans le soleil couchant on pouvait se croire sur un morceau de lune. Normalement un lieu qui invite au recueillement.

Sauf que la montagne était comme une fourmilière quand on donne un coup de pied dedans. Les fourmis c'était des autos. Aussi loin qu'on pouvait voir dans les lacets plus bas, un long ruban de voitures, d'autobus, de camions de la caravane, de roulottes, de motos. La montagne faisait vroum-vroum du haut en bas. Ça sentait l'essence comme au fond du garage le plus sale. Ça sentait la tôle chauffée comme dans une cour à scrap en plein soleil.

Je pensais aux chamois. Ces montagnes ont été repeuplées de chamois. On en surprend parfois, fugitives apparitions qui s'évanouissent en trois bonds. J'en imaginais un, sabots joints sur la dernière pierre du plus haut piton en face, j'imaginais ce qu'il pensait en contemplant ce cauchemard pétaradant sous ses pieds.

Il pensait : « Quelle bande de joyeux tôtons ! »

Le poulet malade - Pour vous dire comme ça été long avant que ça bouge, j'ai fini de taper mes textes dans l'auto. Arrivé chez la madame du gîte, elle n'a jamais voulu que je me plogue sur son téléphone. Me voilà dans le village d'Allemont à cogner aux portes. Et je tombe sur Gaston. Une luck. Gaston Savioux est responsable du bureau de tourisme d'Allemont. On m'a offert d'utiliser son fax. J'ai envoyé mes trucs. Après on a pris un pot.

Devinez d'où revenait Gaston ? Eh oui, du Canada. Ils y sont tous allés, ma grand foi du bon dieu.

- Pis, le Canada, M. Gaston ?
M. Gaston s'est penché et sur un ton plus bas comme pour me confier un grand malheur...
- J'ai été malade ! Près des chutes Niagara, on est allé visiter le Village canadien d'antan. Et au restaurant du village, j'ai mangé du poulet antillais. Il était pas frais...
Je suis parti à rire. T'sais quand t'es fatigué. Rire, mais rire. C'était ce poulet antillais. Pas frais. Au Village canadien d'antan.
Je me suis toujours demandé ce que ça pouvait bien être, le multiculturalisme. Je le sais.
C'est une bactérie dans le poulet.
La pédale sautée - 6500 $, c'est le prix moyen des vélos les moins chers du Tour de France. Leur vélo de tous les jours. Pas le vélo qu'utilisent les spécialistes du contre-la-montre, pas l'Espada d'Indurain, pas le Colnago monocoque de Rominger, le vélo qu'ils avaient pour l'étape d'hier par exemple...

J'avais accroché un des mécanos de l'équipe Lotto devant son petit atelier mobile :
- Ça dépend du cadre, me dit-il. En titane comme les vélos de Castorama, ou comme celui de Chiappucci, ça monte facilement à 7500 $ ( j'ai fait les conversions )...
- Pour les cadres en aluminium ? En carbone ?
- Le carbone c'est presque fini. Et il n'y a pas de cadre en alu dans le peloton des pros.
Une selle 300 $. Les nouvelles roues Campagnolo à jantes profilées, la paire 1200 $. Les pédales et les chaussures, jusqu'à 1000 $. Un boyau ( de plus en plus de pneus dans le peloton ), un boyau 100 $ !

Complètement fou. Surtout ici. J'entre souvent dans les magasins de vélo pour voir... Les prix capotent par rapport aux nôtres. Des différences énormes dans le vélo de course ordinaire. Un vélo, cadre Dural, monté Shimano 105, qu'on paie à Montréal 1500 $, je l'ai vu au Havre, à $2350. Monté Shimano Ultrega, 1750 $ à Montréal, 2900 $ en France...

Si j'avais une boutique de vélo à Montréal je songerais sérieusement à annoncer dans les revues de vélo européennes. Dans mon annonce je dirais : « Achetez-vous un vélo au Canada et votre voyage sera payé »...

La folie des hauteurs - Après le Tour de France il y aura le tour d'Espagne, et douze jours après le tour d'Espagne les championnats du monde en Colombie. À 3000 mètres d'altitude, dans les montagnes au nord de Cali. Il faut trois semaines pour s'adapter à cette altitude, cela veut dire que les coureurs du tour d'Espagne, dont Indurain, peuvent rester à la maison. Les rouleurs aussi. Les Colombiens ont dessiné un parcours pour grimpeurs seulement. Grimpeurs colombiens bien sûr. Ils rêvent. Pantani va tous les planter. Pensez, 17 fois l'Alpe-d'Huez ! Des pentes à 16 % ! Pas de danger d'une arrivée au sprint.

Les deux derniers champions du monde, Armstrong et Leblanc n'ayant guère fait honneur à leur maillot arc-en-ciel, ce n'est certainement pas le prochain qui redonnera du lustre à un titre qui ne veut plus rien dire. Pantani est champion du monde de la montagne. Ce n'est pas le meilleur coureur du peloton...

Hiroshima, chut... - Comment la télé du Tour fait-elle avec ses caméras partout, sur motos, camions, hélicoptères pour ne pas montrer les slogans anti-Chirac et anti-essais nucléaires, peints sur la route du Tour ? Fouille-moi. Toujours est-il qu'entre deux : « Allez Virenque », on trouve de plus en plus de : « Non aux essais nucléaires », ces essais que la France s'apprête à reprendre dans le Pacifique.

Vous connaissez le goût des Français pour les jeux de mots, celui-ci, pas pire, qui joue sur une altération de « Hiroshima » : Hiroshirac...

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Richard qui tousse...

Saint-Étienne

Oh la vilaine ville « au fond d'une dépression », dit le guide Michelin. Comme c'est vrai. Et elle n'est pas près d'en sortir de sa dépression. Toutes ces usines, et cette banlieue galère, wouache...

Oh la vilaine étape ! Cette échappée d'une dizaine de sans-grades dans l'indifférence du peloton, quel ennui. Ils ont fini à deux. Sciandri le sprinter et Buenahora le grimpeur. Devinez qui a gagné ?

Une étape à oublier.

Peut-on un peu parler, maintenant, contre Richard Virenque ?

Y m'énarve, mais y m'énarve.

Richard Virenque c'est l'idole des Français. À ses pieds, la télé n'a pas assez de caméras pour filmer tous ses coups de pédales.

Il tousse Richard Virenque. Pauvre Richard. C'est la joke dans la salle de presse. Le gars de la télé s'apitoie : « Cette angine, Richard, ça ne se passe pas on dirait ?...» Dans la salle de presse, les journalistes étrangers partent à rire et à tousser.

Flash back. Virenque dans une étape de montagne du Midi-Libre où il venait de battre Indurain : « Miguel ne m'impressionne pas ». Virenque pendant la première semaine du Tour : « Je me sens super. Je vais faire un malheur dans la montagne »...

Virenque dans la première étape de montagne, à la ligne d'arrivée qu'il vient de franchir avec 4 minutes de retard sur Indurain : « Je ne sais pas ce que j'ai, j'ai pris froid ». Il tousse abondamment dans le micro.

Deuxième étape de montagne. Virenque attaque de loin. Les gars de la télé, au moins dix fois : « Extraordinaire ce que fait Richard aujourd'hui ». Mais dans la montée de l'Alpe, il est décroché. À la ligne d'arrivée, en toussant comme la dame au camélia : « C'est mon angine, elle ne passe pas »...

Pas une joke dans les journaux. On cajole. On se désole. On conseille : « La sagesse commanderait à Richard de rester sagement dans le peloton jusqu'aux Pyrénées. »

Un peu de sirop avec ça ?