Le mardi 18 juin 1996


Une jolie vague sur Le Fleuve
Pierre Foglia, La Presse

RIMOUSKI

Une boutique de Rimouski vendait ses jeans si peu cher que les autres boutiques en prirent ombrage et firent des pressions indues sur les fournisseurs pour qu'ils punissent la boutique " déloyale ". Sauf que la loi interdit ce genre de collusion. Comme l'a dit le juge Robert Pidgeon aux coupables en les condamnant à 20 000 $ d'amende chacune sous 27 chefs d'accusation : " La libre concurrence commerciale est une affaire d'ordre public. "

Un jeune journaliste d'une station de radio privée de Rimouski ( CFLP ) s'adonnait à passer au palais de justice le matin du jugement. Il appelle son directeur de l'information : " Je pense que j'ai une bonne histoire. " Le directeur en réfère " à tout hasard " au grand boss de la station qui convoque le jeune journaliste : " Pas question qu'on diffuse cette nouvelle, lui dit-il. On risquerait de perdre nos contrats de pub avec les boutiques qui ont été condamnées, et c'est avec la pub que je paie ton salaire. "

Fin de la leçon de journalisme (chapitre liberté de presse ).

La chose pourrait-elle arriver à Montréal ou à Québec ? C'est une bonne question. Il me semble que non. Si j'étais cynique - Dieu m'en garde - je vous dirais : pas pour aussi peu. Ce qu'il y a de typiquement régional dans cette histoire de censure c'est, en filigrane, la caricature des moeurs provinciales, l'impudence des cliques boutiquières qui mènent les petites villes en s'autorisant des silences d'une presse locale qui a les deux mains liées.

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Ce n'est pas pour raconter cette histoire de jeans que le jeudi 16 mai dernier était lancé à Rimouski le premier numéro d'un nouveau quotidien : Le Fleuve.

Ce n'est pas pour cela. N'empêche que le jeune journaliste de la station de radio, qui s'était fait dire de fermer sa gueule, a raconté cette histoire de jeans dans Le Fleuve où il travaille maintenant, et qu'elle a fait la " Une ".

Il s'appelle Alexandre Gagné, il a 22 ans, il est maigre et pointu comme un clou et incarne parfaitement, dans sa fébrile impatience de faire de la vague, ce quotidien qui porte un beau nom pour ça : Le Fleuve.

Soit dit entre nous, quelle foutue aventure de lancer un quotidien en 1996, alors que tous les quotidiens en arrachent, que les tirages baissent, de même que les revenus publicitaires, sans parler du prix du papier qui a doublé dans les 15 derniers mois.

Ils sont quatre à avoir eu cette idée complètement folle, trois ex-Radio-Canada : Robert Maltais, Louis Belzile et Daniel Giasson, et Serge Lavoie, qui vient d'ailleurs...

Un an de préparation et ils plongent. Leur formule : une coopérative. Les 30 employés recrutés, ( 16 à la rédaction ) avancent 15 000 $ chacun. Le Mouvement Desjardins, la SDI et la Coopérative de développement régional investissent le reste pour un fonds de départ d'environ, un million. De quoi tenir un an. Impératif objectif pour la rentrée cet automne : 18 000 exemplaires vendus.

Pour l'instant, Le Fleuve prétend vendre entre 10 000 et 11 000 exemplaires cinq jours par semaine ( il n'est pas publié le dimanche ni le lundi ). Mais il y a des gens à Rimouski pour douter de ces chiffres. Les mauvaises langues et les jaloux chuchotent que Le Fleuve ne vend pas plus de 5000 exemplaires sur son territoire, soit de Matane à Rivière-du-Loup en passant par Cabano.

Ce qui est certain c'est que les prochains mois ne seront pas faciles. Le Fleuve se bute au Soleil, joliment renippé récemment et très solidement implanté sur le même territoire, avec 5000 exemplaires vendus quotidiennement. Le Journal de Québec ne doit pas être bien loin. Côté revenus publicitaires, Le Fleuve joue dans les plates-bandes du groupe Bellavance, la plus importante entreprise de presse dans l'est du Québec avec neuf hebdomadaires qui écrèment le gros de la publicité en flattant les élites locales dans le sens du poil.

Le Fleuve a à relever un bien singulier défi : prouver qu'un journal régional peut vivre sans se mettre à genoux devant des marchands de jeans.

Dans leurs locaux tout neufs de la rue Saint-Pierre, nos nouveaux confrères ne se doutent pas avec quelle ferveur on prie pour leur réussite à La Tribune à Sherbrooke, au Nouvelliste à Trois-Rivières, à La Voix de l'Est à Granby, et au Quotidien à Chicoutimi.

Je vous dis merde, les boys !

GRAND PRIX DE PLATITUDE -

Je n'avais rien à ajouter à l'excellente couverture de mes collègues des sports du Grand Prix de Montréal. Comme eux, je tiens Jacques Villeneuve pour le plus rafraîchissant de nos héros sportifs ; mais contrairement à eux, je porte peu d'intérêt au sport qu'il pratique. Alors bon, je me suis fait discret...

Si je rebondis ce matin, c'est que j'ai maintenant quelque chose à ajouter. Peut-être cela vous a-t-il échappé, peut-être étiez-vous tous sur l'Île Notre-Dame dimanche, peut-être suis-je le seul à avoir suivi le Grand Prix en direct à la télévision ? Alors il faut que je vous le dise : c'était super nul à la télé. Nul écoeurant. Nul épouvantable. Je parle de l'événement lui-même, pas de sa couverture. Je n'ai jamais rien vu d'aussi nul. Plus nul que ça, je ne vois que le ballet à ski.

On a vécu le seul moment un peu excitant au départ du tour de chauffe, quand la Ferrari de Schumacher, le meilleur pilote du monde, entouré des meilleurs mécaniciens du monde, dans l'écurie la plus riche du monde, est restée " stallée " comme le char d'un mononcle qui aurait oublié d'éteindre ses phares. Ça, c'était drôle.

Après il y a eu le vrai départ : une demi seconde pendant laquelle on s'est demandé si Villeneuve allait déborder Hill.

Après c'était fini. Soixante-neuf tours de vroum-vroum dull. Une voiture toute seule en avant. Une seconde toute seule derrière. Les autres qui merdouillent. Je ne voudrais pas attiser les chicanes chez les Villeneuve, mais mon oncle Jacques n'a pas tout à fait tort quand il dit que la Formule Un, c'est plate.

Très plate.