Le samedi 24 août 1996


La quintessence de la putasserie
Pierre Foglia, La Presse

Imputabilité.

Un mot qui revient souvent dans les conversations, ces jours-ci. Par exemple, on parle beaucoup d'imputabilité à propos du cancer du poumon et de l'industrie du tabac. Im-pu-ta-bi-li-té. Ce n'est pas un nouveau mot. Mais c'est peut-être une nouvelle idéologie.

Imputabilité a, grosso modo, le même sens que responsabilité, sauf que, en plus, le mot est porteur d'une accusation - c'est de ta faute ! - et d'une menace : « C'est de ta faute et tu vas payer ! »

Ainsi le cancer du poumon est imputable aux compagnies de tabac. Donc, faisons-les payer.

Je n'ai pas de sympathie particulière pour les compagnies de tabac. Elles ont toujours très mal traité leurs employés. Elles font un fric fou, et c'est vrai que le tabac n'est pas très bon pour la santé. Je ne suis pas contre l'idée de les taxer d'un impôt particulier qui irait aux hôpitaux.

Mais pourquoi seulement les cigarettes ? Et l'alcool ? Et l'automobile ? Vous êtes-vous déjà inquiété du coût social de l'alcool et des accidents d'automobiles ? Et parlons aussi du cancer du cerveau, de la vessie, de la moelle osseuse, des cas de leucémie chez les enfants, tous en augmentation constante, et reliés - cela a été scientifiquement établi -au « progrès » en général. Je veux dire à l'industrie, ses oxydes, ses azotes, son plomb, à la chimie, aux champs électromagnétiques produits non seulement par les lignes haute tension mais aussi par les simples appareils électroménagers.

Les herbicides, tiens... Un de mes chats qui passe ses grandes journées dans le champ de blé d'Inde voisin est revenu avec des bubons ( inflammation purulente des ganglions ) clairement imputables ( dixit la vétérinaire ) « aux saloperies qu'ils foutent sur le blé d'Inde ». Saloperies que les vaches vont bouffer. Et nous, on bouffe les vaches.

Nos maladies sont-elles imputables au progrès ? Sûrement tout autant qu'à la cigarette. Mais savez-vous pourquoi on n'impute que la cigarette ?

Parce que la santé, au fond, on n'en a rien à foutre. Ce qui nous importe, c'est la morale. On dit « ça coûte cher à la société », mais sachant que le cancer du poumon est plutôt expéditif, qu'est-ce qui coûte le moins cher à la société d'après vous ? Mourir à 50 ans, après huit mois de soins intensifs, ou grabataire à 86 ans après 15 ans de soins prolongés ?

On dit c'est pas bon de fumer. Mais au fond, on veut seulement dire que c'est pas BIEN.

Celui qui a prétendu qu'un petit cochon sommeille au fond de l'homme n'y est jamais allé voir. Au fond de l'homme, sommeillent un flic et un curé.

Imputabilité est un mot de curé et de flic. Un mot pour trouver un coupable. Un mot qui a grosso modo le même sens que responsabilité, mais qui, finalement, sert à dire exactement le contraire : « C'est pas moi, c'est toi. »

Imputabilité vient du latin « putissime » qui signifie en latin, comme en français d'ailleurs, quintessence de la putasserie.

LE BONHEUR - Les après-midi de semaine, à CKAC, sévit un psy impertinent et amusant, moins moron et nouvelâgeux que ses confrères des ondes voisines.

Il lui arrive pourtant, à cet amusant psy à l'écoute, de passer complètement à côté de la plaque. L'autre jour, un monsieur désemparé lui racontait qu'il avait quitté sa femme et ses trois enfants parce qu'il était tombé amoureux d'une autre madame, mariée elle aussi, qui devait le rejoindre, c'était juré, mais bon, la madame a freaké au dernier moment et le monsieur se retrouve maintenant tout seul en appartement, avec sa culpabilité.

Tout ce que le psy a trouvé à dire au type, c'est : « Monsieur, vous êtes un téteux ! »

Il n'a pas montré, par là, une grande intuition. Bien évidemment, il faut être un peu téteux pour consulter un psy en ondes. Mais n'est-ce pas le lot de tous les gens qui appellent aux tribunes téléphoniques ?

Moi, j'ai trouvé le monsieur émouvant. Tandis qu'il parlait, je voyais sa valise ouverte dans un coin du salon, une fourchette en plastique sur un reste de pizza, et la photo des trois enfants sur la fausse cheminée.

L'homme était saturé d'une détresse sans remède. Le temps arrangerait les choses, bien sûr. Mais il ne le savait pas. On ne le sait jamais quand on est dedans. Il n'y avait rien à faire, ni à dire. De toute façon, Dieu ne nous envoie pas ces malheureux-là pour qu'on les conseille ou les soigne, mais pour qu'on les écoute.

Et l'autre qui le traitait de téteux.

Mais non. Il fallait seulement l'entendre. Il nous disait : soyez heureux.

AUCUNE PARENTÉ - Toujours sur les ondes. Que lui trouvez-vous donc de si extraordinaire à Giorgio Conte, pour nous bassiner avec, à longueur de jour ? À Radio-Canada, quatre fois dans la même journée... C'est pour votre cours d'italien ? Jamais je croirai que c'est pour la musique. Si vous croyez que Giorgio est le frère de Paolo, vous vous trompez. C'est pas son frère. C'est son simulacre.

SIGHTSEEING - J'ai acheté des trucs à Diabolissimo, une chic petite boutique de spécialités italiennes de l'avenue du Mont-Royal et suis allé les bouffer à deux pas, assis dans l'escalier d'un ami, sur le Plateau.

( Dieu que l'avenue du Mont-Royal se gentrifie. Pourvu qu'ils ne « l'embellissent » pas trop. Pourvu qu'elle garde sa modestie. Qu'ils n'en chassent pas tous les commerces de guenilles et de biscuits. Pourvu que les riches n'y débarquent pas en conquérants comme sur l'avenue Laurier. Juste quelques-uns pour tempérer la misère. )

Après mes bocconcini, j'ai monté Camillien-Houde. Monté Summit Circle. Descendu jusqu'à Sherbrooke par des rues pleines de Mercedes. Remonté par l'incroyable rampe de la rue Clarke. Puis la côte de Poly. Puis encore Camillien-Houde. Encore Poly. Et retour sur le Plateau.

Dieu que Montréal est belle, un soir d'été, en vélo.

Au coin de Mont-Royal et de Côte-Sainte-Catherine, un photographe de La Presse ( Robert Skinner ) photographiait des pots de fleurs sur le bout de trottoir où, la veille, un bébé de quatre mois a été tué par une auto. Il y avait des grandes taches brunes sur l'asphalte. J'avais les deux pieds dedans.

Dieu que... Dieu que rien. Oubliez Dieu.