Le lundi 8 janvier 1996


Fort intérieur
Pierre Foglia, La Presse

Je ne me plains généralement pas de l'hiver avant la mi-mars, mais ce matin il exagère : moins trente exactement. Ce matin ma nouvelle maison en plein champs est comme un grand navire prisonnier des glaces.

Aussi bien le dire sans détour, je n'aime pas ma nouvelle maison.

Quand ma fiancée, qui avait l'oeil dessus depuis deux ans, me l'a montrée pour la première fois, j'ai dit oui, oui, comme ça. Persuadé que cela ne se ferait jamais. En riant je l'avais tout de suite baptisée « La Saskatchewan » parce qu'elle se trouve chez les Anglais et dans un décor terriblement plat.

Je pensais que cela ne se ferait jamais. Mais cela se fit. Le douze décembre dernier ma fiancée déménageait, je la revois grimper dans la cabine du camion...

- Tu n'embarques pas ?

- Non, je vais y aller en joggant, je ne suis pas si pressé d'arriver.

Je n'imaginais pas un si douloureux arrachement pour 16 malheureux kilomètres. Moi qui se réclame de trois pays, trois cultures, qui ai une petite valise dans la tête, moi qui me dis prêt à aller finir mes jours en Chine ou en Papouasie, moi le Grand Déraciné, on me déménage de 16 petits kilomètres et me voilà au bord des larmes.

Je n'imaginais pas qu'on pouvait s'exiler en joggant.

Remarquez qu'au strict plan du paysage, j'ai effectivement changé de pays. Par sa géographie de chemins insouciants qui sinuent au flanc de collines plantées de vergers, par la douceur de ses arrondis, Saint-Armand ( comme Frelighsburg ) appartient au Vermont. La vraie frontière serait, pour ceux qui connaissent le coin, la route des vins ( la 202 ). Au nord de cette route, où je loge maintenant, c'est le Québec routinier qui recommence, plat, bleu de froid et découpé en lots d'une rectitude janséniste, par des chemins trop droits.

J'habitais à Saint-Armand une maison de bois toute simple, aux plafonds si hauts que j'y vivais comme à ciel ouvert, jamais enfermé, jamais « petit ». J'ai changé le bois pour la pierre qui me pèse et m'enserre. Je m'y sens assiégé. Oppressé en mon for intérieur. Qui prend maintenant un « T », comme il convient à un fort quant il devient forteresse.

Qu'on ne s'imagine pas que je pleure une « propriété ». Encore moins des murs dans lesquels, du reste, je n'ai jamais planté le moindre clou, ni décapé le cadre de la moindre fenêtre.

Je pleure un espace intérieur, carrefour de la géographie et du quotidien où gîtait mon bonheur.

Ce matin l'hiver exagère, moins trente exactement. Ce matin ma nouvelle maison en plein champs est comme un grand navire prisonnier des glaces.

Mais il n'y a pas que le froid dehors. Je gèle au dedans aussi. Monter le chauffage n'arrangerait rien, j'ai froid comme un voyageur dans la salle d'attente d'une petite gare perdue en Roumanie. J'ai froid d'être nulle part. Pas que la fournaise manque d'huile, ni le poêle de bois. C'est moi. Je manque de moi-même.

Je suis resté à Saint-Armand.

Une bonne nouvelle - En fait de bonne nouvelle, c'est presque un conte de Noël. L'histoire d'une adolescente à qui sa mère avait dit : « Ramasse tes sous parce que je ne pourrai pas t'offrir le vélo de montagne que tu m'as demandé pour Noël si tu n'en paies pas la moitié ».

La gamine ramasse ses sous, mais au moment de les donner à sa mère, elle change d'idée. « Je n'ai pas besoin de vélo, se dit-elle. Et je vais avoir plein d'autres cadeaux, tandis que ma mère, elle, comme d'habitude, n'aura rien. Je vais lui faire une surprise. Je vais lui offrir de ce parfum, Oscar de la Renta, qu'elle aime tant. »

Toute fière, la gamine confie son projet à la chauffeuse de l'autobus qui la conduit à l'école tous les matins. Johanne Bouthillette, c'est le nom de la chauffeuse de la STCUM. Je la nomme seulement pour ne pas qu'on m'accuse d'inventer des contes de Noël au mois de janvier.

La gamine descend de l'autobus. Deux petits cons lui sautent dessus. Se poussent avec son sac. Les sous étaient dans le sac. Adieu parfum.

Même autobus le lendemain. La gamine en larmes. La chauffeuse émue. « Inquiète-toi pas on va arranger ça... » Elle l'accompagne dans une pharmacie où une vendeuse compatissante elle aussi, remplit un plein panier de ces flacons promotionnels que les représentants laissent en cadeau. N'empêche. Il y avait pour un bras d'Oscar de la Renta dans ce panier-là. Je peux pas donner le nom de la vendeuse, son boss n'est pas au courant.

Bref, la gamine était contente. Sa maman était contente. La chauffeuse d'autobus était contente. La pharmacienne était contente. La madame qui m'a raconté l'histoire était contente.

Vous ne me voyez pas venir, je suis sûr.

Vous aussi je suppose ? Vous êtes contents ?

Paraît que vous aimez ça les bonnes nouvelles.

Paraît qu'il faut vous en donner plein. C'est mon boss qui me l'a dit.

Paraît que c'est bon pour votre santé. C'est bon pour le climat social. C'est bon pour le tirage. C'est bon pour les cotes d'écoute. C'est bon pour GM. La bonne nouvelle GM....

Paraît que c'est la bonne nouvelle qui fait le bon journaliste. Ça ce n'est pas mon boss qui me l'a dit, mais je ne suis pas con, j'ai compris tout seul.

Alors, comme ça, vous êtes content ? Vous l'avez aimée mon histoire de gamine qui achète du parfum à sa maman ? J'espère que vous êtes contents. Parce que si vous êtes contents mon boss sera content aussi.

Moi ? Pour être bien franc, pas tellement. Vous m'avez un peu gâché le plaisir que je prends habituellement à raconter une histoire.

Autant j'ai du plaisir à raconter des histoires, autant ça m'emmerde de faire du renforcement positif.

Réparation - Vous vous rappelez peut-être Martine qui magasinait Place Versailles... une courroie de son sac casse, le contenu se répand à terre, elle ramasse ses affaires en vrac, entre dans le magasin « Manteaux-Manteaux », demande un sac à la vendeuse qui le lui refuse...

Depuis, Martine a reçu de M. Harold Perlman, président de « Manteaux Manteaux », une lettre d'excuses et un certificat-cadeau d'une valeur de 50 $. Notons que cette chronique n'est pour absolument rien dans la réparation, excuses et certificat cadeau parvenant à l'intéressée, par la poste, le matin même de la publication.

Hé, encore une bonne nouvelle. J'arrête pu...