Le samedi 24 mai 1997


Votons pour le papier peint
Pierre Foglia, La Presse

En vous excusant d'avance de les ennuyer, demandez à vos proches ou vos amis de résumer la pensée politique de MM. Chrétien, Manning, Duceppe. Et de Mme McDonough. À peu près tout le monde devrait réussir à vous dire quelques mots sur chacun d'eux, maladroits sans doute, mais d'où il ressortira que M. Chrétien est allergique aux revendications " particulières " du Québec, que M. Duceppe est exactement son contraire, que M. Manning est l'archétype du red neck et Mme McDonough conduit probablement une Volvo d'occasion.

Qu'on les apprécie ou non, chacun de ceux-là incarne une réalité canadienne. M. Manning incarne le Canada aseptisé dans son bocal de formol. Mme McDonough veille avec un chagrin qui semble sincère sur la dépouille de la social-démocratie. M. Duceppe incarne le non-Canada. Quant à M. Chrétien, le plus intéressant du point de vue ethnologique, il incarne ce fond de médiocrité nationale dont les autres nations se défendent en élisant des chefs d'État pompeux. Je pense aux Français avec leurs Chirac et Mitterand, alors que nous, Canadiens, n'avons pas honte de ce que nous sommes. Neuf ans de Mulroney et huit de Chrétien, nous n'avons, décidément, honte de rien.

Et M. Charest, direz-vous ? Vous avez oublié M. Charest ?

Je ne l'ai pas oublié du tout. M. Charest est mon sujet d'aujourd'hui. Refaites l'expérience de tantôt avec vos proches et vos amis, demandez-leur de vous dire quelques mots de M. Charest. Dix fois sur dix, vous obtiendrez ceci :

- Son message passe super bien.

Insistez :

- Quel message ?

Voyez les fronts se plisser sous l'effort.

Il n'y a pas de message.

Non pas que M. Charest soit incapable d'en véhiculer un. Mais il n'en a pas besoin. Même que, dans son cas, le message gênerait. Ce qui passe si bien, c'est M. Charest lui-même. Un look. Une attitude. Une image. On va voter pour une image.

Vous cherchiez une maison où être bien pour élever votre famille, pas trop loin d'une bonne école, dans un coin où les taxes ne sont pas trop élevées, et vous louez la première maison que vous visitez parce que vous aimez le papier peint dans le salon. Les pièces sont mal disposées, mal éclairées, le toit coule, les fondations sont pourries, les voisins se chicanent sans arrêt. Mais Dieu que le papier peint est beau !

C'est aussi déraisonnable que ça. Le 2 juin, nous allons voter pour le papier peint.

Par la seule force de son image, M. Charest a ressuscité un parti défunt. Il est le vainqueur annoncé de ces élections qui vont voir les libéraux et les réformistes perdre un peu et les bloquistes perdre presque tout.

D'ailleurs, les bloquistes vont presque tout perdre pour la même raison que M. Charest va gagner : l'image.

C'est quand même extraordinaire. En 1997. Au Canada. Pas au fin fond de l'Amazonie. Au Canada. Un pays presque entièrement scolarisé. Deux hommes politiques s'exprimant avec aisance proposent deux visions très différentes de la société : l'une humaniste de gauche, l'autre mondialiste de droite. Qui va l'emporter ? Le républicain ou le pragmatique ?

Le plus beau l'emportera ! Sans autre raison que son pouvoir de séduction.

C'est comme l'histoire des deux secrétaires qui proposent leurs services pour la même job. L'une rédige mieux en anglais, l'autre maîtrise mieux le traitement de texte. Laquelle ont-ils engagé croyez-vous ? Eh oui, celle qui a le plus beau cul.

De même Charest l'emportera avec sa gueule, son look, son image.

Nous pensons par l'image.

Et l'image s'efforce de ne penser à rien parce qu'elle sait que c'est elle qui plaît. Pas le texte explicatif dessous que personne ne lit. Vous avez lu le programme de Charest, vous ?

C'est assez dire quelle formidable campagne d'idées nous avons eue.

Je nous félicite.

Le morron du mois -

Mon confrère Mathias Brunet, de la section des sports de La Presse, a levé un lièvre de taille en rapportant, tout innocemment, un incident survenu dans l'avion nolisé des Expos.

Les faits : un joueur, Mike Lansing, a très grossièrement engueulé une des hôtesses. Pour rien. Par caprice. Par impatience. Parce qu'il n'y avait pas de bière, je ne sais quoi.

Dans un premier temps, la direction des Expos n'a pas bronché.

L'incident a rebondi quand Lansing et un autre joueur, fâchés de Brunet, l'ont traité de petit tas de merde dans le vestiaire. La direction des Expos a réglé le problème en interdisant à Mathias Brunet de voyager avec l'équipe pour une période indéterminée ! Sanction levée immédiatement à la suite des représentations de mes patrons, mais quand même, félicitons les Expos d'avoir eu le courage de s'en prendre au messager. C'est tellement original...

Non, la direction des Expos n'a pas exigé de Lansing qu'il s'excuse auprès de l'hôtesse, ni auprès de Brunet. Lansing est actuellement le meilleur joueur de l'équipe et il ne faut pas déranger sa concentration. J'ai entendu toute la semaine des " amateurs de sport " défendre Lansing en disant qu'il jouait comme un dieu et qu'il lui serait tout pardonné tant qu'il continuerait de frapper des circuits, de réussir des catches impossibles et de retourner des prises au marbre.

J'ai entendu aussi des journalistes souligner que Brunet avait enfreint une loi non écrite qui interdit de rapporter ce qui se passe dans les avions nolisés de l'équipe. Ici, je crains de n'avoir pas compris. Vous êtes journalistes, dites-vous, et vous abondez dans le sens d'une loi qui interdit de rapporter les faits ? Ah bon. J'ai dû sauter ce chapitre-là, de notre code déontologique.

J'ai lu aussi un confrère de la Gazette qui nous apprend que Lansing est un bon gars qui donne aux bonnes oeuvres et achète des billets pour les pauvres. Arrête, Jack, quand je pleure, je suis pas belle.

La vérité, c'est que ce Lansing est un joyeux morron. Coutumier de coups de gueule et d'esclandres cheap. La vérité, c'est que les Expos n'ont pas le guts de lui parler dans le casque.

La vérité, c'est que le sport, école de vie, mon cul. Et les héros sportifs, modèles pour les jeunes, re mon cul. Déjà, les dizaines de, millions que gagnent les athlètes pour frapper une balle envoient un message très clair aux jeunes sur les valeurs de la société : " À quoi ça sert d'étudier ? Michael Jordan, Dan Marino, Mark Messier, y'ont pas étudié, eux. "

Les délires d'un Rodman, le mépris d'un Barry Bonds, les plates morroneries d'un Lansing leur envoient un autre message : le message qu'en devenant des vedettes du sport, non seulement ils seront riches à crever, mais, en plus, ils auront le droit de faire chier le monde entier.