Le vendredi 21 juillet 1995


Un type formidable
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Bordeaux,

Les Italiens sont fâchés. « Un spectacle honteux » titrait en première page la Gazzeta dello Sporte. Nos confrères parlaient de l'étape de mardi. La mort de Fabio Casartelli derrière, le triomphe exhubérant de Richard Virenque devant.

« Il était normal que l'étape se termine, commente la Gazzetta, mais il y a eu un épisode de trop. Celui de la remise des récompenses. Grotesque. Offensant. Impardonnable. Le tour devrait avoir honte de ce Virenque clownesque se prêtant aux minauderies des miss...»

J'aimerais abonder dans le même sens, mais je crois que la Gazzeta tape sur le mauvais clou. Virenque ne savait rien du drame qui s'était noué derrière. Dans sa tête il venait de gagner la grande étape Pyrénéenne. On lui dit qu'il y a un mort. Il a au moins la présence d'esprit de dédier sa victoire à la famille...

C'est vrai, le petit singe a vite repris le dessus, mais bon... Ça faisait sept heures qu'il forgeait sa victoire. On ne la lui enlèverait pas en deux secondes. Ridiculisé dans les Alpes par Pantani. Ulcéré par les succès de Jalabert, là il gagne et il faudrait pleurer...

Il ne s'en est pas si mal tiré Virenque. Il n'a pas été grotesque. Indécent un petit peu, mais à peine.

Là où j'embarque avec les Italiens, ceux de la Repubblica et du Corriere della Sera, c'est quand ils s'en prennent à l'émission Vélo-Club qui suit l'arrivée de l'étape, animée par un type que je suis incapable de vous décrire, il n'y a rien chez nous qui ressemble à ça - on a nos mongols, c'est pas ce que je veux dire - mais celui-là est totalement, absolument, complètement Français. Il est formidable. Son émission est formidable. Et il a des amis formidables, acteurs, chanteurs, motards de presse. Justement, un motard de presse est venu raconter que lui aussi était tombé dans une descente, et s'était blessé au pied. Je vous souligne venait juste de mourir...

« Le théâtre de Vélo-club était révoltant », conclut la Repubblica.

Bof, il l'est aussi quand il n'y a pas de morts. Mais le sponsors aiment bien.

Où tu vas? - Bien sûr mercredi c'était spécial. Mais il arrive souvent aux coureurs de neutraliser la course, le début d'une longe étape par exemple. On se parle entre capitaines de route et puis on va chercher la bénédiction du « grand ». Quelques mots suffisent. « Miguel, 50 kilomètres, OK? ». Indurain qui déteste son rôle de patron du peloton (mais il n'a pas le choix) dit oui à tout.

Gare aux petits comiques ou aux étourdis qui attaquent avant que l'embargo ne soit levé. C'est arrivé dans les Alpes. Le peloton montait le col de la Madeleine en cyclotouriste quand un Colombien a placé un démarrage. Indurain a envoyé Aparicio le chercher. Quand Aparicio est arrivé à la hauteur du Colombien, il a juste dit : « Où tu vas? ».

Casque tu dis? - Le débat sur le casque exaspère les coureurs du Tour. Même ceux qui le portent comme l'Austalien Stephen Hodge : « On ne veut pas entendre parler de réglementation, c'est clair? »...

Rappelons qu'il y a quelques année le Tour avait rendu le casque obligatoire et avait suspendu un coureur qui avait passé outre. Le lendemain, le peloton faisait grève. Le surlendemain le règlement sautait.

Ces jours-ci, c'est en Italie que le débat est relancé. La famille Casartelli pose la question : « Fabio serait-il mort s'il avait porté un casque? ».

Il n'y a pas de réponse.

L'image des six coureurs Motorola franchissant la ligne d'arrivée à Pau, a fait le tour du monde. Et le monde a pu voir que le lendemain même de la mort de leur équipier, quatre coureurs Motorola sur six, dont Andrea Peron le grand copain de Fabio, ne portaient pas de casque. Les deux autres, Armstrong et Meijia le portaient avant le drame (Armstrong seulement dans les étapes de montagne).

Alors non seulement il n'y a pas de réponse. Mais, c'était quoi déjà la question?

Petite précision à l'intention de nos énervés locaux. Le débat sur le casque dont on parle ici, ne concerne que les coureurs en course (pas à l'entraînement). Il ne concerne en rien le tout venant du cycliste. Il n'y a pas un illuminé en Europe qui songe à obliger sa matante à porter un casque pour aller chercher son pain en vélo au bout de la rue.

