Le samedi 17 août 1996


Sous les drapeaux
Pierre Foglia, La Presse

Je vous ai déjà dit le peu d'intérêt que je porte aux drapeaux, étendards, bannières et autres grands pavois du patriotisme. Mais supposons que je sois sensible à la chose, supposons que je souscrive à la commune manière de battre pavillon par amour du Canada, ou du Québec ou de la Corée du Nord, supposons... Je serais de la même façon complètement en désaccord avec la débile « opération drapeau » de Mme Sheila Copps.

L'amour du drapeau passe par le respect du drapeau. Mais comment respecter un machin distribué comme un prospectus, planté sur toutes les cabanes à chien ?

Le drapeau du Canada est l'emblème le plus exposé, le plus visible, le plus répandu, le plus banalisé du monde. Même les Américains sont moins cocardiers que nous. Dans tous les aéroports, toutes les gares du monde on trouve un drapeau canadien sur un sac à dos, en sautoir à la poignée d'une valise, en « pin » au revers d'un veston. J'ai vu des drapeaux canadiens au marché des oiseaux de Pékin, dans un salon de thé de Munich, dans une trail au Népal... le drapeau canadien flotte partout, sauf peut-être où il devrait flotter : sur l'âme canadienne.

Et ceci, bien sûr, explique cela.

Faut-il rappeler à Mme Copps qu'un emblème évoque, figure une réalité. Mais qu'il n'est pas, en lui-même, cette réalité. Qu'il ne suffit pas de multiplier les emblèmes pour élargir la réalité. Un fédéraliste hisse le drapeau canadien sur son toit, ça va. Douze drapeaux canadiens sur son toit ne feront pas de lui un plus grand fédéraliste.

Ils feront de lui un joyeux moron.

À Montréal, vous avez Galganov.

Ici, à la campagne, nous avons un certain Maurizio Collini, agent d'immeubles à East Farnham.

Dans la tribune libre de mon hebdo local, Le Guide, Maurizio raconte une histoire dont tout le monde parle, dans la région, ces jours-ci.

C'est l'histoire d'un Américain qui voulait acheter une fermette du côté de Brigham, bucolique petit village entre Farnham et Cowansville.

Totalement séduit après une première visite des lieux, l'Américain sort son chéquier, et laisse une garantie de 80 000 $, sur une offre à confirmer. L'affaire est presque conclue, lorsque, à sa seconde visite, notre Américain, décidément très observateur, remarque soudain que le drapeau du Canada ne flotte pas sur l'hôtel de ville de Brigham.

- Comment ça ? s'inquiète-t-il. Pourquoi n'y a-t-il que le drapeau du Québec ?

( Petite parenthèse, si on me permet. Je viens de vendre ma maison à Saint-Armand. Ça a pris un an. J'ai rencontré quelques dizaines d'acheteurs virtuels qui m'ont posé des millions de questions : nombre de chambres, hauteur de la cave, âge de la fournaise, combien ça coûte de chauffage, est-ce qu'il y a un champ d'épuration, faut-il refaire la toiture, le jardin est-il biologique ?... Mais, c'tu drôle, pas un tabarnak qui m'ait demandé quel drapeau flottait sur l'hôtel de ville de Saint-Armand. C'est bien pour dire comme les gens sont négligents. )

Mais retrouvons notre Américain que nous avons laissé complètement angoissé, sous le drapeau du Québec, devant la mairie de Brigham, en compagnie de Maurizio Collini, l'agent immobilier qui raconte cette l'histoire.

Un autre eût rassuré l'Américain en trois mots : un, ce n'est pas de tes affaires. Deux, l'hôtel de ville n'est pas à vendre. Trois, tu hisseras bien le drapeau que tu voudras, celui du Vatican ou du Cameroun, sur ta fermette, on n'en a rien à foutre.

Un autre eût réglé cela en riant. Pas Maurizio Collini. Figurez-vous que, lui aussi, angoisse terriblement sous le drapeau du Québec. Dans un morceau de pure anthologie, il termine son histoire dans Le Guide en racontant : « De par mes propres convictions, et de par la loi, j'étais tenu de ne pas raconter d'histoires à mon client »...

Admirez. C'est un agent d'immeubles qui parle et qui dit, la main sur le coeur, qu'il aime mieux perdre une vente que d'aller contre ses convictions.

J'ai pleuré un peu.

« De toute façon, à Brigham, la vérité flotte au grand air, ajoute Maurizio, au garde-à-vous. La vérité, c'est ce drapeau du Québec qui souhaite la bienvenue à certains citoyens seulement, des citoyens qui voient un ennemi dans le Canada, des citoyens qui parlent de race pure. »

Évidemment, l'Américain ( s'il a jamais existé ) est allé s'acheter une ferme en Ontario. Et Maurizio s'est dépêché d'aller porter son histoire au Guide qui s'est dépêché de titrer sur huit colonnes : « Un cas vécu dans l'immobilier à Brigham ».

Un cas vécu, hein ? Vaffanculo, va...

MISE AU POINT - À propos de l'affaire Normand Lester qui s'est fait rembarrer en anglais dans un hôpital anglais... mon collègue Serge Chapleau et moi-même voudrions protester contre une affirmation de cette grosse tarte de Gilles Rhéaume qui affirmait sur cinq colonnes dans La Presse de jeudi que : « Nous sommes tous des Normand Lester ».

Whaô.

On s'en est parlé, Serge et moi, et on voudrait que ce soit très clair : on n'est pas des Normand Lester. Ni l'un ni l'autre. Pas une crisse de minute. C'tu clair ?

Lester, c'est un petit gros alors que Chapleau est grand et sec. Et que moi je suis plutôt brillant. Alors s'il vous plaît, hein...

TOTALEMENT ET ABSOLUMENT - Donovan Bailey détient le record du monde du 100 mètres en 9,84 secondes.

Je viens d'entendre à la radio qu'à Atlanta, où se déroulent en ce moment les Paraolympiques, un athlète, sans bras, a couru le 100 mètres en 10,7 secondes.

C'est absolument, totalement incroyable.

Un autre, sans bras ni jambes, a couru le 100 mètres en 11,46, avec des prothèses.

C'est absolument, totalement renversant.

Sauf que ses prothèses étaient trop longues. C'est du moins ce que prétendent d'autres concurrents handicapés. Étaient-ce les pieds qui étaient trop longs ? Les jambes ? Je ne sais pas. Toujours est-il qu'un protêt a été déposé contre le démembré à prothèses.

Et ça mon vieux, ce n'est absolument pas étonnant. Handicapés ou pas, l'Homme et sa fiancée sont des putes totalement jalouses du bonheur de l'autre.