Le samedi 6 janvier 1996


Le rire comme ressource naturelle
Pierre Foglia, La Presse

J'ai adoré le Bye Bye ...

Non, c'est une blague. Mais c'est vrai, j'ai moins détesté que mes consoeurs. La marde me dérange moins, faut croire. Ah! le stade anal ! Les intellos capotent toujours sur la marde. Tu les envoies chier, tout de suite ils sortent Freud du placard. Sans se douter, apparemment, que freaker sur la marde est aussi maladif que la tartiner. Le même Freud a d'ailleurs donné un nom à cette forme de constipation mentale : « Analcharakter » (1) .

Anyway. Une seule chose m'a dérangé dans le Bye Bye finalement : c'est que tout cela n'était pas très drôle. Encore un show d'imitations. L'effort est mis dans la ressemblance. Sauf qu'une Céline Dion qui se contente d'être aussi plate et conne que la vraie, c'est pas une joke, c'est une redondance.

Il n'était pas dans le Bye Bye , mais le comique qui me fait le moins rire au monde ( après André-Philippe Gagnon ), c'est Courtemanche. L'autre jour, j'étais chez des gens, Courtemanche imitait un lavabo qui se débouchait. Les gens riaient comme des fous et moi rien...

- Tu ne trouves pas qu'il imite bien un lavabo qui se débouche ? me demandaient les gens. Tu ne trouves pas cela drôle ?

- Je trouverais drôle qu'il imite un lavabo qui se débouche s'il nous disait avant : « Mesdames et messieurs, je vais maintenant vous imiter Céline Dion. »

Quand le Bye Bye est plate, c'est tout l'humour québécois qui reçoit la claque. On nous dit d'abord qu'il y en a trop. On nous dit ensuite qu'au Québec, en monopolisant les énergies et le public, le rire détourne le peuple de la Culture avec un grand « C ». Étant entendu que l'humour est un genre mineur et vulgaire...

Je ne vois pourtant rien de mineur ni de vulgaire dans Daniel Lemire. Ni dans le nouveau Michel Barrette. Ni dans Pierre Légaré ou Mario Jean. Ni dans les Bleu Poudre. Les Bleu Poudre ! On leur doit le fou rire du siècle. On n'a malheureusement retenu que l'aspect mystificateur de leur canular, on a applaudi leur exploit téléphonique. On s'est peu attardé au texte pourtant d'une délirante drôlerie :
- Sa Majesté va-t-elle se déguiser pour l'Halloween ?...

Toute une ligne! Pensez aux grands de ce monde qui, devant être présentés à la reine, ont répété cent fois, devant leur miroir, la révérence qu'ils lui feraient. Et l'autre tarla au bout du fil qui va lui demander si elle va se déguiser pour l'Halloween. Et qui ajoute avant qu'elle puisse répondre : « Pour se déguiser, Sa Majesté n'aura qu'à porter un de ses célèbres chapeaux ! »

Tous les traités sur le rire parlent de « la transgression comique ». On la trouvera à l'état le plus pur dans la conversation des Bleu Poudre avec la reine. Un joyau. ( De la couronne, bien sûr ).

Bref, après l'électricité, l'humour reste notre principale ressource naturelle. On a eu cette petite panne du Bye Bye , mais il venait à peine de finir que Martin Drainville me faisait éclater de rire dans son annonce de sirop pour la toux. Allons, l'année qui vient ne sera pas si triste. Il y aura toujours la pub, la drôle, celle qui rit d'elle-même, ce nouveau courant farfelu et burlesque où triomphent les Claude Meunier (Pepsi), Benoit Brière (Bell), le gars des annonces du Journal de Montréal, Gildor Roy, Denis Bouchard, leur ours et leur caisse de bière...

Parlant de burlesque, notons que La Petite Vie ne sera bientôt plus écoutable si les intellectuels du dimanche ne nous crissent pas patience avec leurs analyses, lourdes d'une symbolique Pôpa-Môman à gros sabots. Sommes-nous les enfants hyperboliques d'un Pôpa minimal ? Peut-être. Mais peut-être aussi que le lundi soir, le Québec rit tout simplement par modestie : pour ne pas trouver son désespoir trop grand.

Un regret pour finir. Le meilleur show d'humour à la télé, en Amérique, est canadien : les anglos du Royal Canadian Air Farce . Ils ont de particulier d'être méchants, de viser juste, sauf parfois quand l'indépendance du Québec les rend bêtement hargneux. Rendons-leur pourtant cette grâce : ils ont osé rire de la jambe de bois de Lulu. Il s'en est trouvé beaucoup pour se scandaliser de la chose. Ce qui me défrise, moi, c'est qu'il nous revenait, au Québec, d'oser les premiers. Hélas! RBO n'est plus et notre humour, pour diversifié qu'il soit, manque cruellement de cruauté. C'est là le regret dont je vous parlais. Notre humour a perdu son sens satirique, il ne critique plus, ne raille ni ne déraille plus. On ne rit plus aujourd'hui qu'entre amis. Une convivialité illustrée, dans le Bye Bye , par le flash de la réconciliation, Jean-Louis Roux-Piché. Sur le coup, j'ai applaudi.

Je me dédis. Roux est un ennemi nécessaire. Et nécessaire aussi est la colère que suscitent sa hautaine prétention et son mépris globalisant du nationalisme. L'aimer est aussi inutile que le haïr. Il faut se le garder comme cible. Le ridicule ne tue plus personne, mais il y a plus grave : plus personne ne tue le ridicule. Et comment voulez-vous : on n'ose même plus tirer sur les sénateurs...

Je suis pauvre, pis après? - Parce qu'on entend beaucoup parler de la pauvreté, mais qu'on n'entend jamais parler les pauvres, je voudrais, dans les prochaines semaines, laisser la parole aux pauvres.

Parce que je suis tanné des bonnes âmes, des bons sentiments et de la charité médiatique ; j'aimerais que le titre de cette série à venir sur la pauvreté soit quelque chose dans le genre : Je suis pauvre, pis après ? Ou mieux encore : Je suis pauvre pis t'emmerde .

Si vous êtes pauvres sur ce ton-là, laissez vos coordonnées dans ma boîte vocale.

Aussi, si vous être prof dans une école où les enfants en arrachent ( dans la vie, pas en grammaire )...

- si vous n'étiez pas pauvre l'an dernier et que tout s'est effondré, plus de job, plus de ci, ni de ça...

- si vous êtes pauvre à la campagne parce que c'est pas pareil qu'à la ville...

- si vous êtes pauvre et que vous avez quelque chose à dire, juré, craché, je ferme ma grande gueule et je vous laisse causer.

Boîte vocale : 875-2355, poste 243.

Premier P.-S. important : on se comprend bien, vous ne racontez pas votre vie dans la boîte. Vous laissez vos coordonnées et un très court commentaire pour me situer.

Deuxième P.-S. qui n'a rien à voir, mais un petit peu quand même : cette boîte vocale est réservée pour ce genre d'appels à tous, et pour les urgences urgentes. Pour le reste, vous continuez de m'écrire. Je le fais bien, moi, vous écrire...

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(1) Nouveau dictionnaire de sexologie .