L'ours qui a vu l'Homme - Les Pyrénées sont en train de ressusciter la moins sympathique de leurs traditions : les montreurs d'ours. Il n'y a plus d'ours dans les Pyrénées depuis longtemps et faute d'ours à montrer, les montreurs d'ours s'étaient reclassés dans l'administration publique.

Les revoilà, avec des ours des Carpathes. Hier soir, dans un petit village du Couserans (Ercé), Dimitri faisait danser ses bestiaux. Dimitri qui est Breton comme son nom ne l'indique pas, excitait l'agressivité des villageois en exagérant la férocité des pauvres bêtes : « Il pourrait vous ouvrir le ventre d'un coup de griffes ». Les villageois ont reculé, les enfant ont ramassé des pierres.

L'homme et sa fiancée aiment avoir peur. Voilà pourquoi il font danser au bout d'un corde des ours qui « pourraient leur ourir le ventre d'un coup de griffe ». Et voilà pourquoi ils ne font pas danser les lapins et les coccinelles, qui dansent pourtant très bien la bossanova. J'en connais.

Le Japonais pliable - Un photographe Japonais de la revue Bicycle News, suit le Tour en train. Entre les gares et les lignes d'arrivée, des distances parfois considérables, il se déplace en bicyclette pliante.

L'année prochaine il va essayer en montgolfière et à cheval. Et l'année d'après en motoneige.

J'ai oublié de vous dire, pour gagner du temps il ne déplie pas sa bicyclette pliante.

Ca n'a absolument rien à voir, mais savez-vous la différence entre une mère porteuse et une mère portable? La portable a des poignées.

L'art de se vendre - La station thermale d'Aulus-les-Bains où résidait l'équipe de Jalabert, se proclame, sur des panneaux grands comme ça « La station du cholestérol ». Pourquoi pas la station du cancer du côlon? Ou de la peste bubonique?

Réentendu à Aulus-les-Bains une jolie expression que j'avais oubliée : « Ici, les corbeaux passent avec une musette »... Comprenez que Aulus est tellement un trou sans ressources que même les corbeaux apportent leur lunch.

Une autre : « Ici, les corbeaux volent à l'envers »... ( Pour ne pas voir la misère )...

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Chut, ils dorment...

Bordeaux,

Vous savez bien entendu que le tour est joué et gagné par Indurain, mais qu'il reste à se rendre à Paris. Hier, Pau-Bordeaux.

Plus classique que ça... L'étape d'hier, au baseball, ce serait un duel de lanceurs qui finirait 1-0 à la 13ème manche.

246 kilomètres sur le plat, une chaleur à crever. Sont partis évidemment tranquillement.

Il restait 80 kilomètres à parcourir quand Thierry Marie a attaqué. Un superbe coup. Je vous le dis tout de suite : qui n'a pas abouti. Mais du grand art pareil.

Marie est parti sur la pointe des pieds. Il aurait pu sortir comme un obus et creuser un gros écart. Le peloton dormait. Mais justement. Thierry Marie ne voulait pas réveiller le peloton. Il est parti comme le gars qui quitte sa maîtresse à trois heures du matin, ses souliers à la main... Les sprinters ont ouvert un oeil : « Bof il n'ira pas loin »...

Marie a pris deux minutes au peloton. Et il est resté là. Toujours avec l'idée de ne pas effrayer les sprinters. Bordeaux c'est leur fief. Depuis toujours.

Avec 30 kilomètre à faire, Marie était toujours devant. Toujours ses modestes deux petites minutes. Si seulement le peloton pouvait dormir encore dix kilomètres, il donnerait un gros coup, et les baiserait toute la gang ...

C'est à ce moment-là que quelqu'un s'est réveillé. Un coureur? Un directeur technique? Va savoir. Quelqu'un s'est frappé le front : le p'tit tabarnak !

Fini pour Marie. Le peloton a embrayé et l'a bouffé. Les équipes de sprinters ont mis leurs hommes en orbite. L'Allemand Erik Zabel a gagné, facile. C'est la nouvelle étoile du sprint.

Vous allez beaucoup entendre parler de lui. Et de moins en moins d'Abdou. Pauvre Abdou ils vont le renvoyer d'où il vient, en Ouzbékistan où personne ne se souvient de lui. Il vieillira en se donnant des autographes.