Le jeudi 14 mars 1996


Des nouvelles de Monique
Pierre Foglia, La Presse

Quand quelqu'un me dit : « Mon dieu ! ça fait longtemps que je n'ai pas lu un bon livre, tu n'aurais pas, une idée ? », très souvent, mon idée, c'est Monique Proulx. Monique Proulx a écrit trois livres remarquables, deux romans et mon préféré Sans coeur et sans reproche, un recueil de nouvelles paru en 83, chez Québec/ Amérique.

Madame Proulx vient de publier un quatrième livre, Les Aurores montréales. Je l'ai acheté hier. Ce sont des nouvelles, dont une qui m'est dédicacée. Cela flashe joliment dans le blanc de la « belle page », entre le titre, Madame Bovary, et le premier paragraphe : à Pierre Foglia. Vous ne me saviez pas vaniteux ? Cela dépend de qui me flatte. J'eusse été très flatté de l'honneur que m'a fait madame Proulx, si... eh oui, il y a un si.

J'ai lu cette nouvelle il y a deux ans, l'auteure me l'avait envoyée accompagnée d'une lettre terriblement habile : « Allô Foglia Pierre, la rumeur circule sous toutes formes bâtardes que je me serais inspirée de toi pour écrire une nouvelle, ce qui est vrai, mais bon. Avant que la rumeur parvienne à tes oreilles travestie et frankensteinée par les affreux journalistes (ah ! les affreux journalistes ! pourquoi tu ne parles jamais dans tes chroniques des affreux journalistes ? ) je t'envoie une copie de la nouvelle en question... »

Te souviens-tu, Foglia Pierre, de cet été où tu avais projeté de te rendre chez les gens « ordinaires » pour chroniquer sur eux ? Tu m'avais rendu visite à La Minerve, c'était unejournée magnifique, tu avais fait honneur à ma confiture de framboises, on s'était bien entendus tous les deux et à un moment donné je t'avais demandé : " Mais tu n'as pas peur de ce que tu peux provoquer chez les gens ordinaires en leur rendant visite ?" Ben non m'avais-tu répondu avec une belle insouciance. Et on avait parlé d'autre chose.

Alors voilà. Je me suis inspirée, disons, de ta belle insouciance. Tu vas l'aimer, la nouvelle. Je te la dédie, allez, tu mérites bien ça ... »

Monique Proulx est toute dans ce marivaudage de crocodile, toute dans ce « allez, tu mérites bien ça ». Monique Proulx est ce genre de personne qui vous arrache un bras en vous assurant que c'est une blague, et le plus drôle, c'est qu'on rit avec elle. Ah ! ah ! ah ! Ouyouille mon bras.

Je me souviens très bien de la journée dont elle parle dans sa lettre. Je me souviens qu'elle tintinnabulait de tous les guélingguélang qu'elle portait aux oreilles, aux doigts et aux poignets. Je me suis dit qu'elle devait passer beaucoup de temps à se fabriquer ce look excessif, qu'on lui voit souvent, et qui s'accorde bien à son nez un peu long, à sa bouche un peu grande. J'ai su immédiatement que son intelligence, aussi, serait excessive, que sa confiture de framboises serait la meilleure du monde, et que si elle se mettait à apprendre l'italien demain, elle le parlerait mieux que moi dans trois semaines. Ces gens-là s'arrangent toujours pour qu'on les déteste ou qu'on les aime, là, tout de suite, à la seconde.

Je l'ai aimée. Probablement parce que c'est une fille. Un gars, je lui aurais probablement crissé mon poing dans le front.

Pour revenir à la nouvelle qui me concerne, elle est très bonne. Mais disons que quelqu'un de moins insouciant que moi, pourrait facilement s'en chagriner.

C'est l'histoire d'une dame qui a répondu à l'invitation de m'inviter que j'avais lancée aux lecteurs, cet été-là. C'est ce qui se passe dans sa tête. Dans l'histoire, la dame me fait là passe du petit cochon qui tousse. Tôton comme je suis pour ces choses-là, j'oublie complètement de lui pogner le cul. Ce n'est pas raconté exactement comme cela, mais bon c'est à peu près cela... Pour ce qui est de mon « personnage », il est fort justement rendu. Je me reconnais parfaitement dans cette gaucherie, dans cette timidité, et jusque dans cette odeur de sueur ( je venais de rouler ). C'est tout à fait moi, cet après-midi-là, chez Monique Proulx.

Pour la dame qui fantasme, je ne sais pas qui a servi de modèle. Il faudra le demander à l'auteure.

Mais c'est la fin de la nouvelle que j'aime moins.

À la fin de la nouvelle, je plante méchamment cette Bovary de banlieue, et j'annonce que, fuck le monde ordinaire, j'arrête tout, fini les visites à domicile.

C'est de la fiction bien sûr, mais une fiction qui chevauche sournoisement la réalité. Dans la réalité, cet été-là, je me suis effectivement retrouvé chez une emmerdeuse qui m'attendait avec les douze recueils de poésie qu'elle avait publiés à compte d'auteur, et oui, j'ai été heavy.

J'ai effectivement cessé de me rendre chez les gens, mais ça n'a rien à voir avec ce qui précède. Les gens m'attendaient comme un numéro de cirque, or je suis asocial et timide comme un hamster, bref c'était une idée de merde, mais c'était mon idée. Ce n'était pas la faute des gens.

Voilà, ce n'est pas plus grave que ça.

C'est dommage, c'est tout. J'entendais madame Proulx dire l'autre soir à la télévision qu'elle a mis quatre ans pour terminer ce livre. J'ai eu la curiosité de voir ce qu'elle avait corrigé, en deux ans, de la nouvelle qu'elle me dédie.

Des fauteuils qui étaient replets dans la copie, ne le sont plus dans le livre. Un petit débardeur moulant, s'est contenté de mouler. Des chemisiers dispendieux sont devenus coûteux, des dénuements maximaux se sont singularisés en une dénudation maximale; au contraire de paris-brests qui ont pris le pluriel.

Quelle minutie.

Que n'avez-vous pris, madame, cinq minutes de plus pour me demander le pourquoi de votre histoire, je vous l'eusse dit volontiers, puisque c'est la mienne.

Ce n'est pas grave, vous m'avez quand même appris quelque chose d'important sur la littérature : qu'elle n'est pas hors du texte, ni dans le texte, où je la cherchais souvent en vain, tata que j'étais.

Elle est le texte. Point.