Le mardi 12 mars 1996


Le ski de fond et la betterave
Pierre Foglia, La Presse

J'ai écrit l'autre samedi une chronique ( qui ne passera pas à l'histoire ) sur les enfants des bébés boomers, dans laquelle je prétendais ( sur le mode de la dérision ) ne pas être un baby boomer ; la preuve que je n'en suis pas un, déconnais-je, c'est que je ne fais pas de ski de fond. Y-a-t-il quelque chose de plus ridicule que le ski de fond ? niaisais-je encore.

Vous n'imaginez pas le temps que j'ai passé, depuis, à protester de ma réelle affection pour le ski de fond. Vous n'imaginez pas le nombre de lettres et de messages téléphoniques qui me sommaient de m'expliquer, de m'excuser.

Oui, il y a plus ridicule que le ski de fond : le vélo ( André Bouchard, Lac Supérieur ). Tu as enragé mon épouse, et moi tu m'as fait de la peine ( André Pelchat, Laval ).

Vous n'imaginez pas, amis lecteurs, comme vous me déconcertez parfois.

Comment avez-vous pu croire une seconde que je trouvais le ski de fond ridicule ?

Faisant du vélo, et du jogging l'hiver, comment pourrais-je trouver le ski de fond ridicule ? C'est la même inspiration aérobique, la même lente exaltation... le beat par excellence des baby boomers. Je suis un baby boomer comme vous. Je ne fais pas de ski de fond faute d'un minimum de coordination, mais c'est mon béat, c'est ma génération...

Vos ados, est-ce qu'ils font du ski de fond ? Ben non. Il font du snowboard, du skateboard, du VTT, de l'escalade, du benji, du boomerang, n'importe quoi pour ne pas faire comme vous.

Quand les enfants des baby boomers caricaturent leurs parents boomers, reviennent toujours les mêmes clichés, la Volvo, la crème glacée Haagen Dasz, Woodstock, les Doors ( plus que les Beatles auxquels ils font reprendre du service pour eux-mêmes ), la garde partagée, le jogging. Et le ski de fond.

Vous disant que le ski de fond est ridicule, je n'exprimais pas - c'était clair, évident, ça vous sautait dans la face - je n'exprimais pas mon sentiment. Je parodiais les enfants des baby boomers. D'ailleurs, dans cette chronique je ne faisais rien d'autre que niaiser les enfants des boomers qui commencent à me faire singulièrement chier avec leurs généralisations culpabilisatrices...

À les écouter, nous, les boomers, n'avons vécu que pour les fourrer, eux, pauvres petites victimes de notre gaspillage éhonté.

Que croient-ils à la fin ? Que dans les années 70, on se levait le matin en se disant qu'il fallait se dépêcher de tout bouffer le gâteau, pour qu'il ne reste rien aux petits cons qui allaient venir après nous ? Com'on. On se levait, en ce temps-là, comme on se lève aujourd'hui. Sans plus de projet d'avenir qu'aujourd'hui. Comment en aurions-nous eu ? On ne contrôlait pas plus qu'aujourd'hui la politique et l'économie. Nous vivions comme aujourd'hui, sans rien décider vraiment. On suivait le cours du temps, comme l'ont fait et le feront toutes les générations. Je le répète, la rivière ne choisit ni sa pente ni son lit.

Anyway, c'est de tout cela dont je parlais dans cette chronique qui vous a tant interpellé dans votre affection pour... le ski de fond !

C'est grandiose pareil la communication.

Sauf qu'il y a des jours où je suis fortement tenté d'aller voir si, par hasard, cultiver la betterave à sucre dans la vallée du ne serait pas plus grandiose encore.

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Et même si j'avais été sérieux ?

Pourquoi mon opinion sur le ski de fond devrait-elle altérer votre plaisir d'en faire ?

Je joggais l'autre soir sur mes sentiers, il faisait moins quinze et un vent de face, je venais juste d'atteindre ma zone de confort, c'était à la tombée de la nuit, il y avait une espèce de brume sur la prairie comme dans les films de peur, j'écoutais une vieille tonne de Foreigner, je pensais à vous avec tendresse : " Comme ils ont le bonheur fragile "...

PAS UN SANGLOT -

Vous m'excuserez de ne pas verser une larme sur la fermeture du Forum, je n'ai pas vos raisons, ni vos souvenirs. Il fut une époque où, journaliste sportif, j'y passais trois ou quatre soirées par semaine à couvrir le hockey junior et le grand Canadien.

En ces temps anciens, le Forum était vraiment le temple de la pureté et de l'orthodoxie sportive. Y régnait un petit despote, un petit Pol Pot sournois du nom de Sam Pollock qui terrorisait la domesticité dont nous faisions partie, nous les journalistes. Le veston, la cravate et l'encensoir nous étaient obligatoires, et nous étions tenus de travailler à genoux.

Le Forum formait ses propres joueurs à l'époque. Recrutés très jeunes, ils se développaient dans les filiales, en serre chaude. Quand ils étaient capables de dire trois fois " rarara les Canadiens sont là ", on les invitait au camp d'entraînement du grand club. Traverser la chambre des joueurs à cette époque ( celle des Béliveau, Cournoyer et compagnie ) équivalait à plonger tout habillé dans une soupe aux légumes. Il y avait là plusieurs spécimens de débiles légers et même quelques cas plus lourds que mon accent " françâ " faisaient entrer en transes. Durant les envolées je jouais à bullshit avec Dick Duff, j'aimais beaucoup Terry Harper qui était un " monsieur ", Henri Richard me faisait parfois l'aumône d'un bout de conversation, les autres m'évitaient. Je me vengeais en fumant des joints sur la galerie de la presse. Ils trouvaient que j'écrivais bizarrement. Moi aussi.

Quand le vieux Forum croulera sous le pic des démolisseurs, la petite fumée tarabiscotée qui s'élèvera là où il y avait la galerie de la presse, c'est à moi.

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MIRACULEUX -

Un mot de Jacques Villeneuve. Nous sommes des milliers, que le sport automobile n'intéresse absolument pas, à avoir suivi, samedi, notre premier Grand Prix. J'en suis.

Se pourrait-il que Dieu, qui a déjà raté l'âme de tant de champions, en ait enfin réussi une ?