Le jeudi 27 février 1997


Le courrier du genou malade
Pierre Foglia, La Presse

La santé, je veux dire notre système de santé, est un sujet qui m'inspire peu. C'est dommage parce que mon courrier est plein de lettres de gens qui geignent, qui gémissent, qui se plaignent d'être soignés comme des animaux-et-encore-les-animaux-sont-mieux-considérés ! Des gens qui m'appellent au secours de leur grabat d'hôpitaux de banlieue, qui me disent : " Ah monsieur si vous saviez, les infirmières ! Les médecins ! Les coupures ! Le virage ambulatoire ! Terrible le virage ambulatoire "...

Il faut que je vous avoue, amis lecteurs hospitalisés, un truc épouvantable : le virage artistique et le patinage ambulatoire sont les deux choses qui m'emmerdent le plus au monde.

Et encore autre chose qui va vous faire hurler bien plus : je compatis d'autant moins à vos agonisantes jérémiades que j'ai l'intime conviction que nous avons un bon système de santé, efficace, sûr, et qui reste, malgré tout, accessible à tous.

J'attends d'être opéré dans le dos depuis trois ans et demi, m'écrivait, il y a quelque temps, un monsieur qui préfère ne pas être identifié.

Un accident bête. Il a trébuché dans les escaliers. Ses lombaires sont squizzées, il faudrait passer une broche dedans, zigoner dans la colonne, une affaire compliquée. En attendant, il ne peut pas travailler. Il était assembleur sur une chaîne de montage... L'assurance paie 70 % de mon salaire, et comme c'est non imposable, j'ai à peu près le même revenu qu'avant.

Je l'ai appelé.

- De quoi vous plaignez-vous ?

- D'avoir attendu trois ans et demi pour une opération qui n'est toujours pas faite. Cela a pris trois mois pour passer tous les examens. Six mois avant qu'on décide de m'opérer. Puis j'ai été un an et demi sur la liste d'attente d'un neurochirurgien de la Cité de la santé à Laval, pour finalement me retrouver à la case départ quand ce chirurgien a changé d'hôpital et de clientèle. Depuis un an, je suis sur la liste d'attente d'un autre spécialiste qui opère à Sacré-Cœur et à Jean-Talon. Et lui m'a carrément dit que je le dérangeais, parce qu'une opération de six heures, comme durerait la mienne, c'est trop long pour ses quotas.

- Qu'est-ce que vous faites depuis trois ans et demi ?

- Rien. Je ne peux pas me pencher. Je passe la balayeuse des fois.

- Ça doit être propre chez vous ?

- Pas sous le lit...

Il vient de me réécrire : Hey, j'ai des bonnes nouvelles. Non, non, on n'a pas fixé la date de mon opération. Pas encore. La bonne nouvelle vient d'un autre médecin, un physiatre que j'ai consulté la semaine dernière et qui m'a dit qu'en me traitant par résonance magnétique, on n'aurait pas besoin de m'opérer. Voyez comme tout s'arrange !!!

Justement, la morale de cette histoire c'est que tout s'arrange et qu'avant de dire des sottises sur notre système de santé, non seulement on devrait tourner sept fois sa langue dans sa bouche, mais on devrait aussi attendre trois ans et demi.

VIVA FELIPE -

Je te le dis tout de suite : j'aurai pas le guts de signer. Depuis les années 70, je t'ai écrit 800 fois, sans jamais t'écrire, je t'ai répondu, félicité, chié dessus, embrassé... Aujourd'hui, pour une raison que Dieu seul pourrait expliquer, je vais poster ma lettre. Aujourd'hui, dans ta chronique, tu ironises sur le baseball. J'en suis maniaque, junkie. L'homme préhistorique courait, lançait des roches, se servait d'une masse, le joueur de baseball refait les mêmes gestes, le baseball est le plus noble héritage de l'homme, mélange d'habileté, d'intelligence, de talent brut, d'imagination, de stratégie, de réflexion, de rationnel. Le baseball, c'est aussi, historiquement, le premier sport du Nouveau Monde... as-tu déjà rencontré Felipe ? C'est Mussolini, Einstein, Mère Teresa et Monsieur Bit, all rolled into it..

Je suis mémère, han ? P.S. : L'an dernier, dans ma cour, j'ai vu un tyran huppé.

( Ma fiancée te fait dire qu'elle en a un drette dans son salon. )

IMPLICATION -

Impliquer. Le mot énerve Mme Nicole Trudel qui prétend que l'on est en train de mourir d'une overdose d'implication. L'autre jour, on a félicité une de mes amies qui non seulement s'est impliquée, mais a impliqué ses collègues, le summum de l'éloge.

Il faudra vous y faire madame. Les mots ne font pas que refléter la réalité, ils la contiennent.

L'implication est le postulat du bénévole, et nous vivons une époque formidable pour le bénévolat.

Peut-être l'avez-vous remarqué, on s'implique beaucoup dans sa communauté. L'implication, c'est ce que fait le bénévole quand il met des boites de petits pois dans les paniers pour les pauvres.

Notez que le mot est très en vogue aussi dans les écoles. On demande beaucoup aux enfants de s'impliquer. Avant, on leur demandait d'étudier, on jugeait ainsi de leurs aptitudes à comprendre, à réfléchir. Aujourd'hui, on juge de leurs aptitudes à s'impliquer. C'est que la société a grand besoin de bénévoles pour mettre des boîtes de petits pois dans les paniers pour les pauvres.

Il semble qu'on n'a pas besoin de personne pour réfléchir sur la pauvreté.

TROU DE MEMOIRE -

Sachant que ma fille a obtenu 67 à la première étape de son examen de maths, 62 à la seconde, 69 à la troisième, 67 à la quatrième, sachant que la 1ère étape était pondérée à 7,5 %, la deuxième à 15 %, la troisième aussi à 15 % et la quatrième à 12,5 sachant que ma fille est revenue de l'examen du ministère avec une gueule de 10 pieds et trois quarts de pouce de long ; sachant tout cela monsieur Foglia, pourriez-vous m'aider à me souvenir du nom de ma fille, je n'ai en tête que 008/W5 mais il me semble que je l'avais nommée aussi Caroline ou serait-ce Sylvie ?

MISÉRICORDE -

" Ne donnez pas de perles aux pourceaux, ils les piétineront. " Disant cela, Jésus songeait-il à vous qui avez profané le nom de sa Mère ? Attiré par le très beau titre de votre chronique, - La Sainte Vierge - je vous ai lu. Une horreur. Une odeur de latrines. Agenouillez-vous monsieur, levez les yeux vers elle, ouvrez-lui votre coeur, sa miséricorde est grande. ( Henri Blais, Cowansville )

Je suis à genoux, monsieur. Je lève les yeux. J'ouvre mon coeur. La Sainte Vierge apparaît et je lui dis :

- Connaissez-vous un certain Henri Blais à Cowansville

Hon, si t'avais vu la gueule qu'elle a fait, Henri !