Le samedi 3 mai 1997


Le printemps sur ma galerie
Pierre Foglia, La Presse

Il y a une marmotte qui fait le périscope dans mon champ. Elle sort de son trou, se dresse sur ses pattes arrière, celles de devant sont croisées sur sa poitrine, comme une commère sur son balcon qui cause avec la voisine. Elle regarde partout et hop ! rentre dans son trou, raconter quoi à ses marmottons ? Fouille-moi.

Elle doit leur raconter la vie comme je vous la raconte ici. Ces jours-ci, elle doit leur faire la chronique de notre scandaleux printemps.

Zézette, ma petite chatte noire, traverse le champ. Comme tous les matins, elle va jusqu'au terrier de la marmotte, s'assoit sur son cul et attend qu'elle sorte. J'imagine leur conversation.

- Bonjour marmotte, est-ce que je peux jouer avec tes marmottons

- Sont trop petits, reviens dans un mois, répond la marmotte.

La Zézette a fait demi-tour. Elle trottine maintenant vers la grange. J'ai suivi toute la scène de ma galerie. C'est la première fois cette année que je prends le café sur la galerie. Ma fiancée lit La Presse à côté de moi. Il fait un peu froid, le vent apporte l'odeur du fumier que le voisin étend, à côté.

Un pick-up rouge roule lentement sur la petite route qui longe mon champ. Je n'y prête pas vraiment attention. Tiens, il s'arrête sur le bas-côté. Un type en descend. Il tient un fusil. À partir de là tout se déroule très vite. Il vise la marmotte qui vient de refaire son apparition sur son button. Bang.

Ma fiancée a crié : " Espèce de morron ! " Le type n'a pas entendu. Il ne nous voit pas non plus. Le fusil sous le bras, il marche jusqu'au terrier, constater les dégâts. Puis il revient vers son pick-up. J'y arrive en même temps que lui. C'est un adolescent. Il doit avoir dix-sept ans. Il parle le premier, sans me regarder :

- Si t'es pas content, t'avais rien qu'à mettre une pancarte : " Chasse interdite ".

Il monte dans son pick-up, claque la portière, baisse la vitre :

Les siffleux, ça sert à rien. Même que c'est une nuisance pour les cultures. Tu fais du foin ici ? Tu devrais me remercier.

Je n'ai toujours pas dit un mot. Il démarre en faisant hurler ses pneus.

Ma fiancée est dans le champ. Plus tard, elle montera dans le bureau où je travaille :

- Elle est dans son trou. Il y a du sang, mais elle respire, elle a les yeux ouverts...

Elle est retournée au terrier plusieurs fois dans la matinée. De ma fenêtre, je la voyais devant le trou, à genoux. À midi on a repris un café sur la galerie. Elle a dit : " Elle est morte. "

On pensait tous les deux aux marmottons, mais on n'en a pas parlé.

Elle, parce qu'elle ne parle pas beaucoup de toute façon.

Moi, parce que j'écoutais les informations, les inondations à Winnipeg, la défaite de Major en Angleterre, la rencontre Mobutu-Kabila.

CLIVAGE CLICHÉ -

Ellen DeGeneres est une stand-up comic américaine qui, comme Jerry Seinfeld, joue dans un sitcom qui porte son nom : Ellen. Au tout début c'était bien, mais c'est vite devenu ordinaire, très main stream, comme d'ailleurs est en train de le devenir Seinfeld, sauf que Ellen n'a jamais eu la folie et le génie de Seinfeld.

Le truc particulier, c'est qu'on ne voyait jamais Ellen en jupe ou en robe, et rusés comme sont parfois les Américains, ils se sont doutés de quelque chose : et si Ellen était lesbienne ?

Cette semaine, Ellen DeGeneres a fait se rejoindre la réalité, la fiction et la rumeur en se déclarant gay dans un superbe moment de télé, plein de finesse et de drôlerie, et avec la savoureuse complicité de gens comme k.d. Lang, Laura Dern, Melissa Etheridge, Oprah, Demi Moore, etc.

C'était mercredi.

Depuis, bien sûr, toute l'Amérique s'est prononcée pour ou contre cet aveu public, à une heure de grande écoute. Comme prévu les associations familiales s'indignent devant " le mauvais exemple donné aux enfants ", tandis que les libéraux félicitent Ellen de son courage.

Depuis deux jours, clivage, cliché qui me tombe sur les rognons quelque chose de rare, on nous fait entendre, ad nauseam, l'homme de la rue qui dit que " deux femmes qui s'embrassent, il est pas capable ". Et on nous passe et repasse l'éloge de la différence, par tous les artistes et tous les intellectuels d'Amérique.

Clivage cliché : d'un côté les obtus, les vulgaires, chououou ! De l'autre, les cool. Yeah !

La réalité est plus trouble. Un ami gay me confiait récemment qu'au-delà de la brutalité du premier contact, au-delà des mots blessants, les gens " ordinaires ", acceptaient souvent sa différence plus naturellement que les intellectuels qui la rationalisent...

- Tu comprends, on ne m'a jamais traité de tapette à l'université. Mais on ne m'a jamais, non plus, nommé chef de mon département. À côté de ça, j'ai un beau-frère garagiste qui vient de m'inviter à dîner avec mon chum. Au déssert, il était gêné de me dire que j'étais le premier gay à qui il avait serré la main, et d'ajouter sans rire : " Tu comprends, je pensais que vous étiez tous des fifs ! "

C'EST UN BALAYAGE -

Le Canadien a peut-être perdu sa série contre les Devils, mais il a gagné, 4-0, contre les médias.

C'est épouvantable. Les journalistes sportifs se sont fait planter comme des vrais tatas.

Tout d'abord, ils se sont fait passer un congédiement pour une démission. C'est pas fort pour des gens censés éclairer une situation. Mario qui craque sous la pression des, médias ? Com'on. L'avez-Vous entendu à CKAC ? Y'avait l'air de craquer, je suppose ? Qu'est-ce qui l'empêchait de retourner la situation à son avantage, comme il l'a fait, en restant en poste ? Sa famille, ah oui, j'oubliais la famille.

1-0, on vous ment effroyablement. 2-0, on vous prend pour des cons.

3-0, vous vous laissez mettre cette fausse démission sur le dos avec le résultat que vous voilà sur la défensive, crocs rentrés, ton baissé, échine courbée. Excusez-moi, monsieur Corey, permettez que je refasse la boucle de votre lacet ? Il est défait.

Bilan de l'opération, la saison de cul du Canadien est oubliée, l'énorme erreur d'avoir embauché Tremblay est réparée, l'image du Canadien à laquelle M. Corey tient encore plus qu'à la victoire est redorée, c'est 4-0, messieurs de la presse sportive, un balayage. Écoutez les tribunes téléphoniques, les seuls perdants, c'est vous.

Permettez un conseil ? Arrêtez de vous justifier. Attaquez.