Le samedi 10 mai 1997


La démocratie est une business
Pierre Foglia, La Presse

Le comté de Brome-Missisquoi, mon comté, est furieusement fédéraliste dans ses villages orangistes, légèrement nationaliste dans les petites villes comme Magog, Cowansville, Bromont et Farnham ; en fin de compte, mon comté est assez " suiveux " pour rouler avec la vague, si bien qu'il était bleu du temps de Mulroney, bloquiste la dernière fois, et libéral depuis l'élection partielle de 95, notre député bloquiste ayant eu la mauvaise idée de mourir entre-temps, je ne me souviens plus si c'est du scorbut ou d'un accident, c'est bien pour dire le peu de souvenir qu'on laisse dans ce métier-là.

Ne vous inquiétez pas, je ne vous parlerai pas de la campagne électorale dans mon comté qui est aussi plate que dans le reste du Canada. Laissez-moi seulement ajouter que la réélection du libéral Denis Paradis est assurée. La seule petite ( mais vraiment toute petite ) chance du bloquiste était dans la division des voix fédéralistes. Par exemple, si les conservateurs de Jean Charest avaient présenté un candidat sérieux, ou simplement décent.

Hélas ! pour la toute petite chance du bloquiste, les conservateurs de Jean Charest présentent une vedette de la radio et de la télévision, une vieille gloire bouffée aux mites du nom de Claude Boulard.

Reportez-vous à l'époque d'avant Les Tannants, aux jours les plus sombres et les plus quétaines du Canal 10. C'était l'époque Claude Boulard qui partagea brièvement la gloire de Pierre Marcotte avant de s'exiler dans les radios de province où il perdit sa chemise, raconte-t-on. On l'a revu récemment aux côtés de Jojo Savard dans une de ces infopubs qui nous disent que le bonheur est dans la troisième maison du Verseau ( au fond du couloir à gauche ). C'est lui que M. Charest souhaiterait que nous élisions le 3 juin prochain. Il n'y a pas une chance sur douze millions que cela arrive...

C'est curieux, déjà lors de l'élection partielle en 95, M. Charest nous avait imposé un sous-candidat ( comme on dit un sous-plat ) en la personne d'un agent d'immeubles complètement gaga. Et voilà qu'il fait pire, cette fois, avec ce vieux cabot du micro. Le fait-il exprès ? Ce sera quoi la prochaine fois ? Un babouin ?

Mais mon propos n'est pas de passer les troupes conservatrices en revue. Mon propos d'aujourd'hui, c'est une question qu'on peut formuler de différentes façons :

- La démocratie est-elle soluble dans la connerie ?

- Sert-on la démocratie en votant pour un con ?

- Faut-il absolument que la démocratie ce soit n'importe qui, qui dit n'importe quoi, n'importe quand ?

Avant de me reprocher mon approche élitiste de la démocratie, retenez bien que je parle des candidats et seulement des candidats. Je ne parle pas des électeurs. Je ne parle pas du vote qui doit rester, bien sûr, universel et inaliénable. Je suis de l'avis commun que l'espace démocratique ne souffre aucune restriction, sauf celles de l'âge et de la maîtrise de ses facultés mentales. Je crois totalement à la souveraineté de cette vérité moyenne exprimée par un scrutin populaire. ( Et j'ajoute au droit de vote, le droit de ne pas voter, qu'on oublie trop souvent, et qui est un geste en démocratie tout aussi souverainement politique. Mais anyway c'est un autre sujet.

Je ne parle pas du vote, je parle du choix des candidats avant le vote. Y'aurait pas moyen de fixer quelques règles élémentaires pour écarter les tôtons trop scandaleusement tôtons ? Y'aurait pas moyen de mettre la barre à une certaine hauteur et ceux qui passeraient dessous, ben c'est ben d'valeur ? Y'aurait pas moyen de leur faire passer un petit examen pour s'assurer qu'ils savent UN PEU, de quoi ils parlent quand ils parlent de santé, d'emploi, d'éducation, de dette nationale ?

On exige d'une secrétaire un diplôme collégial, voire universitaire. Mon plombier a une carte de compétence. Claude Boulard il a quoi ? Depuis quatre ans, m'apprend mon journal local, M. Boulard a joué au golf, au tennis et passé beaucoup de temps en Floride. Le contact avec la population lui manquant beaucoup, il a décidé de se lancer en politique... Mon dieu, si c'est seulement cela, au lieu de jouer au tennis, qu'il joue au bingo, il verra plein de monde, il signera plein d'autographes à plein de petites vieilles.

Devinez de quoi a parlé M. Boulard dans son premier discours ? Devinez quel sujet a abordé ce type qui a assisté Jojo Savard dans ses oeuvres et qui a beaucoup joué au golf et au tennis ? Il a parlé de créer des emplois. Eh oui. Il nous a annoncé la création d'un million d'emplois d'ici l'an 2000. " Et c'est un minimum ", a-t-il ajouté.

Y'a un boutte à toute, pensez pas ? Même en démocratie.

Mon voisin vote conservateur. Le 3 juin, je vais peut-être aller voter en me disant il Ne faut pas que je laisse passer 1'ultra-libéralisme de Charest. Mon voisin, lui, va se dire le contraire : faut que j'annule le vote gogauche de Foglia. Ça, c'est la démocratie. Ça n'a rien à voir avec le QI de mon voisin, avec le mien, avec la job qu'il fait, avec la mienne, avec nos croyances, nos origines ou notre langue respectives. Nos votes vont contribuer à dégager cette vérité moyenne dont je parlais tantôt. Aux élus ensuite, de gouverner au mieux des intérêts de la majorité.

Mais si l'élu en question est le roi cons ? Alors mon voisin et moi, on se sera fait fourrer.

C'est pour ça que je prétends que les candidats devraient satisfaire à un minimum décent. Quand on a demandé à Claude Boulard de faire le point sur son association avec Jojo Savard, il a dit : " Écoutez, c'est une business, il n'y a rien d'illégal là-dedans. Si les gens paient, ce n'est pas son problème à elle... "

C'est vrai. Si les gens sont assez nonos pour payer... Mais n'est-ce pas pour servir les gens, nonos ou pas, que Claude Boulard veut devenir député ? Si j'étais chef d'un parti national, je n'accepterais pas dans mes rangs quelqu'un qui excuse une escroquerie légale en disant : " Écoute, c't'une business... "

Vous allez me dire qu'on s'énerve pour rien, Claude Boulard n'a pas une chance sur cent milliards d'être élu dans Brome-Missisquoi. Ce n'est pas la question. La question est : combien de Claude Boulard à la grandeur du Canada ? Combien seront élus ?

Le 4 juin au matin, combien de députés, sur 301, pour penser que la démocratie est une business ?