Le samedi 20 avril 1996


Coca-Cola City
Pierre Foglia, La Presse

Atlanta

Pour qui a le sens de l'humour un peu tordu, pour qui aime les freak-shows, une visite au musée Coca-Cola d'Atlanta est une bonne plaisanterie. Sans dire que cet hymne au marketing est aussi une formidable et burlesque leçon d'Amérique.

Atlanta, Coca-Cola City.

La grande question, en cette année olympique : combien Coca-Cola a-t-il payé pour avoir les Jeux dans " sa " ville ?

Ce n'est pas une bonne question. Ce n'est pas comme ça que c'est arrivé. Coca-Cola n'a pas acheté les Jeux d'Atlanta. La maf qui mène le monde olympique, le président Antonio Samaranch en tête, Primo Nebiolo qui contrôle l'athlétisme, Havelanche, l'omnipotent dictateur du soccer, ont donné les Jeux du centenaire à Coca-Cola. Pour services rendus. Pour remercier Coca-Cola d'avoir été la première multinationale, il y a 25 ans, à prendre le risque d'acheter, très cher, le droit d'utiliser les Jeux ( et ses anneaux ) comme support publicitaire.

Dès que les Jeux se sont ouverts à la pub et au marketing, au début des années 70, Coca-Cola s'est tout de suite imposé comme le sponsor le plus empressé. Boisson officielle à Munich, Montréal, Moscou ( même si les Américains n'étaient pas à Moscou ) Los Angeles, Séoul, Barcelone... Au printemps 88, Samaranch honore le président de Coca-Cola de la médaille d'or de l'ordre olympique, pour, je cite : " Son sens profond du concept positif de la vie. "

Et c'est le plus naturellement du monde qu'en 89, Samaranch a confié l'organisation des Jeux 96 à Coca-Cola ( à Atlanta donc ) pour le remercier d'être devenu le joyau de la couronne commerciale des Jeux modernes.

Cela dit, ce cadeau déposé, les affaires ont repris normalement. Il faut bien comprendre que Coca-Cola, comme les autres partenaires majeurs des Jeux, comme Nationsbank, McDonald's, Motorola, Delta Air Line, AT&T, etc., Coca-Cola a payé 40 millions le droit d'accès à la tribune, à la visibilité, à la pureté olympique. C'est ce qu'il aurait payé de toute façon si les Jeux avaient eu lieu à Paris ou à Melbourne. Et ça c'est rien. Reste à payer la pub elle-même, le temps télé, les panneaux, les projets spéciaux, tout ça. Si bien que le budget publicitaire de Coca-Cola pour les Jeux est évalué, dit-on, à 300 millions !

Je sais, dans cet ordre de grandeur, les chiffres perdent leur signification. Mais peut-être que l'anecdote qui suit saura mettre ces 300 millions en perspective...

Voici. Outre ses distractions olympiques, Coca-Cola se pique de préoccupations sociales et participe avec les autres grandes entreprises d'Atlanta à la lutte contre la pauvreté, très présente, très visible dans la ville. Je vous l'ai dit dans les autres chroniques, dans certains quartiers, c'est l'Afrique, le dénuement le plus complet. Donc, Coca-Cola donne des sous à des organismes comme l'ANDP, Atlanta Neighborhood Development Partnership, qui voit à la revitalisation des quartiers défavorisés et aussi à l'installation des gens déplacés par les travaux olympiques.

Bref, Coca-Cola a donné 100 000 $ ( cent mille ) en 93 et 70 000 $ ( soixante-dix mille ) en 94 pour les pauvres (1).

Voyez ? 300 millions en pub. Et 70 000 $ d'implication sociale.

Alors, quand Samaranch félicite le président de Coca-Cola pour " son sens profond du concept positif de la vie ", oui, très bien, je le félicite aussi pour son concept positif de la vie. Mais je note tout de même, au passage, qu'il y a deux sortes de vies. La vie olympique. Et l'autre.

Et c'est pas le même prix.

Je regarde ce qu'on nous montre d'Atlanta à la télé et dans les journaux et je m'interroge...

Exemple, l'aéroport Hartsfield. Tous les reportages sur Atlanta, et jamais plus loin que le deuxième paragraphe, signalent que c'est le plus grand aéroport du monde et qu'il dessert " the best place in the world to do business "... Une insistance et un empressement qui supposent que cela intéresse prodigieusement les gens. Comment se fait-il que je m'en crisse ? Comment se fait-il que, ce que je note, moi, c'est ce genre de petite phrase relevée l'autre jour dans le Atlanta Journal : " Finding a decent sandwich and a cup of good soup in a pleasant cafe is nearly impossible in our city. " Suis-je négatif ?

Je voyais l'autre jour à Radio-Canada un truc sur le Cyclorama. Oh ! Ah ! disaient-ils, quelle leçon d'histoire... Je suis allé au Cyclorama aussi, parce que cyclo, vélo, je pensais que c'était peut-être une exposition de bicyclettes. Pas du tout. C'est une fresque à l'huile cylindrique de 15 mètres de haut, qui raconte la bataille d'Atlanta, le 22 juillet 1864. Ce jour-là, Atlanta a brûlé complètement, c'est une peinture pleine de fumée et de flammes, et ça ressemble un peu au dernier calendrier des pompiers volontaires de Saint-Armand. Si, c'est intéressant quand même. Mais j'aurais préféré une exposition de bicyclettes. Suis-je normal ?

Fait quelques jours que je suis revenu et je n'en peux déjà plus des apparitions quotidiennes de Sylvie Fréchette dans les annonces de la Banque Nationale :
- Il reste 95 jours. J'ai hâte.
- Il reste 94 jours. J'ai hâte.
- Il reste 93 jours. J'ai hâte.

Dis-moi pas qu'on va se farcir jusqu'au 19 juillet ce compte à rebours nasillard, nasillard comme si Mme Fréchette avait tellement hâte, en effet, qu'elle avait déjà mis son pince-nez.

Ce qui m'agresse le plus, c'est que cette annonce décompte le temps qu'il nous reste à vivre avant les Jeux comme s'il ne valait pas la peine d'être vécu. Du temps perdu, en quelque sorte, avant que commencent les vraies affaires.

Je vous signale que c'est le printemps. Je vous signale qu'il ne reste que quelques jours avant l'hiver et que vous seriez mal inspirés de les gaspiller en vaines attentes de steppettes synchronisées, fussent-elles olympiques.

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(1) - Source : ANDP Federal Tax Returns, citée par Creative Loafing, le Voir d'Atlanta.